Le forum des ONG

, par MASSOURI Sophie

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Venues des quatre coins de la planète, parfois après de longs jours de voyage, prés de 25 000 femmes — et 5 000 Chinois et Chinoises dont on ne sait pas bien s’il faut les comptabiliser au même titre que les autres — s’étaient donné rendez-vous au Forum des ONG. Malgré les difficultes et la très grande hétérogénéité des participantes, ce fut une grande fête... politique.

Bravant les intimidations politiques et les difficultés administratives, des milliers de femmes se sont retrouvées à Huairou, petite ville de province au Nord de Pékin, placée par les autorités chinoises sous haute surveillance. Mais si la presse internationale a abondamment relevé les tracasseries dont elles ont été victimes, la plupart des activités politiques prévues ont eu lieu : 3 000 ateliers — des plus sérieux aux plus farfelus — avec une impression de maturité politique qui faisait d’autant plus regretter la faible participation des organisations féministes françaises.
Bien sûr, les pressions politiques n’ont pas épargné la rencontre des ONG. L’offensive menée par les pays religieux a été la source de la plus grande inquiétude dans les débats, plus sans doute que les contrôles policiers : « Il y a trop de pays aujourd’hui qui, dans la résolution finale, ne veulent pas que le mot d’égalité continue à apparaitre. Nous allons perdre des points sur la question de l’égalité », déclarait Sabine Missistrano de la Fédération internationale des droits de l’homme, le 3 septembre, devant la presse, après « l’interruption » d’un atelier organisé par le Collectif 95 Maghreb-Egalité, qui regroupe des femmes tunisiennes, algériennes et marocaines. Quelques heures auparavant, en effet, le Parlement des femmes dans les pays islamiques était brutalement suspendu, officiellement pour des problèmes techniques. De même, les neuf Tibétaines présentes à Huairou ont subi un harcélement constant, et parfois brutal, des policiers chinois. Mais la grande majorité des femmes, y compris les lesbiennes dont on avait craint un moment qu’elles ne soient l’objet d’une répression, ont mené à peu près bien leurs activités, sans contact cependant avec la population chinoise.
Les thèmes des ateliers, leur contenu sont à l’image des ONG présentes à Huairou : très hétérogènes. Le concept même d’ONG est fort discutable lorsqu’une association est subventionnée à plus de 50 % par des subsides de l’Etat, et fait office d’agence paragouvernementale. En fait, leur profil diffère d’une région à l’autre. Le coût du voyage a souvent été un obstacle insurmontable pour les ONG indépendantes, qui vivent sans subventions, par choix ou non. Le gouvernement français a choisi de privilégier des ONG féminines, plutôt que féministes, parfaitement intégrées dans les institutions, et a distribué des subventions spécifiques pour la Conférence de Pékin assez misérables (de 5 000 à 10 000 francs par association) et payables au mois de novembre !
Mais dans les pays où il existe un mouvement féministe structuré, de fortes associations de défense des libertés démocratiques, liées ou non à des partis d’opposition, au mouvement syndical, etc., la configuration des ONG présentes était souvent la plus intéressante. Ce fut notamment le cas de celles d’Amérique latine et d’Asie du sud-est. Souvent très combatives, défendant une éthique féministe et radicale, elles ont été les véritables animatrices politiques du Forum.
Les trois thèmes dominants ont été la féminisation de la pauvreté, les violences à l’égard des femmes et leur participation aux instances de décision, pas seulement politiques, mais aussi économiques, sociales, etc. La constitution de réseaux internationaux transversaux et thématiques — comme celui des femmes contre les intégrismes, ou bien des femmes rurales, ou même encore des femmes dans les institutions politiques — marque une certaine maturité, relevée par de nombreuses femmes présentes à Nairobi il y a dix ans. Tout comme, pour beaucoup d’entre elles, le fait d’être intégrées à un certain niveau des négociations [1].
Conscientes toutefois du problème nouveau auquel elles doivent faire face, la plupart des ONG, tout en acceptant ce rôle de concertation avec leur gouvernement, demeurent lucides : « Le mouvement féministe a sans doute changé d’époque, affirmait une Brésilienne, au cours d’un atelier sur la participation politique. Nous ne dénoncons plus l’État patriarcal, mais nous cherchons à en poser la critique radicale d’un autre point de vue, en posant la question du pouvoir dans cette société. Bien. Mais prenons garde à ne pas nous mettre à parler comme un texte de l’ONU. Poser la question du pouvoir, c’est aussi s’interroger sur ce qui se passe ici. Qui légitime qui ?

Notes

[1Pour la première fois, le directoire, composé d’une dizaine de personnes, en charge du Forum des ONG, manifestation parallèle aux conférences de l’ONU, a été nommé par les Nations unies. Un mode de désignation discutable qui pose évidemment le problème de la légitimité.

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