Les nôtres

Alexis Violet

, par AGUIRRE Léonce, LAUFER Laura

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Le 6 mai dernier, notre camarade Alexis Violet nous quittait. Personnage ayant marqué l’histoire de la LCR, collaborateur constant de la rubrique « Culture » de Rouge, Alexis est mort à 71 ans.

L’itinéraire d’Alexis Violet — Jean-Michel Mension de son vrai nom — est hors du commun, comme le personnage lui-même est hors du commun. Issu d’une famille de militants communistes, à une époque où le moralisme de Maurice Thorez et de Jeannette Vermesch était à son apogée, il fréquentera assez vite les maisons de correction, hantera de nombreux bars, une période où l’alcool et l’éther servaient souvent de nourriture quotidienne. Dans les années 1950, il rencontrera Guy Debord, une rencontre décisive qui le fera entrer en politique en quelque sorte et lui évitera une descente aux enfers, comme il se plaisait à le dire. Il participera ainsi à la création de l’Internationale lettriste, ancêtre de l’Internationale situationniste, puis il adhérera au Parti communiste.

C’est dans ce parti qu’il fera la connaissance d’Alain Krivine, qui avait été muté dans la cellule dont il était le secrétaire, et avec lequel il partagera un combat commun jusqu’à sa mort, ce qui n’a pas été sans engueulades mémorables dont beaucoup se souviennent encore. Celui qui était presque toujours habillé en violet, « parce qu’il était tombé dans un encrier lorsqu’il était petit », disait une de ses amies, vivait à la marge, réfractaire à toute forme de discipline et au politiquement correct. Il avait cette extraordinaire capacité de défricher les terrains vagues de l’histoire et des nouvelles luttes. C’est ainsi qu’il a été le compagnon de lutte du Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB), des « sans », de toutes celles et de tous ceux qui ont la haine des prisons, des flics, des psychiatres ou des bureaucrates.

Jean-Michel Mension (dit Alexis Violet) en lisant lentement
Photographie libre de droit d’Hébert Abd-El Krim (ou Yanis Gruber).

Alexis a beaucoup compté pour la rubrique « Culture » de notre journal, et dans les débats sur la culture de notre organisation, notamment à l’occasion de ceux qu’il animait aux universités de la LCR. C’était pour lui le prolongement de son combat politique. Il entretenait avec l’art, dans ses rapports à la révolution, une véritable passion, mais une telle passion n’est rien sans cette intelligence si particulière qui permet de la transmettre, et Alexis la possédait.

Pour lui, les goûts et les couleurs, ça se discutait mais, comme il l’écrit dans le Temps gage [1] avec « de la pédagogie, pas de grandes envolées intellectuelles [...]. Découvrir la fonction et la place de l’art dans les luttes, et faire découvrir des choses peu connues ». Une ambition utile comme nécessaire. Dans cette rubrique, il aura parlé en premier de sa passion pour Charlie Parker. On se souviendra aussi d’un superbe papier sur Gauguin ou, il y a peu, de ceux sur Dada et la Sécession viennoise.

Jean-Michel aimait aussi la chanson : Marianne Oswald, Colette Magny, La Chanson de Margaret, de Mac Orlan... et le théâtre, de Büchner à De Ghelderode. Il savait aussi être émerveillé par Les Contes de la lune vague de Mizoguchi, profondément touché par La Maman et la putain, de Jean Eustache. Il aimait le cinéma, particulièrement Jean Renoir « un génie », selon lui. Mais l’art, pour lui, était aussi dans la vie et dans la rue, preuve que le mouvement social ne cesse de l’enrichir : rock, rap, graffitis, tags et autres expressions directement nées d’authentiques révoltes, celles des banlieues, des Beurs, des pauvres...

Alexis a su mener de rade en rade, de manifestation en manifestation, de lutte en lutte, la permanence d’un combat pour l’émancipation humaine. Au-delà de ce qui pouvait apparaître comme des excès ou des excentricités, mais qui témoignait en fait d’une révolte sans concession contre l’ordre de la société bourgeoise sous toutes ses formes, il avait une ligne de conduite dont il ne s’est jamais départi, car il savait que « la plus belle qualité humaine est d’être révolutionnaire ».

Alexis était notre camarade, il était notre ami. Il y avait avant, il y aura après, mais cela ne sera plus jamais la même chose. À Marie-Madeleine — sa compagne —, à ses enfants, à sa maman, à tous ses proches, nous voulons faire part d’une solidarité et d’une amitié sans faille.

P.-S.

Rouge, n° 2159, 19 mai 2006.

Notes

[1Jean-Michel Mension, Le Temps gage, Noesis, 23 euros. Il a également publié La Tribu, Allia, 13 euros.

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