J’ai trente ans, je suis infirmière et je viens de passer un mois en prison. Seulement un mois.
Je témoigne pour Patricia. Depuis six mois, elle ne voit pas ses enfants. Les permis de visite sont signés mais... ne sont pas arrivés à la maison d’arrêt.
Je témoigne pour Marie. Claustrophobe, les gardiennes l’ont retrouvée deux fois à terre sans connaissance. La solution proposée : trois Temesta dans la journée.
Je témoigne pour Murielle. Analphabète : en prison chaque demande doit être notifiée par écrit.
Je témoigne pour Tiba. Elle a risque le mitard pour s’être révoltée contre une fouille trop... rapprochée.
Je témoigne pour Sophie. Deux tentatives de suicide en un mois ; néanmoins elle est restée seule en cellule...
Je témoigne pour toutes celles qui cousent les drapeaux français et peignent les bonhommes Michelin six heures par jour pour moms de mille francs par mois.
Maison d’arrêt d’Osny (près de Cergy-Pontoise). Prison Chalandon. 500 hommes et 60 femmes seules en cellule, filles des banlieues environnantes pour la plupart. Cellules relativement confortables, chauffées, possibilité de louer la télé pour deux cent francs par mois, papier toilette 1 F 80 le rouleau. Tout s’achète. Les plus riches ne peuvent pas acheter pour les plus démunis. Les indigents (c’est le terme employé) mendient par écrit à l’administration.
Prison propre, nettoyée par les détenus ; prison moderne. Partie commune surveillée 24 h sur 24 par caméras. La nuit, les portes à fermeture électronique claquent, bruits de clefs, (rifle-tons qui s’ouvrent, flashes de lumière dans la cellule... on ne sait jamais.
Impossibilité de dormir plus de trois heures d’affilée.
Fouille des cellules impromptues, fouilles corporelles idem. Lettres ouvertes avant d’être distribuées, douches obligatoires communes tout âge confondu. Il faut ravaler sa pudeur et retrouver son intimité au plus profond de soi...
Les lieux de communication et de rencontre sont inexistants. Cris, interpellations de fenêtre à fenêtre, frustrées nous nous rattrapions en sport, en cours (être attentif à l’enseignement donné relève de l’exploit). La promenade : une cour goudronnée. Penser à ne pas tourner toujours dans le même sens. Marcher défoule.
J’ai appris le verbe « attendre ». Je le connais profondément, il m’a accompagnée, harcelée. J’ai passé mes journées à attendre, attendre que la porte s’ouvre, attendre que quelqu’un decide pour moi, le juge, I’avocat, la prof de sport, la gardienne.
Attendre les visites... quand elles sont autorisées ; une demi-heure trois fois par semaine sous le regard des gardiens. La France est en retard, l’Espagne permet les parloirs intimes de deux heures.
J’ai passé un mois à me sentir lentement, insidieusement dépossédée de tout acte de volonté. Ici, être acteur de sa propre vie ne veut plus rien dire, nous sommes complétement dépendants, infantilisés. Même les relations avec l’extérieur n’existent que par la volonté d’une seule personne : le juge. Lui décide quelles correspondances, quelles visites je peux recevoir. Le téléphone est interdit.
Le réglement carcéral casse toute initiative, toute solidarité, tout geste d’amour. Les gardiennes elles-mêmes s’abritent derrière le réglement intérieur. Un geste d’amitié, de compréhension les engagerait dans un processus qu’elles ne pourraient humainement supporter.
Ceux qui pourraient éventuellement aider ne sont pas là... Il y a deux éducateurs pour toute la prison, hommes plus femmes réunis.
J’ai lutté pied à pied pour ne pas me considérer moi-même comme un numéro, pour garder ma dignité. Je savais lire et écrire le français, j’avais de l’argent, j’étais en bonne santé et particulièrement soutenue par ma famille et mes amis. Et surtout, surtout, je savais au fond de moi que je n’allais pas y rester longtemps. Mais les autres ?
Je hurle maintenant quand j’entends le mot réinsertion. Comment peut-on parler de réinsertion ?
Comment se réconcilier avec la société si celle-ci n’offre aucun tremplin, aucune ouverture, aucune lumière ?
Les femmes que j’ai connues sont pour la plupart victimes du cercle vicieux : crise économique, délinquance, violence, banlieues, tant décrit par les médias. La prison que j’ai connue ne peut que renforcer leur révolte ou leur détresse (la drogue est remplacée par les calmants, trés largement distribués). Au lieu de stopper un processus de destruction, elle l’approfondit.
Je remercie Tiba d’avoir eu cette force, cette énergie. J’aimerais qu’elle puisse l’utiliser pour se construire autrement. J’ai bien peur que la prison ne l’en empêche tout à fait.
Personne ne paiera pour elle 500 000 F de caution pour l’en faire sortir. Personne ne s’inquiétera de la dépression de Sophie. Elles n’ont pas de noms connus dans le milieu des affaires ou de la politique. Elles ne sont plus rien. Je suis en colère.