L’urgence sociale

, par HOAREAU Charles, MEZZI Dominique

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Ancien ébéniste, Charles Hoareau est, à 46 ans, une figure nationale du mouvement des chômeurs, depuis les mobilisations massives chaque hiver à Marseille. Il est membre du bureau national des Comités de chômeurs CGT. Militant du PCF, il n’a pas caché ses critiques au congrès de Martigues, notamment en signant une tribune dans l’Humanité.

Quel est ton parcours militant ?

Charles Hoareau — Tout vient du combat des chantiers navals de La Ciotat en 1989. Un comité de chômeurs s’est créé suite à l’annonce de la fermeture du chantier. Les occupants du chantier se battaient pour leur emploi. Nous voulions nous adresser en même temps à l’ensemble des chômeurs. Parce que 6 000 emplois, cela concerne tout le monde, anciens du chantier ou non.
Le comité de La Ciotat a été un laboratoire pour la CGT, même si nous ne le savions pas à l’époque. Nous nous sommes rendus compte que les chômeurs avaient des choses à nous dire. Nous avons collé à leurs préoccupations à partir de leurs besoins, et pas de nos discours. Par exemple, cette femme qui mangeait froid depuis 3 semaines parce qu’on lui avait coupé l’électricité. Comment aurions-nous pu être crédibles sur notre bataille pour rouvrir le chantier, avec des enjeux européens, si nous n’arrivions pas à rétablir son électricité ? À l’époque, nous disions que nous marchions sur deux jambes, l’emploi et l’action sociale. Maintenant, c’est devenu « l’action pour les dix droits » : emploi, logement, revenu, santé, transports, etc. La notion d’urgence peut passer avant l’emploi. Quelqu’un qui est expulsé demain, tu peux lui dire que la solution est d’avoir un travail, mais cela n’empêchera pas l’expulsion ! L’urgence sociale nous a claqué à la figure. Notre souci était que les gens eux-mêmes prennent leurs affaires en main.
Je n’étais pas chômeur au départ. Dans les négociations sur la reconversion du chantier naval de La Ciotat, le gouvernement avait proposé un plan de formation des chômeurs. Pour l’union départementale CGT, je siégeais à la Codef (commission pour l’emploi et la formation professionnelle). J’avais quelques compétences sur ces questions. La CGT a demandé que je sois détaché auprès du ministère pour la mise en place de la cellule de formation. J’aurais donc dû être embauché pendant un an pour mettre en place des formations. Le ministère a pensé que nous demandions un permanent CGT. Ils m’ont dit très rapidement : restez chez vous, on vous paie. Mais nous avons refusé. Au bout de trois mois, après plusieurs manifs, ils ont rompu unilatéralement leurs engagements, et je me suis retrouvé chômeur réellement.
Le comité de chômeurs s’est alors développé. Nous nous sommes organisés par quartiers. Nous prenions en charge tous les besoins de la vie : logement, cantines scolaires, etc. Cette expérience de laboratoire amène à réfléchir sur l’organisation syndicale d’avenir. Ne serait-ce pas une organisation unique avec des volets différents ? Si tu veux te défendre contre le racisme, ou pour l’école, il te faut six cartes d’adhérent aujourd’hui : Mrap, FCPE, CNL, etc. Il faudrait réfléchir à une organisation syndicale qui intègre tous les problèmes. Ce n’est pas la construction du socialisme demain matin qui préoccupe la majorité des gens.
En 1993, un congrès départemental de l’UD CGT des Bouches-du-Rhône a décidé d’étendre l’expérience de La Ciotat à tout le département. À Marseille, on a commencé par un comité dans les quartiers Nord, dans la cité de la Savine. Et par sauts de puce, nous avons essaimé dans toutes les cités de Marseille. Même si tout reste toujours fragile.

À partir de 1995 et surtout 1997-1998, est apparu ce qui s’est appelé le mouvement des chômeurs, avec les comités CGT et les associations AC !, Apeis, MNCP. Penses-tu qu’il y a une complémentarité entre les deux ?

C. Hoareau — Il est sûr que si des associations se sont occupées des chômeurs, c’est entre autres parce que le syndicalisme n’a pas voulu le faire. Je le regrette. Je ne souhaite pas que la CGT ait le monopole syndical de l’organisation des chômeurs. Si nous voulons gagner, nous n’y parviendrons pas seuls. Il nous faut travailler avec tous ceux qui regroupent des chômeurs, même si c’est compliqué, même s’il y a des désaccords. D’autre part à l’Unedic, nous devons aussi travailler avec les autres organisations syndicales. Pour le moment, on est souvent 1 contre 9 dans les réunions. Si nous pouvions arriver à être 5 contre 5, avec un front syndical uni, cela changerait un peu les choses !
Peut-on parler de complémentarité ? La différence entre un syndicat et une association n’est pas dans le regroupement des chômeurs. Nous avons tous les mêmes intérêts, donc il faut s’unir. Mais pour nous, il est important que dans la même organisation il y ait des salariés et des chômeurs. Certes, il y a plus de 30 catégories de chômeurs. Les jeunes se refusent à s’appeler « privés d’emplois ». C’est comme dans les entreprises quand les patrons essaient d’individualiser. Mais c’est toujours le même combat de classe. Ce qui compte, c’est que les chômeurs et les salariés soient dans la même organisation pour tisser les convergences, pour interpeller les copains des entreprises et mener la lutte ensemble.

Quels sont les enjeux de la négociation sur la convention Unedic ?

C. Hoareau — Le premier, c’est que les chômeurs aient un revenu ou un salaire de remplacement, à défaut d’un emploi. Le deuxième, c’est que l’argent ne vienne pas de l’impôt, mais de l’entreprise. Quand le nombre de RMistes augmente, outre le fait qu’ils sont payés avec des queues de figues, ce qui est grave, c’est que le contribuable supplante le patronat. C’est une question de classe. C’est pour cette raison que nous interpellons le gouvernement, pour demander un Grenelle de l’assurance chômage. Les politiques doivent dire stop : les patrons doivent payer. Mais nous n’avons pas de réponse sur ce point de la part du ministère du Travail. Or l’idée commence à pointer que les excédents de l’Unedic en 2000 vont servir à baisser les cotisations, alors que 4 chômeurs sur 10 ne sont pas indemnisés !
Pour exiger un Grenelle de l’assurance chômage, nous avions lancé l’idée d’une pétition nationale. Le PCF et la LCR ont donné leur accord. Mais nous n’arrivons pas à tout faire. C’est difficile de mobiliser les chômeurs sur des sujets comme ceux-là, parce que cela leur paraît très loin du quotidien. Contrairement à la prime en fin d’année.

P.-S.

Propos recueillis par Dominique Mezzi.

Source

Rouge, n° 1870, 6 avril 2000.

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