- Mariana Carneiro : La cupidité et la corruption des dirigeants du parti au pouvoir, le FRELIMO [1], jouent un rôle central dans le conflit du Cabo Delgado. Mais ce rôle ne serait pas possible sans le soutien et l’encouragement de la communauté internationale, des institutions et des banques étrangères.
Joseph Hanlon : Le FRELIMO s’est imposé dans la période post-indépendance comme un gouvernement multiracial se réclamant socialiste et qui représentait une menace pour les États-Unis d’Amérique et l’Afrique du Sud de l’apartheid.
Lorsque Ronald Reagan est devenu président des États-Unis, il a intensifié la guerre froide et déclenché des guerres par procuration. L’une de ces guerres a eu lieu au Mozambique. Les États-Unis ont utilisé l’Afrique du Sud pour attaquer le pays, créer la RENAMO [2], etc.
Avec la fin de la guerre froide, la guerre par procuration a pris fin. Les dégâts ont été énormes. Au moins un million de personnes sont mortes dans cette guerre. Les infrastructures ont été gravement touchées, la RENAMO ayant détruit toutes les activités économiques dans les zones rurales. La Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) sont arrivés et ont dit : « Nous allons vous sauver ». Et ils ont exigé la même chose que ce qu’ils ont imposé en Europe de l’Est et en Asie centrale : une « thérapie de choc », qui consiste essentiellement à tenter de convertir rapidement les « communistes » en capitalistes. Et pour créer des oligarques et une corruption massive, ce qui est arrivé au Mozambique.
Ainsi, depuis 1995, de nouveaux capitalistes ont été créés au Mozambique [3]. On leur donne des entreprises privatisées, on leur accorde des prêts de la Banque mondiale, sans avoir à se soucier de les rembourser… Et leurs entreprises dépendent entièrement de contrats avec l’État. Le fait qu’ils soient l’élite de l’État est donc le moyen de devenir des hommes d’affaires. La construction du Mozambique capitaliste passe par une fusion du parti et des affaires.
Il est important de mentionner qu’en 1995, le Mozambique était un pays extrêmement pauvre. À l’époque, les ressources naturelles n’étaient pas encore exploitées. Toutes les connexions pour faire de l’argent impliquaient des capitaux étrangers. Au cours des vingt années suivantes, un système a été développé que j’appelle « oligarques compradores » [4]. Le plus grand oligarque est Armando Guebuza, possiblement déjà l’homme le plus riche du pays lorsqu’il est devenu président du Mozambique [5]. Ce qui est important à propos d’Armando Guebuza, c’est qu’il avait été commandant du FRELIMO pendant la guerre de libération nationale [6].
Sous la présidence de Guebuza [7], un système très complexe de clientélisme est créé. Le FMI et la Banque mondiale ont appris aux Mozambicains qu’il faut payer pour tout, même pour les services qui devraient être garantis par l’État. Ce fut le capitalisme.
Dans ce système clientéliste, toutes les personnes en dessous de vous font ce que vous leur dites de faire. Et vous faites ce que tout le monde au-dessus de vous vous dit de faire. Et la personne au milieu gagne de l’argent grâce à sa position. Ce système est connu localement sous le nom de cabritismo [8], d’après le dicton « la chèvre mange là où elle est attachée ». Au niveau du district, à un moment donné, le responsable local reçoit un appel téléphonique d’un ministre ou d’un gouverneur lui indiquant de céder des terres à une certaine personne. Tout le système fonctionne de cette manière, au point que l’éducation est capturée par la machine électorale. Les enseignants doivent satisfaire le directeur de l’école en travaillant activement [pour le FRELIMO] lors des élections et, en contrepartie, ils peuvent demander des pots-de-vin aux élèves et aux parents, et ils ne sont pas tenus d’assister aux cours [9]. Les enseignants de l’opposition [10], quant à eux, sont mutés dans une école de brousse.
- Mariana Carneiro : Quand la vague de privatisations a-t-elle commencé au Mozambique ?
Joseph Hanlon : Pendant la guerre. Le Mozambique a littéralement privatisé des milliers d’entreprises. C’était une condition de la « thérapie de choc » imposée par le FMI et la Banque mondiale, qui exigeaient également la privatisation des banques commerciales publiques (Banco Comercial de Moçambique et Banco Popular de Desenvolvimento). Les entreprises les plus rentables ont été confiées à des multinationales étrangères. Et tout le reste est allé à l’élite mozambicaine. Le FRELIMO lui-même voulait acheter les généraux pour la guerre, en leur donnant des entreprises, des terres, etc.
L’une des choses que nous savons maintenant, officiellement, est que la Banque mondiale a insisté pour que des prêts soient accordés aux Mozambicains pour qu’ils acquièrent les entreprises privatisées. Ce processus a été réalisé grâce à un fonds de la Banque mondiale. Les banques mozambicaines ont prévenu que ces entreprises ne seraient pas en mesure de rembourser les prêts. Un rapport d’évaluation interne officiel indique que la Banque mondiale leur a donné pour instruction de continuer à les leur accorder.
- Mariana Carneiro : Entre-temps, les ressources minérales sont apparues…
Joseph Hanlon : À partir de 2005, plusieurs ressources ont été découvertes et on a pris conscience que le Cabo Delgado [11] était riche en minéraux. Il y a du graphite, des rubis, des sables bitumineux…
La mine de rubis est contrôlée par l’oligarque Raimundo Pachinuapa, qui était un combattant de la guérilla dans la lutte de libération nationale [12].
- Mariana Carneiro : C’est devenu un général…
Joseph Hanlon : Un général et membre du comité politique du FRELIMO. Près de soixante ans plus tard, ce sont les mêmes personnes qui dirigent le parti.
Et le plus grand oligarque du Cabo Delgado est Alberto Chipande, celui qui aurait tiré le premier coup de feu pendant la guerre [13]. Chipande est également toujours resté membre de la commission politique du FRELIMO en tant que « parrain » de Cabo Delgado.
- Mariana Carneiro : Pachinuapa s’est allié avec les Britanniques de Gemfields…
Joseph Hanlon : Il a utilisé sa position pour s’emparer des terres où se trouve la mine, a chassé des milliers de personnes et a confié à Gemfields 75 % de l’entreprise à condition de ne rien faire et de garder 25 % de l’argent récolté.
Le directeur de Gemfields au Mozambique est Samora Machel Júnior, Samito [14]. Tout se fait en famille. Ces gens contrôlent l’économie du Cabo Delgado : le légal et l’illégal. Et ce qui est légal ou illégal change. Les habitants de la côte faisaient le commerce de ces produits — ivoire, bois, etc. — depuis des générations. C’est devenu, techniquement, illégal, mais personne au départ n’a pris cette interdiction très au sérieux. Entre-temps, les oligarques en sont venus à contrôler toutes ces transactions, en association avec les familles de commerçants asiatiques établies dans la province. Dans le sud de l’Italie, il existe un ensemble de familles mafieuses qui contrôlent le territoire. Au Cabo Delgado, il y a un groupe d’oligarques qui contrôle l’économie.
Ainsi, les investissements au Cabo Delgado n’ont pas profité et ne profitent toujours pas à la population car les oligarques gardent tout l’argent.
- Mariana Carneiro : Les oligarques et les multinationales étrangères…
Joseph Hanlon : Attention, je parle ici de la période encore antérieure au gaz naturel. En ce moment, nous avons le commerce du bois qui va en Chine, le trafic de la drogue venue d’Afghanistan.
Lorsque le gaz est découvert, vers 2010, l’échelle devient différente. Il s’agit du deuxième plus grand champ gazier d’Afrique. Et cela arrive à un moment où le gaz naturel liquéfié (GNL) est transporté dans le monde entier. Un gaz qui, il y a vingt ans, n’aurait eu aucune viabilité marchande, peut maintenant être transporté sous forme de GNL.
Soudain, les gens se sont mis à parler d’énormes sommes d’argent : 100 milliards d’euros d’investissements, des revenus pour le Mozambique en vingt-cinq ans de 95 milliards d’euros. L’élite politique et économique pensait que le Mozambique serait « l’El Dorado », tout comme Abu Dhabi, le Qatar ou le Koweït.
- Mariana Carneiro : Et puis le Crédit Suisse entre en scène…
Joseph Hanlon : Le Crédit Suisse a établi des liens avec Guebuza, ou du moins avec la famille de Guebuza. Et il a proposé un accord formidable : un prêt de 2 milliards de dollars qui n’aurait pas à être remboursé, car l’argent du gaz le couvrirait, et un système de protection des côtes. De plus, les pots-de-vin perçus pourraient s’élever à 300 ou 400 millions de dollars. Le tout gratuitement. Et les Mozambicains ont dit oui, ça leur semblait être une bonne affaire. Le Crédit Suisse a toutefois prévenu que cet accord devait rester secret, car il violait les règles du FMI. Nous parlons d’une des plus grandes banques du monde qui dit : « Ne vous inquiétez pas, tout va bien, le gaz remboursera le prêt ». La banque a donc voulu augmenter la taille de la dette, augmenter le montant du prêt. La proposition secrète prévoyait la création d’une flotte de pêche au thon, d’une société de sécurité maritime et d’une société de réparation et d’entretien de navires.
Lorsque le prêt à Ematum — Empresa de Atum de Moçambique [15] — a été rendu public en 2013, le gouvernement mozambicain a garanti qu’il n’y avait plus de dettes, et le FMI a seulement demandé que le prêt soit inclus dans le budget de l’État. Cependant, en avril 2016, le Wall Street Journal a révélé une dette cachée de 622 millions de dollars au profit de ProIndicus [16] et une autre de 535 millions de dollars de MAM [17], toutes deux assorties de garanties de l’État mozambicain. Une fois de plus, le gouvernement mozambicain a affirmé à la face de Christine Lagarde que l’accord secret n’avait pas eu lieu, qu’il n’y avait pas de dette cachée [18].
Les prêts accordés aux trois sociétés — Ematum, ProIndicus et MAM — prévoyaient d’importants achats de bateaux, d’avions, d’équipements de communication et d’autres matériels en provenance de France, d’Allemagne, du Portugal, de Turquie, de Chine, d’Inde, d’Israël, de Suède, d’Autriche, de Roumanie et des États-Unis.
Deux autres crédits fournisseurs secrets de 221 millions de dollars contractés par le ministère de l’Intérieur entre 2009 et 2014, dont des voitures blindées pour répondre aux menaces d’émeutes à Maputo en avril 2016, ont également été rendus publics. Au total, le gouvernement a secrètement garanti 2 228 millions de dollars de dettes.
Christine Lagarde a considéré comme une offense personnelle le fait d’être trompée par des ministres du gouvernement du Mozambique. Le FMI a alors annulé les lignes de crédit et les donateurs d’aide budgétaire ont cessé leurs paiements. Mais ils ont continué à financer des projets [19].
Le FRELIMO a réussi à survivre à cette situation, en cessant de payer ses factures, en abandonnant des projets…
Une étude récente du CIP [20] révèle que le coût réel des dettes cachées pour les Mozambicains s’élève à 11 milliards de dollars, essentiellement en raison des dommages que les donateurs ont causés à l’économie, pour punir le gouvernement. Et les sanctions fonctionnent rarement, car elles pénalisent les gens, pas les gouvernements.
- Mariana Carneiro : Que s’est-il passé avec l’avancée de l’exploration gazière ?
Joseph Hanlon : Le projet gazier a avancé dans une première phase avec la compagnie pétrolière nord-américaine Anadarko [21] et la compagnie italienne ENI. À cette époque, plusieurs étrangers et personnes du Sud [22] ont commencé à venir au Cabo Delgado. La population locale a réalisé qu’elle ne bénéficierait pas de l’exploration gazière. Anadarko a déclaré aux banquiers que 15 000 travailleurs, principalement des Philippins, seraient amenés de l’étranger.
L’accord de prêt de 14,9 milliards de dollars, signé en juillet 2020 pour financer le projet gazier, prévoyait que UK Export Finance garantirait 1 milliard de dollars, soutenant la création de 2 000 emplois au Royaume-Uni, et que US Export-Import Bank interviendrait à hauteur de 4,7 milliards de dollars, ce qui garantirait 16 700 emplois aux États-Unis. Le projet de construction lui-même ne fournirait que 2 500 emplois aux Mozambicains. De plus, la plupart des emplois mozambicains ne seraient pas occupés par des personnes du Cabo Delgado, ce qui a alimenté les sentiments de marginalisation et d’injustice.
- Mariana Carneiro : Et ce sentiment d’exclusion est finalement exploité par les insurgés, connus localement sous le nom de machababos.
Joseph Hanlon : Oui. Il y a un phénomène mondial de fondamentalistes, chrétiens comme muslmans. Dans le nord du Mozambique et en Tanzanie, nous avons les deux en même temps. La région côtière mwani [23] est musulmane. Et il y a là des prédicateurs fondamentalistes qui disent aux enfants et aux jeunes de la région que la charia apportera l’égalité, garantissant à chacun une part de cette richesse. Leur message est très simple : la charia est socialiste. C’est le message que les mouvements de libération nationale diffusaient à la fin des années 1960 : celui de l’indépendance et que le socialisme garantirait une redistribution équitable des richesses. Plus de cinquante ans plus tard, le message est le même, mais au lieu de l’indépendance, c’est la charia.
Il existe un autre phénomène qui est également à l’origine de la guerre à Cabo Delgado : la violence au long de la côte. Les habitants sont convaincus que les élites ne veulent pas seulement les exploiter, mais aussi les tuer [24]. Et donc ils croient qu’ils doivent combattre et peut-être tuer les élites. La méfiance est totale. Parce qu’ils ont l’habitude de devoir payer pour avoir accès aux services de santé, si quelqu’un vient leur dire qu’il va mettre du chlore dans l’eau et ne leur demande pas d’argent, ils pensent qu’il va mettre le choléra dans l’eau et qu’il veut les empoisonner. Des professionnels de la santé et des élites ont été tués à coups de machette.
Si nous regardons les paysans mozambicains, ils n’ont que deux outils : les houes et les machettes. C’est un outil agricole. Lorsque les machababos [25] ont commencé à faire les premières incursions, avec une douzaine de personnes, ils n’avaient qu’une ou deux armes. Les attaques ont été faites avec des machettes.
Lorsque l’attaque de Mocímboa da Praia a eu lieu [26], le recrutement a commencé parmi les habitants locaux. La guerre s’est étendue. Depuis lors, nous avons vu l’utilisation de tactiques de guérilla. Si nous regardons la guerre de la Renamo, nous trouvons plusieurs similitudes. Et cela n’a rien à voir avec l’islamisme fondamentaliste. C’est ce que font les guérilleros. Il est possible qu’ils reçoivent une formation de l’extérieur. Le Cabo Delgado devient un point d’ancrage, et certainement des djihadistes sans liens organisationnels préalables sont attirés dans la province [27].
L’attaque de Mocímboa da Praia de 2020 était probablement mieux coordonnée. Toutes les armes, à l’exception peut-être des mortiers, avaient été volées à la police. Mais à Mocímboa da Praia, quelqu’un a coulé un bateau avec un lance-grenades RPG. Je pense que cela suggère que cette personne a été formée et a appris à le manier.
Les machababos ne transmettent pas un message islamique, mais un message anti-gouvernemental. À Palma [28], ils ont dit à la population [du bourg] qu’ils ne voulaient pas les toucher, pas plus que les paysans. La cible était l’administration du district. Ils n’ont même pas touché les intérêts internationaux. Ce sont les soldats du gouvernement qui ont passé dix jours à mettre Palma à sac [29].
- Mariana Carneiro : […] et à piller des banques.
Joseph Hanlon : C’est vrai.
- Mariana Carneiro : Pendant ce temps, la guerre s’intensifie…
Joseph Hanlon : Lorsque le gouvernement a eu recours à des mercenaires, les insurgés ont cherché un soutien pour équilibrer les forces. Et il semble qu’ils aient pu vaincre les Russes [Groupe Wagner] très facilement. Mais ils n’ont pas pu vaincre le DAG [Dyck Advisory Group, d’Afrique du Sud].
- Mariana Carneiro : Quelle est la meilleure façon de combattre cette guerre ?
Joseph Hanlon : La meilleure façon de résoudre cette guerre est de créer des emplois. La plupart des insurgés se battent parce qu’ils veulent un travail, un salaire. Si 10 000 emplois étaient créés, la guerre serait terminée, car il n’y aurait plus personne pour se battre. Et c’est facile à faire, nous savons comment le faire.
Je donne toujours l’exemple de Franklin D. Roosevelt aux États-Unis, président pendant la grande dépression des années 1930. La crainte était que les chômeurs deviennent communistes et renversent le gouvernement. Roosevelt a institué la Works Progress Administration (WPA), qui a créé très rapidement des millions d’emplois et assuré la scolarisation et la formation professionnelle des travailleurs.
Si nous le voulions, nous pourrions arrêter la guerre, mais il semble que personne ne soit intéressé à le faire.
- Mariana Carneiro : À l’heure actuelle, plusieurs pays veulent participer à l’action.
Joseph Hanlon : Tout le monde veut jouer. Tout le monde veut envoyer ses soldats au Mozambique, pour différentes raisons.
- Mariana Carneiro : Qu’est-ce que ces pays ont l’intention de défendre ?
Joseph Hanlon : S’ils envoient des troupes, même si ce n’est que pour une formation, ils ne peuvent pas dire qu’ils envoient l’armée pour aider les oligarques à tuer des paysans affamés. Ils doivent dire qu’ils vont aider à combattre « l’Empire du mal ». Et qui est le nouvel « Empire du mal » ? L’islam. La version doit donc être que toute cette situation est liée au terrorisme islamique et vient de l’extérieur.
Les États-Unis d’Amérique prennent la tête de ce processus. Le pays souhaite depuis longtemps disposer d’une base au Mozambique, à Nacala. C’est un endroit assez profond pour les sous-marins [30], et il y a un grand aéroport. Par conséquent, les États-Unis veulent faire du Mozambique le nouvel Afghanistan.
Le Portugal et l’Afrique du Sud ont tous deux perdu des guerres au Mozambique. L’Afrique du Sud a perdu la guerre de la Renamo, et le Portugal a perdu la guerre d’indépendance. Ils veulent absolument avoir des troupes sur le terrain pour des raisons psychologiques [31]. Et les armées de ces pays ont besoin de soutien. L’Afrique du Sud réduit son budget militaire. Si l’Union européenne paie l’Afrique du Sud pour qu’elle envoie ses soldats, ce serait merveilleux. Le Portugal a encore la gueule de bois après avoir été battu par le FRELIMO.
La France et l’Afrique du Sud veulent également continuer à contrôler le canal du Mozambique et la France est très intéressée par l’envoi de la Légion étrangère dans ce pays.
Il est intéressant de noter qu’aucun des pays qui veulent envoyer du personnel militaire au Mozambique n’a jamais gagné une guerre de guérilla. Ils envoient une bande de perdants pour aider le Mozambique.
- Mariana Carneiro : C’est une bonne perspective…
Joseph Hanlon : Tous les perdants veulent réessayer.
La France a encore un autre problème. Le pays veut vraiment défendre Total et sécuriser l’exploration du gaz.
Il reste le Rwanda, qui a une armée très professionnelle. Ils sont l’un des principaux contributeurs aux forces de maintien de la paix en Afrique. Ils peuvent créer la zone de sécurité dont Total a besoin [32], si la France ou l’Union européenne paie. Plusieurs négociations sont encore en cours [33].
- Mariana Carneiro : Mais l’avenir du gaz est également conditionné par la crise climatique.
Joseph Hanlon : Lorsque le gaz a été découvert il y a dix ans, c’était le carburant miracle. Il contient deux fois moins de carbone que le charbon, est excellent pour l’environnement, etc.
Deux objectifs différents en matière de réchauffement climatique sont utilisés — une augmentation de la température par rapport aux niveaux préindustriels de 1,5° C ou 2° C. La différence semblait minime jusqu’à ce que des scientifiques et des hommes d’affaires y regardent de plus près.
Pour le Mozambique, un réchauffement de 2 ºC entraînerait des cyclones beaucoup plus violents et des sécheresses plus graves qu’avec un réchauffement de 1,5º C.
BP l’année dernière et, très récemment, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) ont réalisé des modèles sur ce que serait la consommation d’énergie à 1,5° C et à 2° C. À 1,5° C, le pic de gaz a déjà été atteint. L’AIE a souligné que dans ce cas, il n’y a plus de marché pour le nouveau gaz.
- Mariana Carneiro : En gros, il dit qu’il n’y a pas d’avenir pour le développement de projets gaziers au Mozambique ?
Joseph Hanlon : Si le monde s’accorde sur un objectif de 1,5° C, il n’y a pas de marché. Mais les compagnies gazières espèrent un objectif de 2° C, car cela signifiera un énorme marché pour le gaz, y compris celui du Mozambique.
Le Mozambique est invité à accepter l’argent du gaz en échange d’une aggravation des cyclones et des sécheresses. Une fois de plus, c’est le peuple qui souffrira.
Mais l’environnement change. Ces dernières semaines, ExxonMobil a subi une énorme pression de la part de ses actionnaires, qui affirment que l’entreprise deviendra plus rentable si elle cesse d’exploiter les combustibles fossiles. Il semble peu probable qu’ExxonMobil aille de l’avant avec sa part du gaz au Cabo Delgado.
La décision de Total devra tenir compte de la sécurité et du marché. Il faut comprendre que la seule fonction des PDG de ces entreprises est d’augmenter le prix des actions. Le PDG de Total aura disparu bien avant que le projet ne commence à produire du gaz.
- Mariana Carneiro : Dans ce contexte, quels sont les meilleurs et les pires scénarios ?
Joseph Hanlon : Le meilleur scénario est de créer 10 000 emplois et de mettre fin à la guerre. Le pire scénario est que le Mozambique se transforme en un nouvel Afghanistan.
Mariana Carneiro est journaliste au site Esquerda.net, lié au Bloc de Gauche portugais.