La solution ne peut être locale

, par SAMARY Catherine

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Catherine Samary, spécialiste des Balkans et auteure de Yougoslavie de la décomposition à l’Europe (Éditions du Cygne, 18 euros), revient sur la proclamation unilatérale d’indépendance du Kosovo.

  • Quelle est l’importance de cette proclamation ?

Catherine Samary — Pour les Albanais du Kosovo, l’aspiration à se retrouver, soit dans un cadre albanais unifié, soit dans un État souverain du Kosovo, est ancienne et profonde. C’est une revanche historique, d’ailleurs le choix inverse des grandes puissances avait prévalu lors de la mise en place de l’État albanais, en 1912, lorsque le Kosovo fut « attribué », sous pression russe, à la Serbie. La déclaration d’indépendance est évidemment perçue en sens inverse à Belgrade, à la fois comme une transgression du droit international, une perte symbolique du « berceau » du premier État serbe et une source d’insécurité pour les quelque 120 000 Serbes du Kosovo (sur une population globale d’environ 2 millions), dont près de la moitié vit dans des enclaves.

  • Le nouvel État est-il viable ou ne sera-t-il qu’un « dominion » européen ?

C. Samary — Comme la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo sera formellement indépendant, mais sous la tutelle d’un « représentant spécial » de l’Union européenne ayant compétence pour abroger des décisions ou des lois adoptées par les autorités du Kosovo et pour sanctionner et révoquer des agents publics jugés indéquats, avec de surcroit l’arme d’une « mission Eurolex » de 1900 policiers, magistrats, douaniers. La présence de l’Otan est maintenue, c’est l’euro, géré par la Banque centrale allemande, qui a cours au Kosovo.

  • Avec un fort taux de chômage, une dépendance des fonds extérieurs, des zones grises et l’action de mafias locales, quelles sont les perspectives économiques ?

C. Samary — Le trafic et les mafias sont nourris par la pauvreté, l’absence de reconstruction d’un cadre légal et social stable et la présence internationale. Les conflits sur les privatisations des ressources minières, l’absence de financement public et l’euro ont réduit dramatiquement les activités productives. Le Kosovo est devenu une zone de commerce et de trafic dominée par des produits occidentaux, en direction notamment du personnel étranger. Des milliers d’hectares de terres fertiles ont été sacrifiés à la construction de bâtiments commerciaux. Le pays connaît des coupures récurrentes d’électricité, alors qu’il dispose de ressources potentiellement suffisantes pour tous les Balkans. Après près de neuf ans de protectorat, le Kosovo, avec quelque 50 % de chômeurs, a un PIB (annuel) d’environ 1 000 euros par habitant, dont une bonne part est basée sur les salaires étrangers.

  • L’indépendance du Kosovo peut-elle avoir un « effet domino » ?

C. Samary — Elle sera exploitée par toutes les communautés à logique sécessionniste. La Russie l’utilisera de son côté comme chantage dans d’autres négociations. Mais les tensions principales vont se situer dans les Balkans. Un référendum d’autodétermination dans la partie serbe de Bosnie-Herzégovine est possible, ainsi que dans les zones frontalières, à dominante albanaise, en Serbie. Il y a aussi des interrogations sur la stabilité de la Macédoine, en dépit des droits obtenus pour la population albanaise, qui compte pour 25 % de la population. Les promesses d’intégration européenne, censées tempérer les tensions, sont malheureusement peu crédibles et bien trop arrogantes. Mais l’instabilité touchera d’abord le Kosovo lui-même, notamment à la frontière serbe, encouragée par l’évolution interne en Serbie. L’accumulation des échecs serbes et la guerre de l’Otan ont légué des frustrations majeures en Serbie, que les politiques économiques néolibérales n’ont certainement pas calmées. Il y a une très grande imbrication des questions balkaniques et une stabilisation ne peut être purement locale. Les droits nationaux reconnus doivent être cohérents et assortis de mécanismes d’égalité et de cohésion sociale. Mais est-ce seulement un problème balkanique ? Il faudrait une autre construction européenne.

P.-S.

Propos de Catherine Samary recueillis par Daniel Süri.

Rouge, n° 2241, 28 février 2008.

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