Depuis plusieurs mois, le CSA fait feu de tout bois à propos d’Internet. Pourquoi le CSA ? Pour une raison simple, selon lui : Internet, ce n’est rien de plus que des programmes audiovisuels et un peu de vente par correspondance. Bref, l’addition de la télévision et du Minitel. Et tout ce qui est programme audiovisuel doit être contrôlé par le CSA. Inutile de dire que cette vision d’Internet est totalement fausse, qu’Internet est, contrairement aux autres médias, le seul où chaque citoyen puisse s’exprimer librement et mettre des informations à disposition de tous avec un minimum de moyens.
Hervé Bourges, dans ses différentes déclarations, semble à peu près autant connaître Internet que Jacques Chirac connaît le mulot ; le CSA a déjà montré sa méconnaissance du sujet en décidant il y a quelque temps que toute donnée mise à disposition sur un site web devait faire l’objet d’une déclaration au CSA. Ainsi, la photo du petit dernier, vos 3 poèmes d’ado, votre CV et votre collection de timbres mis en ligne doivent être théoriquement déclarés au CSA, comme les quelques centaines de milliers de pages web personnelles créées par les internautes français ces dernières années. Ne craignant pas le ridicule, c’est le mot d’ordre « déclarez votre site web au CSA et au procureur de la République » qui vous accueille sur le site du CSA [1], vous expliquant que vous devez aussi trouver un directeur de la publication pour votre site. On imagine l’engorgement si tous les propriétaires de pages personnelles effectuaient réellement la déclaration. Plus grave, cela démontre que le CSA n’envisage à aucun moment qu’Internet puisse être un espace citoyen d’expression.
Drôle de sommet
Conforté par différentes déclarations gouvernementales sur l’utilité d’un organisme de régulation, le CSA a commencé par organiser au début 1999 une « réflexion internationale » sur le thème de la régulation, pour le moins amusante, puisqu’il en ressort principalement qu’il n’y a pas d’urgence à réglementer, qu’« Internet n’est pas une zone de non droit », que le droit commun s’applique sur Internet [2]. Cette réflexion a évidemment été menée auprès d’autres organismes nationaux, principalement des autorités de régulation audiovisuelle comparables au CSA, sans aucune consultation d’associations ou d’organisations représentatives des utilisateurs de l’Internet.
Puis, ignorant cette conclusion qui n’allait pas dans son sens, le CSA a organisé à Paris « un sommet mondial des régulateurs » (autoproclamés pour la plupart), invitant soit des représentants d’organismes étatiques, soit des représentants de grands groupes de communication (Bertelsman, Lagardère) dont on peut imaginer qu’ils ne sont pas de grands défenseurs de la liberté d’expression. Parmi les pays invités, on pouvait trouver des spécialistes de la démocratie, comme l’Iran, le Gabon, la Côte d’Ivoire ou la Malaisie.
À ce sommet, d’où les associations actives dans ce domaine, comme la Coordination permanente des médias libres [3] ont été exclues manu militari par les vigiles de l’Unesco [4], seules deux possibilités ont été envisagées : la régulation par un organisme souverain type CSA ou la corégulation avec les « professionnels », cette dernière solution semblant plaire à tout le monde. La possibilité de ne pas tenter de réguler Internet autrement qu’avec les lois déjà existantes n’a pas été évoquée, les participants étant venus précisément pour légitimer leur titre de « régulateurs ».
Censure et flicage
La régulation à la sauce du CSA est claire : les sites Internet devront respecter « la déontologie des contenus » : chaque citoyen mettant des informations sur Internet devra s’assurer qu’elles sont « déontologiquement correctes », que les sources sont exactes, bref, c’est la mort de l’expression directe sur Internet en imposant des contraintes de journalisme difficilement applicables au simple citoyen.
La corégulation, avec laquelle l’Internet sera à la fois contrôlé par un organisme indépendant et par les grands groupes capitalistes fournisseurs d’accès, sera certainement encore pire : on trouve déjà dans les contrats de ces fournisseurs des clauses sur « l’atteinte aux bonnes moeurs », « l’atteinte à l’image du fournisseur » et encore d’autres où le politiquement correct règne en maître. Gare à celui qui dira du mal des missiles Matra sur un site hébergé par un fournisseur d’accès appartenant à une filiale de Lagardère.
Pour compliquer le tout, Lionel Jospin a pris de court le CSA en confiant au député Christian Paul une mission sur le « futur organisme de régulation de l’Internet ». Celui-ci devra livrer ses conclusions en mars 2000. On peut deviner qu’elles seront en faveur de la régulation de l’Internet, l’annonce de la création sur demande du Premier ministre d’un organisme de régulation de l’Internet, nid de pédophiles et de nazis comme chacun sait, ne pouvant qu’avoir des conséquences favorables sur l’opinion publique.
Enfin, la semaine dernière, visiblement pour replacer le CSA dans la course à la régulation après l’initiative de Lionel Jospin, Hervé Bourges a parlé de « multirégulation », imaginant plusieurs organismes, dont le CSA, s’occupant de la régulation d’Internet selon leurs critères, dans un arbitraire et une confusion que l’on n’ose imaginer.
Défendre le droit à l’expression
Alors que les affaires récentes démontrent que la justice peut tout à fait s’appliquer sur Internet, le CSA n’en démord pas : il faut réguler Internet. Cette régulation a un seul but : organiser un flicage serré pour museler l’intervention citoyenne sur Internet, afin de laisser la place à l’Internet marchand. Le CSA et ses prédécesseurs ont réussi depuis 20 ans à tuer les radios libres et à empêcher l’éclosion de télévisions indépendantes, empêchons-le de faire pareil avec Internet : les lois existent et sont suffisantes dans la plupart des cas pour assurer le droit sur Internet, un organisme de régulation ne peut être qu’un outil de censure et de restriction de la liberté d’expression au service des gouvernements et des intérêts des multinationales.
La riposte aux projets de contrôle de l’Internet s’organise, notamment à l’initiative de la Coordination permanente des médias libres et du site Article11 pour l’Internet soutenu entre autres par Valentin Lacambre, le responsable d’Altern.org. Les mois et les lois qui viennent seront capitaux pour l’avenir de l’expression directe sur Internet.