L’Europe forteresse

, par TAMERLAN Patrick

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L’Union européenne, refusant de remettre en question sa domination politique et économique sur le Sud, s’apprête, lors de la prochaine session du Parlement européen de Strasbourg, à renforcer la traque contre les migrants, en créant un corps européen de gardes-frontières.

Des milliers d’hommes et de femmes chassés par la misère et la guerre continuent de migrer vers l’Europe au péril de leur vie. Comme à l’accoutumée, les 27 États mem-bres de l’Union européenne (UE) refusent de prendre en compte les causes de ces migrations. Il est vrai qu’il est plus simple, pour l’UE, de désigner à la vindicte populaire ces « clandestins » et d’attiser ainsi le racisme que de remettre en cause le pillage systématique des matières premières, le soutien indéfectible aux dictateurs africains ou la participation aux guerres d’Irak et d’Afghanistan. Cette politique européenne s’appuie cyniquement sur des accords de domination néocoloniaux, contractés avec 76 pays de l’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, qui organisent l’appauvrissement et la mise sous tutelle de ces pays par la suppression des barrières douanières sur tous les produits importés de l’UE comme par la libéralisation totale des investissements, du commerce, des services et des contrats publics, pour le plus grand bénéfice des entreprises transnationales européennes.

En octobre 2005, une quinzaine d’immigrés sont morts en prenant d’assaut Ceuta et Melilla, deux confettis de l’empire colonial espagnol au Maroc, pour essayer d’entrer en Europe. Cet exemple, parmi tant d’autres, montre que l’UE reste, au mépris des droits de l’Homme les plus élémentaires, un lieu de traque sans répit des migrants et une forteresse, renforcée en particulier sur sa frontière sud. Pour atteindre ses objectifs, l’UE s’était déjà dotée d’une agence, Frontex, basée à Varsovie, chargée de sécuriser ses frontières extérieures. Elle dispose aujourd’hui d’une véritable armada pour traquer les clandestins entre l’Afrique et l’Europe : huit avions de surveillance, treize hélicoptères et, surtout, 48 navires de patrouille. Mais ce n’est pas jugé suffisant et, prisonnier de sa surenchère sécuritaire, le Conseil, représentant les États membres, a demandé en 2005 à la Commission d’étudier de nouveaux dispositifs pour renforcer les rafles anti-immigrés en Méditerranée.

Sous l’injonction des États membres, la mécanique eurocratique s’est mise en marche avec la rédaction d’un nouveau règlement proposant la création « d’équipes d’intervention rapide (RABIT) », regroupant 250 à 500 gardes-frontières mis à disposition par chaque État et placés sous la coordination de l’agence Frontex. Une rallonge de fonctionnement de dix millions d’euros devrait d’ailleurs être accordée à Frontex, alors que l’agence bénéficiait déjà d’un budget de 22 millions d’euros pour l’année en cours. Ces équipes d’intervention rapide seront mobilisées pour une « durée limitée », seulement dans les pays confrontés à des « pressions urgentes et exceptionnelles ». Le texte proposé introduit des règles communes définissant les missions que pourront effectuer les gardes-frontières « invités » par des autres États membres. C’est le directeur exécutif de Frontex, Ilkka Laitinen, qui sera amené à juger de la pertinence de l’envoi d’une mission RABIT.

Cette proposition a fait l’objet d’un rapport parlementaire, le rapport Deprez, rédigé par un libéral belge de la commission des libertés du Parlement européen. Le 11 avril dernier, le rapport a été adopté en commission par 42 voix contre 4 — dont celle de notre camarade eurodéputé Søren Bo Søndergaard de l’Alliance Rouge/Verte du Danemark. Il sera normalement présenté le 24 avril, lors de la prochaine session du Parlement européen à Strasbourg. Fruit d’un accord avec le Conseil, il devrait ouvrir la voie à l’adoption de ce règlement dès la première lecture.

Source

Rouge, n° 2203, 26 avril 2007.

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