Corse

La visite d’un futur présidentiable

, par VANDEPOORTE Serge

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Pendant 48 heures, Lionel Jospin a arpenté la Corse. Il s’agissait de mettre un bémol aux discours ultrajacobins d’un Chevènement qui risque de créer plus de problèmes à un futur présidentiable qu’il n’apporte de solutions. Rien n’est cependant réglé dans l’île.

Dans les valises de Jospin, en fait, ni nouveautés ni éventuelle avancée institutionnelle. Au grand dam de certains élus de la droite, comme José Rossi de Démocratie libérale, ou de Jean-Guy Talamoni, conseiller régional Corsica Nazione, issu d’A Cuncolta naziunalista, l’organisation toujours solidaire du FLNC dit Canal historique, sans parler des cinq conseillers radicaux de gauche signataires d’un appel en faveur d’un statut d’autonomie interne.
Devant l’Assemblée territoriale, Jospin a fixé les grandes lignes de son action : poursuite des enquêtes financières et fiscales et renforcement du pôle judiciaire siégeant à Bastia ; maintien de la pression sur le terrain de la lutte dite antiterroriste ; plus grande vigilance quant à l’utilisation de l’argent public. Une politique sur le moyen terme qui devrait, dans l’esprit de ses concepteurs, permettre au Premier ministre d’aborder sa future campagne présidentielle en évitant de laisser se développer un nouvel abcès de fixation en Corse. Sur ce point, l’avenir dira si les pronostics s’avèrent justes.
Car, s’il est vrai qu’une grande partie de la population manifeste une forme de rejet de la violence, cela ne signifie pas une adhésion à la politique gouvernementale. Une porte de sortie a été entrebâillée, lorsque Jospin a rappelé qu’il n’était toujours pas hostile à la reconnaissance juridique du peuple corse et que tout pouvait se discuter à la condition que cessent toutes les manifestations de violence. Une balle a donc été lancée dans le camp des tenants de la clandestinité, lesquels ont aussitôt fait connaître leur réponse en revendiquant cinq attentats durant la visite gouvernementale.
De cette incursion, nous ne retiendrons donc que bien peu de choses. Ou, plus exactement, il faut constater qu’aucune perspective positive n’a vu le jour. On aurait aimé entendre le Premier ministre s’exprimer sur les écrasantes responsabilités de l’Etat français au regard de la situation faite à la Corse. C’est du bout des lèvres qu’il a bien voulu reconnaître ce qu’il a pudiquement appelé les « dysfonctionnements passagers » des représentants de l’Etat. Quant à la situation sociale, il n’en fut purement et simplement pas question.
Un gouvernement sans projets réels, un mouvement national encore englué dans ses contradictions et une classe politique traditionnelle dans l’incapacité totale de promouvoir ne serait-ce que quelques idées : voilà le vrai décor de cette Corse à l’aube d’un nouveau millénaire. Mais cet apparent statu quo ne durera pas car, dans l’ombre, se des forces s’agitent. Des capitaux à provenance plus que douteuse cherchent aujourd’hui des points de chute. Voilà pourquoi, avec insistance, d’aucuns réclament des modifications fiscales et un « aménagement » de la loi littorale (traduisez le droit de spéculer tout au long des côtes).
Devant ces enjeux, il faut qu’une alternative politique voie le jour. Déjà, les associations de défense du littoral ont appelé à la mobilisation et deux organisations politiques, A Manca naziunale et Corse social-démocrate, soutiennent cette démarche. Elles font signer la pétition dont le but est le maintien des dispositifs de protection dont la loi littorale est la pierre angulaire.
Sur le terrain social, les choses sont moins avancées. Les deux principaux syndicats, la CGT et le Syndicat des travailleurs corses, semblent encore frappés d’une certaine apathie. En ce domaine, il serait totalement illusoire de compter sur le PS et le PCF qui n’ont pas émis la moindre remarque à propos de la politique économique et sociale de l’actuel gouvernement.
La tâche est donc immense et, pour que soit enfin renversée la vapeur, il faudra au seul mouvement ouvrier retrouver le chemin des luttes sans occulter la question nationale. Malgré les errements des organisations nationalistes, cette dernière demeure en effet d’une brûlante actualité.

Source

Rouge, n° 1841, 16 septembre 1999.

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