C’est dans le contexte de ralliement contre un « ennemi commun », et à la lumière des rivalités d’influences en cours dans la région, qu’on peut observer l’évolution des relations entre la Russie et les Républiques d’Asie centrale ex-soviétique.
Indépendantes depuis 1991, mais qualifiées dès 1992 d’« étranger proche », les républiques du Tadjikistan, d’Ouzbékistan, du Turkménistan, du Kazakhstan et du Kirghizistan ont vu leur indépendance évoluer essentiellement en fonction des atouts dont elles pouvaient disposer pour s’affranchir de l’influence russe. Qu’ils soient économiques ou géo-stratégiques, ces moyens de pression ont offert à trois de ces républiques — l’Ouzbékistan, le Kazakhstan et le Turkménistan — une relative latitude dans leurs relations à la Russie, et par conséquent envers les Etats-Unis et l’Otan, pôles d’attraction « naturelle » pour les Etats ex-satellites renonçant au système de sécurité russe.
Schématiquement, on pouvait diviser la zone régionale en deux blocs : l’un, faisant corps avec la Russie pour des raisons d’extrême fragilité stratégique ou économique, englobait le Tadjikistan et le Kirghizistan. L’autre regroupait les trois Etats précités.
Dans le premier bloc, le Tadjikistan, frontalier de l’Afghanistan, en proie à une guerre civile opposant une guérilla islamo-nationaliste au pouvoir local néocommuniste, a donné à Moscou l’occasion de stationner sur son territoire une force militaire russe de plus de 20 000 hommes pour protéger les frontières tadjiko-afghanes, frontières extérieures de la CEI, et éviter une « contagion talibane ».
Dans le second bloc, l’Ouzbékistan, également frontalier de l’Afghanistan, n’abrite aucune base militaire russe sur son territoire. Après avoir spectaculairement quitté en 1999 le Traité de sécurité collective de la CEI, l’Ouzbékistan a subi un rappel à l’ordre de la part de la Russie, via l’organisation d’attentats visant à déstabiliser le pouvoir autoritaire du président ouzbek Islam Karimov. Karimov, qui justifie la persécution systématique de toute opposition politique au nom de la menace islamique qu’elle porterait en elle, s’est empressé de proposer à Washington la mise à disposition de son territoire « à des seules fins humanitaires et de secours ». Alors que le ministre russe de la Défense Sergueï Ivanov (homme politique) affirmait ne voir aucune « base, même hypothétique, pour un déploiement de troupes de l’OTAN en CEI », Karimov a maintenu ses propositions. Les Etats-Unis, ayant sollicité l’aide de ces nouvelles républiques en premier lieu, mettaient la Russie devant le fait accompli et contraignaient le Kremlin à donner son feu vert aux républiques ex-soviétiques. Des trois Etats d’Asie centrale frontaliers de l’Afghanistan, seul le Tadjikistan, sous perfusion militaire russe, ne pouvait se permettre une offensive de charme en direction des Etats-Unis sans en référer avant à Moscou...
Dans ce billard à plusieurs bandes, Etats-Unis et Russie poursuivent plusieurs objectifs : prétendant « mettre à disposition » des Etats-Unis les territoires d’Asie centrale, le président russe souhaite donner l’impression qu’il contrôle toute la région ; ce faisant, il négocie à bas prix une complaisance sans précédent sur les massacres commis en Tchétchénie, où les forces armées russes continuent de perpétrer les crimes contre l’humanité les plus indescriptibles, et présente comme légitime son désir sans cesse renouvelé d’adhésion à l’OMC. Les Etats-Unis, qui pénètrent sur ces territoires qui servirent autrefois de base à l’intervention soviétique en Afghanistan, gagnent du terrain dans la région : les ressources gazières possédées par le Turkménistan et le Kazakhstan, présentant un intérêt considérable dans le projet de gazoduc transafghan turkméno-américano-taliban, deviennent tout à coup plus près des débouchés américains ; de plus, les Etats-Unis auront une marge de manoeuvre non négligeable de déstabilisation de la « zone d’intérêt naturel russe », dans laquelle les frustrations et les souffrances du flot grandissant des manifestants ont tôt fait d’associer lutte contre l’hégémonie américaine à islam de résistance voire à islamisme djihadiste.
Russie – Républiques d’Asie centrale
Ambiguïtés et contradictions
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Les attentats du 11 septembre et le ralliement de Vladimir Poutine à l’union sacrée contre le terrorisme ont fourni à la Russie l’occasion inespérée de reprendre une place de choix dans le jeu politique international, en particulier sur les dossiers qui jusque-là l’opposaient aux Etats-Unis.