Depuis les grandes grèves de 1995, Samizdat.net

, par PAPATHÉODOROU Aris, SCAËR Yann

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Depuis les grandes grèves de 1995, Samizdat.net héberge quelques-uns des services les plus importants du Web indépendant français. Il met en relation, au quotidien, à travers ses listes et son site d’information et d’échanges, des militants de différents mouvements et de différentes sensibilités. Avec l’essor du mouvement contre la mondialisation capitaliste, le collectif de communication et d’information politique devient, par son sérieux et son ouverture, l’une des expériences les plus réussies de média alternatif.

Peux-tu présenter Samizdat ?

Aris Papathéodorou — Samizdat est un collectif politique dont le domaine d’intervention est la communication, en particulier à travers l’Internet. Cela se traduit d’abord par le fait d’avoir mis en place un serveur, Samizdat.net, qui héberge différents services, de la mailing list au Web, et sur lequel nous produisons nous-mêmes de l’information ; et ensuite par un travail de réflexion théorique et politique sur le rôle de la communication et les outils pour la communication alternative. Le troisième champ, c’est notre investissement dans des mouvements sous l’angle particulier de la communication. La mise en place de structures, la formation de militants, la configuration de matériel, la mise en place de dispositifs pour communiquer sur telle ou telle mobilisation font partie de nos activités.

Qui utilise ces moyens ?

A. Papathéodorou — Les mailing lists s’adressent à un panel diversifié de militants, et parfois d’inorganisés. On trouve aussi bien des gens de la CNT que du PCF, d’AC !, d’Attac, d’Act Up, etc., qui sont présents à titre individuel. Pour ce qui est des parties du site Web que nous gérons, je crois qu’on retrouve à peu près la même diversité. Parmi ceux que nous hébergeons, un noyau est issu de la mouvance libertaire, puisque la plupart d’entre nous en vient. Nous hébergeons des sites très différents : Acrimed, un observatoire critique des médias, Freescape, une initiative autour de l’accès au savoir à l’ère du numérique, Scalp/Reflex… Il n’y a pas de « choix », si ce n’est la volonté de ne pas se marquer de façon sectaire. Notre référent est le mouvement social comme généralité.

Quels enjeux vous ont poussé à monter cette structure ?

A. Papathéodorou — Un peu avant l’arrivée de l’Internet grand public en France, nous avions eu l’occasion, dans le cadre de rencontres liées au mouvement autonome en Europe, de vérifier la portée de cet outil, qui offre moins de prise au contrôle, réduit les coûts des transmissions lointaines, avec une rapidité incroyable pour échanger des informations. Lors des émeutes de Los Angeles, nous avions des contacts avec un groupe militant là-bas, et nous avons eu les infos dans les heures qui ont suivi. Nous avons perçu que l’Internet offrait de très grandes possibilités de communication et qu’il y avait des opportunités de monter des réseaux alternatifs avec très peu de moyens.
Plus tard, l’Internet a joué un rôle important dans la construction du réseau de solidarité autour de la grève des dockers. On voyait, grandeur nature, la possibilité d’une information non plus conçue comme de la « propagande », mais jouant un rôle dans la lutte.

D’autres sites font ce genre de choses, notamment Indymedia…

A. Papathéodorou — Indymedia est apparu plus tard, autour de Seattle, et était lié à la dynamique du mouvement particulier dit « antiglobalisation ». D’autre part, ils sont constitués autour du principe de l’open publishing, c’est-à-dire de l’idée que pour s’opposer aux médias dominants, il faut donner la possibilité aux anonymes de publier sans censure. C’est très éloigné de notre démarche. Nous n’avons pas envie de voir certaines opinions s’exprimer sur nos dispositifs. Sur Samizdat, HNS [1] annonce la couleur : nous ne validons pas que des opinions avec lesquelles nous sommes d’accord, mais nous censurons le racisme, l’antisémitisme, l’homophobie, etc.
Puis, ce qui nous importe, c’est de produire de la coopération, de collaborer avec des gens investis dans des pratiques, fussent-elles peu organisées. L’idée, c’est de dire à tel collectif qui travaille contre un centre de rétention, ou à tel groupe de syndicalistes étudiants : au lieu de balancer un communiqué de presse dont à peine un extrait sera repris dans le meilleur des cas, vous pouvez avoir accès à un espace pour publier le communiqué tel quel, et donc avoir une possibilité que votre activité soit connue par d’autres.

Ça vous a amené à avoir une présence au moment des grandes mobilisations, en particulier les échéances du mouvement antimondialisation.

A. Papathéodorou — Prague, Nice, Gênes ou Bruxelles étaient des occasions de faire la démonstration, à grande échelle, de ce qu’on peut faire avec peu de moyens en matière de communication alternative. Pour Gênes, nous n’avons pas seulement fait un site où on pouvait suivre les événements ; nous avions aussi mis en place une mailing list pour que des Français qui allaient là-bas puissent avoir les informations. Avec un réseau de correspondants, militants de différentes structures, nous avons fait un suivi des événements indépendant des médias ; après, nous avons assumé une partie de la circulation de textes de débat. Avec peut-être l’avantage, par rapport à d’autres qui ont aussi beaucoup travaillé sur l’information, comme Attac, de ne pas étre liés à telle ou telle tendance. Même si nous avons des sympathies plus évidentes pour tel courant ou telle sensibilité dans le mouvement, nous essayons de créer un espace, à l’intérieur du mouvement, dans lequel nous donnons une place à l’ensemble des sensibilités.

Comment se pratique la circulation de l’information lors des mobilisations ?

A. Papathéodorou — Il y a un dispositif qui s’affine avec le temps, et qui peut prendre des formes différentes : à Gênes, nous avions un studio mobile sur place ; en général, nous laissons une équipe à Paris, et d’autres vont sur place, les échanges se font par téléphone et par e-mail.
D’autre part, comme nous nous sentons partie prenante de ces situations, nous essayons de construire des moments de coopération, de tisser des liens : à Séville, par exemple, nous avons utilisé un réseau de contacts avec des groupes espagnols. Nous coopérons aussi avec des radios, des sites Web, des journaux, ce qui nous permet d’élargir à la fois le volume et le champ des informations et des textes politiques, de façon à rendre disponible un ensemble d’informations qui ne soit pas seulement le produit d’une petite équipe, mais un peu de ce qui se passe dans le mouvement lui-même.
Le livre [2] s’inscrit dans la continuité de notre travail sur le Web : nous voulions montrer ce qui avait circulé avant, pendant et après Gênes, et en même temps montrer que le collectif ne travaille pas seulement sur l’Internet, mais aussi sur la communication au sens large. C’était la possibilité de rendre disponible une masse de documents inédits ou dispersés, à titre de mémoire immédiate.

P.-S.

Propos recueillis par Yann Scaër.

Notes

[1Hacktivist News Service, le service de dépêches de Samizdat.

[2Gênes, multitudes en marche contre l’Empire, éditions Reflex, 16 euros.

Source

Rouge, n° 1979, 18 juillet 2002.

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