M. Löwy est directeur de recherche au CNRS, intégré au Centre des Etudes Interdisciplinaire des Faits Religieux (CEIFR, Unité associée au CNRS URA 1733, 54 Bd Raspail, 75006 Paris, Tél. 01 49 54 26 93). Ses travaux portent principalement sur la sociologie de la culture par rapport à la religion et au romantisme. Il a notamment publié, avec R. Sayre, Révolte et Mélancolie, le romantisme à contre-courant de la modernité, Payot, 1992, 303 p.
Dans son intervention M. Löwy précise ce qu’il entend par romantisme. D’un point de vue de la sociologie de la culture, c’est une pensée très éclatée, aux significations multiples. Ecole littéraire du XIXe, qui s’oppose au Classicisme, cette définition est trop étroite si l’on s’intéresse à la relation qu’entretien le romantisme avec la philosophie politique. Le romantisme politique serait pour certains une pensée contre la Révolution française. Pour d’autres, ce serait au contraire une école révolutionnaire. Depuis Rousseau, selon ces auteurs, cela conduirait à une sorte de révolution anarchiste du sentiment. Rousseau représente cependant une sorte de père fondateur du romantisme. En 1755, son Discours sur l’origine de l’inégalité des hommes va à l’encontre des idées dominantes en évoquant la question d’un état de nature.
De plus, le romantisme se retrouve aussi dans l’art, la religion... ou même l’économie ! (cf. la critique de Lénine face à ce courant, in Contre le romantisme économique). C’est donc une pensée qui se retrouve dans tous les domaines de la culture. Cela devient une vision du monde. La compréhension du phénomène romantique nécessité de bien saisir cette pluralité des incarnations du romantisme. La spécificité de cette vision du monde provient selon M. Löwy, d’une protestation culturelle contre la civilisation industrielle moderne, capitaliste et surtout sur certains de ses aspects, qui se fait toujours au nom de certaines valeurs du passé (daté ou mythique...) : un passé pré-moderne. Ce passé est idéalisé ou imaginaire. Cela explique la naissance du romantisme à une période ou le capitalisme prend un essor définitif. Ce courant de pensée va se maintenir sous des formes nouvelles (néo-romantisme, surréalisme...).
Les aspects de la civilisation qui sont critiqués par les romantismes sont :
— Le refus du désenchantement du monde qui selon M. Weber fonde la modernité. Le romantisme serait au contraire un effort pour réenchanter le monde et en prenant appui sur la nature. Celle-ci aurait par exemple son propre langage que le romantique peut seul décrypter.
— La révolte contre la quantification. Selon M. Weber, la modernité serait aussi cet esprit du calcul rationnel. Cela aboutirait à la destruction des valeurs qualitatives (beauté, harmonie, amour...) et notamment les qualités de la nature (Dickens, Temps difficiles).
— La mécanisation du monde. Le machinisme, la technique et le travail... Les romantiques y opposent l’organique : ce qui est vivant. On assiste à une transformation de l’être humain en machine (cf. Hoffmann E. T. W., Le marchand de sable). L’être humain devient un automate.
Ces trois thèmes trouvent des résonances dans la pensée écologiste à travers cette sensibilité par rapport à la nature et la critique de la civilisation industrielle. Mais toutes les sensibilités écologistes n’ont pas le même degré de romantisme. Les options les plus « radicales », « fondamentalistes » pour-raient être les plus influencées par cette pensée romantique. Mais de même qu’il existe de nombreuses variétés du romantisme qui vont du romantisme restitutionniste (qui vise à restituer le passé, cf. Novalis), au romantisme conservateur (non pas revenir au passé, mais maintenir le monde tel qu’il est : le futur serait une menace, comme l’explique Burke qui insistait sur l’équilibre de la société anglaise mise en péril par les idées de la Révolution française), au romantisme résigné (la société moderne est là, on le regrette... comme Balzac ou M. Weber), au romantisme révolutionnaire ou utopique. Ce dernier est paradoxal, car il s’inspire du passé pour penser le futur, la dialectique du passé vers le futur en évitant le présent, cette société moderne, comme par exemple Rousseau : utiliser l’état de nature pour imaginer une société nouvelle, comme le socialisme utopique, les fourieristes, ou W. Morris en Angleterre. L’écologie offre sans doute les même variantes.
Mais dans le romantisme, il existe un noyau commun qui permet d’établir, par rapport à la critique de la civilisation moderne, une liaison entre les différents auteurs. Le romantisme est aussi, paradoxalement, une critique moderne de la modernité ! Elle intègre certains éléments de la modernité, comme c’est le cas de la science dans l’économie.