LA MODIFICATION rapide de la situation internationale, en Europe de l’Est et en URSS, comme de la situation en Asie du Sud-Est, affecte profondément les conditions de la négociation cambodgienne. Pourtant, ce qui se passe dans le pays même n’en est pas moins important. Il s’agit en effet de tester l’évolution des rapports de forces après le retrait, en septembre 1989, du gros des forces vietnamiennes.
Intervenue fin 1978 pour renverser le régime Khmer rouge, l’armée vietnamienne du Cambodge a compté jusqu’à 200 000 hommes [1]. Des années durant, son rôle est resté décisif. C’est elle qui a permis au nouveau gouvernement de Phnom Penh de se constituer et de se consolider. C’est elle qui a repoussé au-delà de la frontière thaïlandaise les forces de la coalition tripartite [2]. Hanoï garde certainement de nombreux conseillers civils et militaires au Cambodge. En novembre, des unités d’élite vietnamiennes ont été à nouveau envoyées, bien qu’en nombre limité, à Battambang, dans l’ouest du pays [3].
Mais le régime de Hun Sen doit maintenant assurer lui-même l’essentiel de sa défense, ce qui représente un véritable tournant dans la situation intérieure. C’est d’autant plus vrai que la Conférence de Paris, réunie en août 1989, s’est terminée une impasse, alors qu’elle devait adopter un plan de règlement négocié du conflit. Cet échec diplomatique s’est confirmé lors de la Conférence de Djakarta, en février 1990. Le champ est donc resté libre, après le retrait vietnamien, pour une intensification de la guerre civile. Phnom Penh doit démontrer sa capacité autonome de combat. La coalition tripartie doit s’assurer, pour rester crédible, du contrôle d’une partie du pays.
Tant que les données militaires de la nouvelle situation ne seront pas plus claires, il est probable que les négociations ne progresseront pas notablement.
Or, l’évolution des combats depuis octobre 1989 semble indiquer qu’il n’y a pas de transformation radicale de la situation, du moins à court terme. Les forces de Phnom Penh ont dû céder du terrain dans le nord et l’ouest du pays, ce qui était prévisible. Cependant, elles ont su mener des contre-offensives significatives, comme la reconquête de la ville de Svay-Check le 23 février, en profitant de la saison sèche qui leur permet d’utiliser une partie de leur matériel lourd.
Les Khmers rouges se sont rapidement emparés du centre minier de Païling, importante position stratégique et économique (pour le trafic de pierres précieuses), dans le massif des Cardamones, proche de la frontière thaïlandaise. La coalition tripartite contrôle une bande de teritoire le long des frontières occidentales et septentrionales du Cambodge, mais ce sont généralement des zones très peu peuplées.
L’insécurité règne sporadiquement dans de nombreuses régions du pays et les unités Khmers rouges peuvent opérer dans les environs de Phnom Penh. Mais aucun centre urbain important n’a encore été réellement menacé — même pas Battambang où il ne semble pas y avoir eu de réels combats, fin 1989, malgré des rumeurs alarmistes.
L’évolution de la situation militaire semble confirmer l’analyse des forces en présence que l’on pouvait faire dès avant le retrait de l’armée vietnamienne.
Les Khmers rouges
Plus de dix ans après la chute de leur régime, les Khmers rouges gardent leur cohésion et restent, sur le terrain, la principale composante de la coalition tripartite. Issus du mouvement communiste cambodgien, ils ont connu durant les années 70 une évolution profonde. Un nationalisme radical, de facture fondamentaliste et raciste, est devenu leur ciment idéologique essentiel. Derrière la façade égalitariste de leur programme, une structure de commandement à la fois occulte et sans appel a assuré la victoire, puis la pérennité de la direction identifiée à Pol Pot, face aux autres fractions du Parti communiste du Kampuchea (PCK). Dès avant 1978, leur base sociale, longtemps réelle,
s’est réduite au fil des purges et s’est progressivement identifiée à leurs forces armées.
Après leur défaite de 1978-79, ils ont pu reconstituer cette armée et leur structure de commandement, grâce au refuge trouvé en Thaïlande. Ils ont fait bon usage de l’aide massive qu’ils ont reçu de la Chine surtout, mais aussi de Bangkok, d’autres pays de l’ASEAN [4], de l’Occident et, via les camps de réfugiés de l’ONU qu’ils administrent. Les Khmers rouges compteraient actuellement de 30 à 40 000 combattants, souvent aguerris, disciplinés et bien armés. Leur principale zone d’opérations se trouve à l’ouest du pays, dans le massif des Cardamones.
Mais leur faiblesse est évidemment politique. Il est difficile d’oublier, au Cambodge comme sur le plan international, le régime de terreur que la fraction Pol Pot des Khmers rouges a instauré une fois sa victoire acquise, dès 1975-76, sur l’impérialisme américain et sur d’autres composantes du communisme cambodgien. C’est cela qui explique que l’armée vietnamienne ait été vu par la population avec suspicion certes, mais également avec soulagement, quand elle est intervenue en 1978 — et que le retour récent de ses unités à Battambang semble être bien accueilli par les habitants de cette ville qui se trouve près de la ligne de front [5].
Les Khmers rouges conservent sans doute un réseau de contacts et de sympathisants au Cambodge. Autour de la frontière thaïlandaise, ils contrôlent une population réfugiée d’environ 100 000 personnes — dont les familles des soldats. Ils peuvent y recruter de force des porteurs,
mais trouvent aussi des jeunes, sans emploi ni espoir d’émigrer, décidés à s’engager dans leur armée au lieu de croupir sur place. Les unités de guérilla peuvent aisément pénétrer en profondeur dans le pays, sous le couvert des immenses zones forestières de l’ouest et du nord. Les Khmers rouges n’ont pas disparus et ne disparaîtront pas, du moins tant qu’ils recevront une aide internationale effective et qu’ils pourront opérer à partir des camps de réfugiés. Le Front national de libération populaire du Kampuchea (FNLPK) et l’Armée nationale sihanoukiste (ANS) sont les deux autres composantes de la coalition tripartite. Ils bénéficient de l’appui politique de l’Occident, à commencer par celui des Etats-Unis, et, pour l’ANS, de l’autorité symbolique que garde le prince-président Sihanouk. Ils contrôlent en Thaïlande d’immenses camps de réfugiés, comprenant peut-être 200 000 personnes. Ils ont reçu une aide matérielle considérable. Pourtant, leurs armées, estimées respectivement à 16 000 et 21 000 hommes restent militairement faibles. Leur principale zone d’opérations se trouve dans le nord-ouest du pays, au-delà de la ville de Sisophon qu’ils n’ont pas réussi à occuper jusqu’à maintenant.
Les composantes pro-occidentales de la coalition anti-Phnom Penh, et notamment Sihanouk, devraient, aux yeux des Etats-Unis, jouer un rôle central dans toute solution négociée du conflit. Mais, affaiblies par des luttes de fractions, engagées dans de trop nombreux trafics, elles n’ont pas su faire leurs preuves. Elles restent incapables de combattre avec efficacité les troupes de Phnom Penh et de marginaliser les Khmers rouges sur le terrain.
Un régime fragile
Dix ans après sa fondation, le régime de Phnom Penh reste fragile, mais il existe sur le plan militaire et administratif. L’armée gouvernementale comprend 30 à 40 000 effectifs, comme les Khmers rouges mais beaucoup moins aguerris — soit environ 150 000 hommes au total, en tenant compte des forces provinciales et des milices locales. La qualité et la discipline de ces troupes sont très inégales.
Les forces régulières possèdent un armement lourd (artillerie, chars, avions) supérieur à celui de la guérilla adverse, mais qu’elles n’ont pas pleinement utilisé, de peur, notamment, de provoquer un incident de frontière avec la Thaïlande en envoyant leur aviation au combat.
Une structure administrative, légère, a été mise en place jusqu’à l’échelon du village. Le régime s’appuie sur la peur des Khmers rouges et sur la faiblesse des sihanoukistes. Il reçoit ainsi une sorte de soutien passif de la part d’une partie notable de la population — dans la mesure, surtout, où il respecte le bouddhisme (redevenu religion d’Etat) et laisse faire en matière économique. Il risque, par contre, de perdre cet appui passif s’il ne sait pas convaincre qu’il fait tout ce qu’il peut pour obtenir la paix.
La libéralisation du commerce a favorisé un extraordinaire développement des échanges et des trafics de toutes sortes. Le Cambodge est devenu une plaque tournante entre l’ASEAN, le Japon, la Corée du Sud et Taïwan, d’une part, et le Viet-nâm (voire le sud de la Chine), d’autre part. Il est auto-suffisant en riz, exporte des produits forestiers, des fruits de mer, des peaux animales et des pierres précieuses. Il importe des produits de consommation, de la motocyclette d’occasion à la limousine flambant neuve. Dans l’immédiat, le gouvernement bénéficie de ce réveil économique. Mais des fortunes se font en renforçant une couche sociale de gros commerçants qui peut demain se dresser contre le gouvernement. La corruption s’étend parmi les fonctionnaires (fort mal payés) et les cadres, ce qui peut aussi lui aliéner la population.
Négociations et légitimité
En temps de guerre, des négociations de paix ne se réduisent jamais à un simple constat des rapports de forces. Elles sont un champ de bataille et influent — plus où moins — sur l’évolution même du conflit. C’est particulièrement vrai au Cambodge, alors que les conséquences des bouleversements internationaux dans cette partie du monde restent à déterminer et qu’aucun mouvement ne peut se prévaloir d’une légitimité assurée.
Cette question, essentielle, de la légitimité pose en termes difficiles la question concrète du droit à l’autodétermination socio-politique du peuple cambodgien, Car c’est avant tout de cela qu’il s’agit. Les forces en présence sont toutes khmères, bien que chacune ait son propre système d’alliances internationales. Les Khmers rouges ne sont pas de simples créatures de Pékin, pas plus que le régime Hun Sen ne l’est d’Hanoï — ou le prince Sinanouk de Paris ou Washington. Quoiqu’en dise la Coalition tripartite, qui justifie son existence au nom du combat contre l’« envahisseur vietnamien », ce n’est pas une lutte de libération nationale. Il y a bien, au Cambodge, une guerre civile.
La souveraineté, présente ou future, du Cambodge n’est évidemment pas acquise. Intégré à l’ensemble indochinois, le pays risque de se voir subordonné au Viet-nâm. Basculant du côté de l’ASEAN, il risque tout autant, si ce n’est plus, de se voir subordonné à la Thaïlande. Sous les Khmers rouge, il s’est trouvé inextricablement intégré à la diplomatie anti-vietnamienne de Pékin. Administré par l’ONU, comme semble le prévoir le plan australien de négociation, il serait soumis aux accords entre grandes puissances. Sans assise populaire et légitimité historique, aucun régime ne peut garantir l’indépendance du pays dans cette partie du monde.
La légitimité peut procéder des urnes : cela n’a jamais été le cas au Cambodge. L’histoire contemporaine de ce pays rend en fait fort aléatoire la tenue d’élections réellement représentatives, même sous le contrôle de l’ONU ! La colonisation française n’a pas été une école de démocratie, loin s’en faut ; l’indépendance non plus.
Après avoir écarté les principaux mouvements de résistance, Sihanouk a inscrit sa propre légitimité dans la tradition de royauté de droit divin. Se transformant ulérieurement en prince moderne, il est resté un autocrate. Le coup d’Etat qui l’a renversé en 1970, avec l’aide de la CIA, a ouvert une sombre période : celle du régime Lon Nol, de la guerre américaine et de ses terribles bombardements aériens. La victoire des Khmers rouges, en 1975, a malheureusement débouché sur l’ère, plus sombre encore, des déplacements massifs de population, des purges sanglantes, de la liquidation physique des élites et du travail forcé.
La trame sociale déchirée
Avec l’avortement brutal de la révolution cambodgienne dans la terreur Khmer rouge, c’est la deuxième source moderne de légitimité populaire qui s’est vu vidée de tout sens : celle qui procède d’une lutte révolutionnaire de libération dans laquelle l’engagement de la population peut s’affirmer plus clairement encore qu’à l’occasion d’élections démocratiques. L’histoire contemporaine du Cambodge et le double traumatisme collectif provoqué par la guerre américaine et le régime Pol Pot, expliquent l’absence actuelle d’organisations représentatives.
La situation est différente de celle qui prévalait en Europe de l’Est. Le régime Hun Sen est en effet beaucoup trop faible pour étouffer toute opposition ouverte. L’impression générale de vide politique a des causes plus profondes ; la trame même de la société cambodgienne semble avoir été déchirée durant les années 70. Dans la dernière période, le processus de reconstitution de cette trame a commencé, notamment sur le plan religieux et économique. Mais il semble que l’on soit encore loin du moment où une partie notable de la population sera en mesure de s’engager à nouveau dans l’action socio-politique.
Dans une telle situation, la question du pouvoir administratif et militaire se pose avec une acuité toute particulière. Le poids d’un mouvement cohérent et bien armé, comme les Khmers rouges, peut en effet être beaucoup plus important que ce que ses effectifs et son implantation limités ne laissent supposer. C’est sur cette question que les négociations ont jusqu’à maintenant buté.
Le réglement introuvable
Le désaccord le plus significatif est probablement celui qui touche à la composition d’une administration transitoire, chargée d’organiser des élections. Pour la Chine et la coalition qu’elle soutient, il faut établir un gouvernement où les quatre fractions cambodgiennes soient représentées à égalité. Le régime Hun Sen se retrouverait ainsi en situation de petite minorité et la présence des Khmers rouges au sein du gouvernement serait légalisée, ce qui leur donnerait une grande liberté d’action. Pour le Viet-nâm et Hun Sen, il faut, au contraire, reconnaître les deux gouvernements existants : le gouvernement de coalition tripartite d’un côté, celui de Phnom Penh de l’autre. Sur cette base, un cessez-le-feu pourrait être organisé sur place, ce qui laisserait, dans la situation présente, le régime Hun Sen en position de force.
La Conférence de Paris sur le Cambodge s’est terminée, en août 1989, sur un constat d’échec sur la définition d’un gouvernement de transition. Pour sortir de l’impasse, un rôle accru est aujourd’hui assigné à l’ONU. Les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations-Unies se sont réunis à plusieurs reprises pour en discuter [6]. Toutes les parties concernées se disent d’accord sur ce principe, mais la conférence de Djakarta, en février 1990, a montré que cela ne réglait pas pour autant le problème de fond.
Pour le Viet-nâm et Phnom Penh, l’intervention des Nations-Unies peut permettre d’éviter la question insoluble de la reconnaissance des Khmers rouges. L’ONU aurait la charge de vérifier la mise en pratique des accords négociés et d’organiser les élections. Les deux gouvernements existants (celui de la coalition tripartite et celui de Phnom Penh) délègueraient ces responsabilités à l’autorité internationale, tout en restant en place et en continuant à administrer les zones sous leur contrôle. Pour la Chine et les Khmers rouges, par contre, l’intervention de l’ONU devrait s’accompagner de la dissolution de l’administration Hun Sen et, toujours, de la formation d’un organisme gouvernemental cambodgien quadripartite.
C’est dans ce contexte que l’Australie a proposé que l’ONU ne se contente pas de vérifier la mise en pratique des accords et d’organiser les élections. L’autorité internationale aurait pour tâche d’administrer temporairement le pays, c’est-à-dire de remplacer l’administration existante dans tous les domaines. À défaut d’un gouvernement quadripartite, la Chine pourrait s’accommoder d’une telle solution. C’est en effet le régime de Phnom Penh, en place, qui perdrait l’essentiel de ses moyens. Hun Sen ne s’y est pas trompé, qui a expliqué à la suite de la conférence de Djakarta qu’il était « prêt à discuter de la mise en place d’une administration civile de l’ONU durant la période de transition », mais qu’il « tenait à ce qu’il soit clair que cela ne voulait pas dire la dissolution du gouvernement de Phnom Penh » [7]. Nguyen Co Thach, ministre des Affaires étrangères du Viet-nâm, a déclaré que « l’ONU ne peut pas mettre le Cambodge sous le contrôle gestionnaire des Nation unies car le Cambodge est un pays indépendant » [8].
L’hypothèque américaine
Le Conseil de sécurité de l’ONU a plus ou moins avalisé le plan australien, Ce qui en dit long sur l’attitude distante de l’URSS par rapport à ses alliés indochinois. Mais on n’a pas précisé à quel point l’autorité internationale devrait remplacer l’administration khmer, ni indiqué les moyens dont elle disposerait. Car pour être mis en œuvre, le plan australien exigerait des moyens humains difficiles à trouver (un personnel international qualifié et parlant le khmer) et des ressources financières prohibitives. On doute, notamment, que Washington soit aujourd’hui prêt à s’engager à ce point sur le Cambodge.
L’administration américaine n’a, en effet, manifesté jusqu’à présent aucune volonté d’accorder une attention prioritaire au dossier cambodgien. Elle n’est certes pas indifférente au sort de l’Indochine et n’a pas oublié l’humiliation de sa défaite en 1975. Elle continue à faire payer au Viet-nâm sa victoire aussi cher que possible. Alors qu’il a engagé Moscou à intervenir, l’année dernière, en Roumanie, pour renverser le régime de Ceausescu, l’impérialisme continue à prendre prétexte de l’intervention de Hanoï contre les Khmers rouges, en 1978, pour isoler le pays.
Les Vietnamiens espéraient que le retrait sans condition de leurs troupes du Cambodge mettrait fin au blocus diplomatique et économique organisé par les Etats-Unis. Il n’en a rien été. Washington oppose toujours son veto aux demandes de prêts que Hanoï présente au Fonds monétaire international (FMI). En octobre dernier, l’ONU a une nouvelle fois voté le maintien, à une majorité écrasante, de la reconnaissance du gouvernement de coalition — donc de la représentation Khmer rouge [9].
L’esprit de revanche impérialiste et la priorité accordée à la Chine semblent toujours tenir lieu de politique indochinoise. L’attitude de Washington sur la question des Khmers rouges est, de ce point de vue, frappante. Ces derniers constituent un moyen de pression efficace contre Phnom Penh et le Viet-nâm, mais ils représentent aussi un obstacle à la mise en œuvre d’une solution pro-occidentale au conflit cambodgien. Ils constituent en effet une force que ni Bangkok, ni Sihanouk ne peuvent prétendre contrôler.
Pourtant, l’administration américaine ne semble pas avoir profité de la situation difficile de Pékin, diplomatiquement affaibli après le massacre de Tiananmen de juin 1989, pour exercer à son encontre une pression décisive. La force des Khmers rouges tient en effet largement à l’appui politique et matériel que leur accorde la direction chinoise.
Les négociations sur le Cambodge se trouvent toujours dans l’impasse, mais il est possible que certaines données importantes se modifient dans le cours de l’année.
Les mois qui viennent seront décisifs pour tester les rapports de forces au Cambodge même. L’impact des bouleversements en cours en Europe de l’Est et en URSS va se préciser. La situation au Viet-nâm est instable. Faute d’un appui assuré de la part de ses alliés traditionnels, le régime de Phnom Penh va dépendre, sur le plan économique, du développement incontrôlé du marché. Sur le plan diplomatique, il va chercher à améliorer ses relations avec certains gouvernements de la région. Tout cela va peser sur son évolution d’une façon qu’il est encore bien difficile de prévoir.
Compte tenu de la position de relatif retrait des Etats-Unis, des puissances régionales commencent à jouer un rôle plus important que par le passé. C’est le cas du Japon, bien entendu, mais aussi de l’Australie qui tente de supplanter la France sur le terrain diplomatique, au grand déplaisir de Paris qui continue à penser que l’Indochine appartient à sa zone d’influence. Aux Etats-Unis, des pressions s’exercent maintenant en provenance de la droite elle-même pour que Washington intervienne plus vigoureusement afin de promouvoir la « contre-révolution démocratique » en Asie et remette ainsi en cause sa politique chinoise [10].
La diplomatie thaïlandaise s’est notablement infléchie depuis l’accession de Chatichai Choonhavan au poste de Premier ministre, en 1988. Sur la question indochinoise, Bangkok avait tissé une alliance étroite avec Pékin et l’armée thaïlandaise n’avait pas ménagé son aide aux Khmers rouges, de façon à exercer une pression maximum sur le Viet-nâm.
La position thaïlandaise sur la question des négociations s’est aujourd’hui assouplie, elle s’est rapprochée de celle de l’Indonésie qui a toujours jugé qu’il ne fallait pas favoriser un renforcement trop grand du poids de la Chine dans la région, au dépend du Viet-nâm. À terme, les propositions de l’ASEAN sur le règlement du conflit pourraient donc se modifier de façon importante.
Le cadre dans lequel se déroulent les négociations sur le Cambodge est donc en train de se transformer substantiellement, même si ce changement est progressif, tant sur le plan international que régional ou national. En ce domaine, l’année 1990 se révélera peut-être un tournant d’importance majeure.
17 avril 1990.