16 juillet 1942. Dès quatre heures du matin, plus de 7 000 policiers parisiens étaient lancés à la chasse aux Juifs étrangers. Les ordres émanaient de la section IV J de la Gestapo, mais l’exécution était à 100 % française ! Il fallait faire vite et saisir au gîte 22 000 de ces Juifs qui, aux yeux des nazis et du pouvoir de Vichy, n’étaient plus seulement les héritiers des assassins du Christ mais désormais désignés comme les responsables de la guerre. En ces temps barbares, bouc émissaire idéal, le Juif était dénoncé tout à la fois comme le vecteur du bolchévisme et de la finance internationale. Curieux paradoxe, fort bien accepté toutefois.
La France vaincue était encore sensible à la violente vague xénophobe qui avait traversé les années 1930, et les autorités estimaient qu’un grand coup pouvait être donné, le 16 juillet 1942, sans trop frapper les esprits. D’autant plus que les rafles précédentes, le 14 mai et les 20 et 21 mai, sur Paris exclusivement, n’avaient pas provoqué de vagues dans une population indifférente ou, tout au moins, attentiste.
Au fil des années, nous avons fini par tout savoir sur ce pogrom moderne dont les victimes étaient destinées à l’extermination : Nacht und Nebel (Nuit et Brouillard). Nous savions tout, ou presque. Il manquait à notre édification la manière dont nos policiers s’étaient acquittés de la mission qui leur avait été confiée par la Gestapo.
« Ramassage de Juifs »
À l’aide de documents jusqu’alors inédits, que j’ai pu consulter aux archives de la préfecture de police, il est apparu sans conteste que les policiers, dont un bon nombre avait été recruté au temps du Front populaire, ont non seulement participé à cette opération répressive et raciale, mais l’ont fait avec une réelle satisfaction, ajoutant la punition à la sanction. Dans les notes de service, en interne, de la préfecture de police, on met sur le même plan les personnes et les bagages ; on ne parle pas seulement de rafle ou d’arrestations mais de « ramassage de Juifs ».
Le 16 juillet 1942, les policiers français sont affûtés pour cette opération répressive. Depuis deux ans, ils traquent tous les ennemis du Grand Reich : communistes, gaullistes, francs-maçons. Quiconque est censé se mettre au travers de "l’Ordre nouveau" devient un ennemi à abattre et nos policiers en font une affaire nationale. Quant aux Juifs, prioritairement les étrangers, ils doivent disparaître du sol français. « Sans oublier les enfants », suggère le doux poète Robert Brasillach.
Les enfants, ces témoins dont il faut se débarrasser, font partie du cauchemar du pouvoir de Vichy, et les flics vont en rafler plus de 4 000 le 16 juillet 1942, y compris les nourrissons. Du 16 juillet 1942 au 30 juillet 1944, quelque 12 000 enfants seront arrêtés et déportés sans retour. L’ordre de la Gestapo était pourtant précis : n’arrêter que les Juifs étrangers mais, pour nos policiers, les enfants d’étrangers ne pouvaient être que des « métèques ». D’où cette hécatombe.
Pour ces enfants, le calvaire sera long entre les six jours passés au vél d’Hiv, puis les camps du Loiret (Pithiviers et Beaune-la-Rolande) d’où ils seront séparés, violemment le plus souvent, de leurs mères qui seront déportées les premières. Finalement, c’est un mois plus tard que ces bambins et ces préadolescents seront expédiés à Drancy, puis déportés à Auschwitz, mêlés à des adultes qu’ils ne connaîtront pas. A noter que c’est sur insistance de feu René Bousquet, secrétaire général à la police de Vichy, que Eichmann donne son accord pour cette déportation le 14 août 1942.
Soixante ans ont passé, mais la « commémoration » a une saveur amère. En effet, même s’il ne peut être question d’amalgamer les périodes et les raisons, la répression de masse n’a jamais cessé. Avec peut-être, parfois, cette circonstance aggravante que des exactions xénophobes se déroulent sous un régime qualifié de démocratique. Et puis, si la France profonde n’a pas été vraiment sensible à la rafle du 16 juillet 1942, qu’en serait-il en 2002 si un Sarkozy ordonnait la chasse aux Maghrébins et leur expulsion massive ? Interrogation hasardeuse ? Allons donc.
Un policier parisien, âgé de 25 ans en juillet 1942 et ayant participé à la rafle du Vel d’hiv, n’avait que 44 ans le 17 octobre 1961, lors de l’assassinat de masse de travailleurs algériens, et aurait pu « servir » dans les deux opérations. Au cours des jours qui avaient suivi cette tuerie franco-française, hors des milieux militants, la France profonde ne s’en était guère émue. Les mêmes, peut-être, ils avaient encore l’âge, allaient faire partie de ces milliers de policiers qui en mai et juin 1968 s’appliqueraient à matraquer et à gazer les étudiants parisiens pour les punir d’envisager un monde différent.
De 1942 à l’été 1944, les quelques 200 000 policiers et gendarmes français, sous la direction de René Bousquet, ont accompli sagement la tâche qui leur avait été assignée par les nazis. Soixante ans plus tard, pour la première fois depuis cette période, police et gendarmerie ont de nouveau été réunies sous un commandement unique. Certes, la période n’est plus la même, les enjeux sont différents, mais la volonté d’exclure et de réprimer est restée identique.
Alors, quel est le sens de la commémoration officielle du 16 juilllet 1942 ? Les policiers qui ont participé à cette mascarade larmoyante sont décorés de cette fourragère rouge octroyée à leurs « anciens » par De Gaulle, le 14 octobre 1944. C’était une sinistre plaisanterie de l’histoire car le chef de la « France libre » honorait alors des policiers qui, sans désemparer, avaient participé aux rafles de Juifs comme à toutes les opérations répressives durant les quatre années de l’Occupation.
Au Vel d’hiv
« ... Pas d’eau à boire, ni pour se laver. Les WC, au nombre d’une dizaine, furent rapidement bouchés et personne pour les remettre en état. Ils débordaient et inondaient les internés. Cette situation n’a pas tardé à déchaîner une série d’évanouissements, de crises de nerfs, de poussées de maladie, des tentatives de suicide. Les internés ne pouvaient rien recevoir du dehors ; ni vivres, ni vêtements, ni médicaments... On a assisté à quelques fausses couches, à quelques accouchements. Une jeune femme est devenue folle et hurle sans arrêt. Une mère de quatre enfants ne cesse de crier... Pendant les cinq jours, il y a eu plusieurs cas de folie, des tentatives de suicide et une trentaine de morts dont plusieurs enfants. »
Extrait d’un tract ayant circulé dans Paris quelques jours après la rafle.