« Avec Bordeaux En Luttes, on serait contents de servir d’exemple » L’invité.e

, par POUTOU Philippe

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Avec 9,4% des voix au 2e tour, Bordeaux en luttes obtient 3 sièges au « parlement bordelais » ! Quel sens ces élus anticapitalistes donneront-ils à leur mandat ? Réponse de leur tête de liste.

La Clé des Ondes : Bordeaux en luttes envoie trois militant.es au conseil municipal, qu’est-ce que ça vous fait ?

Philippe Poutou : On se sent heureux et fiers car c’est l’aboutissement de plusieurs mois de bagarre. Il y a eu la bataille pour construire la liste, pour obtenir les 10% de la qualification au second tour, et pour pouvoir rester au second tour face aux pressions sur le « vote utile » pour laisser la place à la gauche institutionnelle.

« C’est une batailler pour arriver à exister. »

C’est une bataille pour arriver à exister. On disait vouloir faire entendre la colère sociale, faire le lien direct avec les manifestations, notamment des gilets jaunes et contre la réforme des retraites, et mettre en avant un programme radical de partage des richesses, y compris localement. Il faut que la population, notamment des quartiers populaires, puisse exister et qu’on puisse rendre visible la souffrance sociale.

C’était la mission qu’on avait. On pense qu’on a réussi à le faire à un tel point qu’on s’est qualifié. La bataille devenait : faire rentrer la colère sociale dans la mairie de Bordeaux. L’objectif est atteint.

On a trois élus déterminés [il est avec la LFI Évelyne Cervantes-Descubes et le gilet jaune Antoine Boudinet, ndlr] à vouloir faire entendre cette colère. La surprise, c’est qu’on s’attendait à se retrouver confrontés à un pouvoir de droite. Mais petit plaisir supplémentaire, les Juppéistes et Macronistes se sont faits gicler. Nous allons être l’opposition d’une gauche qu’on appelle molle et PS-EELV.

On va être confrontés différemment. Dans le fond, ça ne change pas grand chose pour nous puisque nous allons continuer de défendre la réquisition des logements vides, les transports gratuits pour toutes et tous, des services publics partout, une écologie radicale et anticapitaliste qui s’en prend clairement à la spéculation immobilière donc aux capitalistes [qui organisent et tirent profit - ndlr] de cette spéculation.

On espère que les trois élus que nous sommes pèserons beaucoup plus grâce à la mobilisation de la population et dans les quartiers.

La colère sociale entre au parlement bordelais. Nicolas Florian se prend une gifle. Tu vas ferrailler avec la gauche au pouvoir mais tu y trouveras peut-être des points d’appuis vu la diversité de la liste. C’est un carton plein ?

La défaite des Macroniens et Juppéistes c’est un point positif malgré le taux d’abstention énorme, ce qui est toujours triste. C’est un phénomène profond qui date de très longtemps. Ce n’est pas un problème de covid ou de beau temps mais un problème de fond qui fait que les gens sont résignés - à juste titre quelque part puisque les élections ont toujours été l’occasion d’être déçus, notamment lorsque la gauche est élue et trahie ou renie ses promesses.

On va être confrontés à une situation nouvelle avec le retour d’une gauche EELV-PS dont certains militants écologistes ont des aspirations sincères, mais à côté d’un appareil PS et d’un appareil EELV qui ne seront pas forcément sur une ligne très à gauche.

On va voir comment on va pouvoir batailler et influencer et mettre en contradiction ou en porte-à-faux ce milieu et trouver des brèches. Nous aurons une opposition déterminée au parti socialiste et à la gauche libérale.

On sait qu’on pourra avoir des points d’appuis dans le milieu militant. On sait qu’on a Extinction Rebellion, ANV Cop-21, toute une génération militante prête à se mobiliser et à se battre. Il y a un match à jouer.

Pendant la campagne des élections, avec Bordeaux En Luttes, tu as remué le débat politique et porté le débat à gauche. La stratégie sera la même pour faire bouger les notables et tout ce qui veut s’institutionnaliser ?

On est restés fidèles à nos idées. On n’a pas flanché. On nous a demandé de nous barrer, de nous effacer, de plier. On n’a pas plié. On a gardé la tête haute. Cela nous donne des forces.

Désormais, nous avons une liberté et une indépendance totale contrairement à d’autres qui ont dû accepter des programmes plutôt libéraux et plutôt droitiers. La campagne de Hurmic a été très centriste, plutôt à regarder sur leur droite que sur leur gauche.

On va les mettre au défi maintenant : "Vous êtes de gauche ? Vous êtes écolos ?" On a peut-être l’illusion mais en tout cas l’espoir de faire bouger les lignes et de faire passer des choses.

Peut-être que cette bascule à Bordeaux est révélatrice d’un climat qui est entrain de changer. Notre liste, ce qu’on représente, la force qu’on a eu, viennent aussi de ce climat social qui est en train de changer des gilets jaunes aux batailles anti-racistes.

Tu deviens aussi élu à la métropole. Le conseil métropolitain bascule lui aussi à gauche avec une majorité divisée entre PS et EELV. Est-ce que ça peut faire évoluer les politiques actuellement menées ?

Ce sera forcément beaucoup plus compliqué. Au parlement bordelais, on peut jouer un rôle mais à la métropole ce sont les appareils. Le pouvoir politique est déconnecté des municipalités. Avec un élu, ce sera très compliqué.

« Il y a l’envie de faire éclater tout ça. »

Ce qui est sûr c’est que du côté de la gauche ce sera la foire d’empoigne. Le PS voudra reprendre le pouvoir. Il y aura des tiraillements, des mini-crises. On préfère être à notre place qu’à la leur. On a commencé à comprendre qu’entre Anziani (maire PS de Mérignac), Rousset (président PS de la région Nouvelle-Aquitaine) et des militants d’EELV ce ne sera pas la même orientation. Le PS va-t-il mettre au pas EELV ou les militants EELV vont-ils se rebeller contre l’appareil PS ?

Il y a l’envie de faire éclater tout ça. Il y a une véritable urgence pour que les gens prennent leurs affaires en main et se révoltent.

Entre Lyon, Marseille et Bordeaux, des baronnies tombent pour la droite vers la gauche. On parle de vague verte dans les grandes villes et d’une résistance forte du Parti Socialiste. Qu’en penses-tu ?

Cette bascule écolo-socialo c’est une traduction politique des mobilisations de ces derniers temps. La limite c’est que ça remet en place des gens qui ont maintes fois trahi leurs propres idées, y compris sur le terrain écologique.

On ne se fait pas d’illusion. Ils ne changeront pas, ces gens-là. Ce qui peut changer la donne, c’est la pression mise par la population : les gilets jaunes, la bataille contre la réforme des retraites, la bataille anti-raciste... Le gouvernement Macron est toujours là donc les attaques se précisent y compris sur les indemnités chômage (dont la réforme a été suspendue).

On pourra jouer un rôle, aider. En tant qu’élus, nous avons une crédibilité politique un peu nouvelle. Nous serons au moins un point d’appui pour les luttes de demain, au moins à Bordeaux. Nationalement, on fera un peu exemple. On serait contents de servir d’exemple.

Il faut absolument que la population ait envie de se battre.

D’un point de vue personnel, comment tu imagines la suite ?

Bon je ne suis pas maire donc faut relativiser. D’un point de vue financier, conseiller municipal ça ne va pas beaucoup changer la donne (rires).

Ce qui est intéressant quand même, c’est que j’ai été licencié en mars après une très longue bataille avec des dizaines et des dizaines de camarades du syndicat. Trois mois après, on se retrouve à exister d’une manière différente. Ce sont ces combats que BEL fait exister. L’occasion de rappeler les trahisons, reniements et capitulations des élus - y compris aux vainqueurs du moment comme les écolos et socialos qui ont capitulé sur ce combat.

Il y a une sorte d’ironie. Ce qui sera intéressant, c’est cette continuité des luttes. Et dire « on est là ! », c’est une fierté.

Le podcast

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Diffusion du 29 juin 2020 — Durée : 14’00