Un documentaire de Nanni Moretti sur la fin du PCI sort en salles. À voir !
En 1989, le mur de Berlin s’écroulait, et avec lui la formule post-stalinienne du « communisme réel ». On a sans doute un peu oublié le tremblement de terre dans la gauche italienne. À ce moment-là, ce qui gouverne l’Italie c’est, depuis toujours ou presque, le grand parti « du centre », en fait de droite, la Démocratie chrétienne, depuis quelques années en alliance avec un PS droitier et pourri dirigé par Bettino Craxi. Les noms de Prodi, Bossi sont inconnus, Berlusconi est connu comme industriel. Pour le PCI, dirigé par Achille Ochetto, les interrogations sont nombreuses ; depuis belle lurette, le parti a pris ses distances avec Moscou, mais reste partisan de la suppression du capitalisme, brandit faucille et marteau... Malgré des succès électoraux, il reste loin du pouvoir. Ochetto propose une mutation profonde : l’abandon de la lutte contre le capitalisme, le changement de nom et de symbole. Ainsi le pouvoir pourra être conquis, les alliés seront moins effrayés, etc. Des débats sont organisés dans les cellules, et en attendant de savoir comment on s’appellera, on ne dit plus « le futur parti », mais la cosa, « la chose ». Par la suite, le nom choisi sera Parti démocratique de la gauche.
Ce qui secoua le plus l’Italie, pourtant, vint après : le déferlement des enquêtes de l’opération Mains propres, la disparition totale de la coalition PS-DC et de ces partis eux-mêmes. La droite se refait une santé avec de nouveaux partis : la Ligue du Nord de Bossi, les néofascistes relookés de Fini, et le chef-d’uvre du marketing politique, la création ex nihilo de Forza Italia de Silvio Berlusconi. Mais quand les débats filmés par Moretti se déroulent, la droite ennemie reste l’ancienne.
Donc, en 1989, Moretti (membre du PCI, et partisan du changement prôné par Ochetto) filme les débats et fait un montage des moments les plus éclairants, selon lui. On entend les partisans du modernisme, et aussi ceux qui regrettent le tournant, évoquent la résistance, l’acquis du Parti, et même, pour certains, la nostalgie du stalinisme. C’est émouvant, sincère. Toutefois on est perplexe, devant les thèses en présence, exprimées ou implicites : il y a les partisans du changement et les traditionalistes, mais personne ne remet en cause l’attitude envers le stalinisme, tous ont l’impression que le parti a pris à temps ses distances, ou peut-être qu’il n’a pas été assez vite dans le « tournant ». Personne n’évoque, même fugitivement, dans ce psychodrame collectif, l’éventualité (passée, présente ?) d’une position plus à gauche. Il y a eu, quand même, les mouvements de 68, le phénomène terroriste. Personne ne pense qu’il y avait quoi que ce fut à critiquer...
On sait ce qu’il en advint, comment D’Alema débarqua Ochetto et mena le PDS au pouvoir. Comment une partie resta rétive, fit scission (sous le nom de Refondation communiste, dont le petit courant cossuttien scissionna récemment).
Avec la Cosa, on peut comparer, juger par exemple de façon favorable la franchise de ce parti, alors qu’en France d’autres continuent à se dire socialistes. Sortir aujourd’hui ce film aurait pu être génial, il aurait suffi que Moretti retrouve, dix ans après, certains participants, et leur demande « et maintenant qu’est-ce que vous en pensez ? »...
Il nous donne, en sus de La Cosa, un petit court-métrage amusant, sept minutes de 1994, où il raconte ses soucis de directeur de salle d’art et d’essai à Rome : il rend comique l’examen morose des recettes comparées du Roi Lion et du film qu’il sort, le Close Up de Kiarostami. Ne le manquez pas, quand vous irez, comme je vous le recommande, faire connaissance de cette tranche de vie politique et voir La Cosa.
Italie
La Cosa