Comprendre la crise récente des Commissions ouvrières, plus précisément la crise de la majorité de la direction, n’est pas une tâche facile tant les différences de ligne syndicale ne sont ni claires, ni explicites, alors que parfois ces différences sont niées, tout en étant alors attribuées à des luttes internes de pouvoir. C’est aussi pour cela qu’il est difficile d’imaginer les conséquences et changements consécutifs à cette crise dans le syndicat.
Pour expliquer la crise qui a amené à la destitution du « numéro deux » dans la hiérarchie, Rodolfo Benito, secrétaire à l’organisation, il faut remonter au VIIe congrès, tenu en avril 2000, sans oublier les résultats du VIe congrès.
Apparition du secteur critique
Au cours des débats du VIe congrès un secteur critique s’était cristallisé qui, réclamant un tournant à gauche ainsi qu’un retour à la démocratie et au pluralisme au sein du syndicat, obtint un tiers des suffrages et le soutien de membres de l’Éxécutif confédéral. Ceux-ci furent expulsés de la direction effective du syndicat durant quatre années jusqu’au VIIe congrès (il y eut même appel à la police pour les déloger du siège).
S’était ainsi installée dans les Commissions ouvrières l’idée perverse que dans un mouvement de masse on pouvait procéder entre « majorité » et « opposition » à l’appropriation par la seule majorité de l’outil collectif, politique et matériel que représente le syndicat, construit pourtant avec la volonté et l’énergie de tous les adhérents. C’est en toute impunité et sans aucune inquiétude démocratique ni remous, que la majorité dans sa totalité estimait qu’il fallait réprimer et asphyxier le courant critique. Il s’agissait d’éviter sa consolidation alors que les critiques de ce courant gagnaient de l’audience, avec le poids de ses dénonciations et la cohérence de ses analyses et positions.
Le VIIe congrès se présentait quasiment dans les mêmes termes que le précédent en ce qui concernait les discussions idéologiques et la ligne syndicale. Le courant critique argumentait sur la nécessité de réorienter l’action syndicale, en partant de positions plus exigeantes, revendicatives et mobilisatrices pour affronter un gouvernement de droite installé depuis 1996 qui prône une politique néo-libérale extrêmement dure et régressive sans avoir rencontré aucune opposition syndicale et politique digne de ce nom. Malgré la répression interne qui fut intense à son encontre, et sa situation organisationnelle précaire, le courant critique a recueilli à nouveau 30 % des suffrages.
Au sommet, calme plat...
Mais l’objectif réel du congrès était ailleurs : fondamentalement il s’agissait de savoir comment ceux qui avaient accaparé le pouvoir allaient se le partager entre factions au sein de la majorité, laquelle n’a pas hésité à réformer les statuts, en arrivant à supprimer des droits institutionnels fondamentaux, pour mieux relever le grand défi du remplacement du chef jusque là incontesté, le secrétaire général, Guttierrez,
Pour le remplacer, il y avait trois candidats, avec certaines différenciations politiques certes, mais tous trois défendant un même texte sur la stratégie syndicale et adoptant le même comportement antidémocratique. D’un commun accord, avec la bénédiction de Gutierrez, ils se consentirent un sursis pour rechercher et obtenir des appuis (c’est pour cette raison que le congrès fut reporté de quelques mois) en s’étant entendus sur le fait que serait désigné celui qui aurait conquis le plus grand nombre de soutiens dans la majorité. Arrivèrent ainsi en premier Toxo – secrétaire de la métallurgie, et Benito – secrétaire de la fédération madrilène. Fidalgo, membre de l’Exécutif confédéral arrivait largement derrière en troisième position, malgré la mise à sa disposition de l’appareil central, c’est-à-dire de ceux qui avaient permis la désignation « présidentielle » de Guttierez. Celui-ci, au vu des résultats de ces « primaires », revint sur les compromis antérieurs en exigeant le retrait des deux candidats arrivés en tête. Fidalgo était le meilleur candidat pour garantir la continuation de la politique de Gutierrez, c’était le candidat le plus droitier, le plus faible et donc le plus manipulable. Benito céda le premier, en échange d’une position privilégiée dans le syndicat avec un poste excellent – celui de secrétaire à l’organisation – lui permettant de se préparer à un prochain assaut vers la première place. Toxo résista un peu plus, mais se rendit sans livrer bataille espérant des « temps meilleurs » et, en attendant, se retranchant dans sa puissante fédération de la métallurgie. Et c’est ainsi qu’un Fidalgo sans idéologie (il se pare en guise de titre de gloire de n’avoir jamais milité dans un parti politique), sans appuis forts, basant son pouvoir sur un équilibre des forces, mais en tous cas prônant des conceptions très droitières, est arrivé à s’emparer du Secrétariat général.
... avant tempête
Dans les deux premières années de son mandat, Fidalgo a scrupuleusement fait ce qu’on attendait de lui, acceptant sans résistance la politique gouvernementale – allant jusqu’à l’applaudir parfois, négociant et signant des pactes avec le Parti Populaire dans un enthousiasme digne de meilleures causes. D’un autre côté, il n’a cessé de frapper durement sur les oppositionnels qui dénonçaient une ligne syndicale catastrophique, incapables à son avis de « comprendre » et de « s’adapter » aux « nouvelles tâches du syndicalisme ». Il est vrai que personne n’a pu se sentir trompé ou surpris par Fidalgo, sauf peut-être Gutierrez une fois que son Dauphin eut pris de l’autonomie.
Le syndicat paraissait installé dans une normalisation plus apparente que réelle. Et d’abord, constituait une anomalie le traitement administré au courant critique – un tiers de l’organisation écartée de la direction confédérale. Ensuite, parce que le VIIe congrès ne s’était terminé qu’en apparence. Toxo et Benito gardant la tête haute n’avaient pas cessé de manœuvrer pour passer à l’assaut final au prochain congrès. Rien ne laissait cependant présager la crise qui allait survenir, tant dans ses caractéristiques, que dans les nouvelles alliances forgées. D’emblée, Fidalgo et Benito se déclarent incompatibles, Fidalgo reprochant à Benito son manque de loyauté. Benito jura que jamais il n’avait voté contre la ligne, contre rien de rien, tout en commençant à se rêvetir, une fois la crise ouverte, d’une léger voile idéologique un peu critique quant à l’évolution du syndicat. Manière de prendre date pour l’avenir. Toxo, dans l’ombre, prît sa revanche et exigea la destitution de Benito que Fidalgo prononcà en fin de compte, entraînant la démission de trois autres membres de l’Exécutif.
Aucune explication politique n’a été donnée, si ce n’est quelques balbutiements de Benito. Faut-il penser que la pression du courant critique produisit certains effets et que les fidèles de Benito estiment qu’on est allé trop loin dans la droitisation du syndicat ? En tous cas, publiquement, la crise ne revêt aucun caractère d’affrontement de lignes. C’est justement ce que dénonce maintenant Gutierrez dont certains entrevoient qu’il intervient en sous-main en connivence – ironie du sort – avec Benito face à l’insubordonné Fidalgo.
Le courant critique a maintenu une opposition à la ligne du syndicat et l’exigence de rétablir l’inclusion, le pluralisme et la démocratie dans l’organisation. Indépendamment de ses racines et de ses aspects souterrains, la crise de la majorité des Commissions ouvrières aura d’importantes répercussions, tant internes qu’externes puisqu’elle a ouvert un processus qui est loin d’être achevé.
Sur le plan interne, soit l’ancienne majorité se trouvera très dégradée (ce qu’elle est déjà), soit elle éclatera. Cela dépendra en fin de compte de l’attitude des soutiens de Benito : renonciation ou affrontement. S’ils décident de défendre leurs positions dans le syndicat et de s’affirmer comme un courant, il faudra alors qu’ils adoptent un discours propre en se démarquant à un degré plus ou moins grand de la majorité de Toxo. Et si nous disons majorité de Toxo, c’est que Fidalgo, encore Secrétaire Général, a perdu avec la crise un pouvoir jusqu’alors suspendu en équilibre, devenant une simple marionnette du Secrétariat de la Métallurgie. L’homme est encore gagnant mais ne compte actuellement tous soutiens confondus, qu’ à peine 50 % de la direction.
La nouvelle situation pourrait s’avérer favorable à la décantation des positions en ouvrant un espace au débat syndical et en pouvant permettre le désenclavement du courant critique. En effet, la menace de cette opposition servait à souder la majorité, on y « vivait mieux ». Ce sont uniquement des possibilités ouvertes, tant ont dégénéré les pratiques du syndicat, ses positions idéologiques jusqu’à l’extrême et on peut se demander si avec ses membres actuels, son appareil et sa bureaucratie, il est redressable.
Au plan externe, l’aspect le plus positif de la crise est la perte d’autorité de Fidalgo avec l’affaiblissement de la majorité. Cela n’a rien de paradoxal : la prédisposition à conclure des pactes et le suivisme vis-à-vis du PP sont si grands que pires sont pour le secrétariat général et la majorité les conditions pour représenter l’ensemble du syndicat, moins ils se sentiront sûrs d’eux et de leur base au moment de signer pactes et accords de régression. Les temps deviennent durs et le pire qu’il peut y avoir pour les travailleurs et le syndicat et d’avoir cette direction soudée.
Vers un congrès extraordinaire ?
Il ne semble pas que la crise puisse déboucher sur un congrès extraordinaire et on ne sait pas ce que seront les affrontements internes, comme ceux qui se sont déroulés entre les vieux associés de la majorité dans les organes confédéraux où l’on a discuté de la destitution de Benito. Tous les secteurs le craignent et tous ont besoin de temps pour soigner, ou du moins panser les plaies.
En tous cas, depuis ces évènements, Figaldo a perdu toute chance de se succéder à lui-même, car – en dehors même de sa politique désastreuse – il a géré de piètre manière la majorité que lui avait léguée Gutierrez.
Le syndicat, avant comme après le prochain congrès, pourrait recouvrer un climat de débats avec des tensions plus importantes, ce qui serait positif après l’affadissement et l’aplatissement que la bureaucratie a imposés ces derniers temps. Néanmoins, on ne peut en être certains, à moins que les adhérents et plus largement les travailleurs se mobilisent et inquiètent ces dirigeants formés dans la simple gestion administrative, habitués aux renoncements politiques, aux sales jeux manœuvriers comme à l’obéissance, la docilité, cultivant leurs intérêts particuliers. Il sera ainsi difficile que la crise secoue le syndicat dans le sens d’un changement de politique comme des pratiques internes. Pourtant, les travailleurs ont besoin de tels changements dans les conditions imposées par la globalisation capitaliste et l’Europe de Maastricht.