Un Manifeste pour un parti de la lutte de classe

, par GODARD Serge, LEMAÎTRE Yvan, TRÉPÈRE Galia

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La tâche dans laquelle nous nous sommes engagés est un véritable défi face à tous ceux qui ont cru pouvoir enterrer le projet révolutionnaire, face à ceux qui ont fait du socialisme et du communisme une caricature intégrée à la politique libérale, face aux éternels Cassandre dominés par les échecs du passé. Un défi aussi que d’appeler l’ensemble des camarades à s’emparer du débat, de vouloir soumettre notre travail à la critique de tous ceux avec lesquels nous militons. La nouvelle période qui s’ouvre fait de la construction d’un nouveau parti une tâche concrète et pratique qui ne peut se contenter de simples proclamations. Elle se réalisera à travers les luttes, les confrontations politiques, afin de formuler une compréhension commune de la période et des tâches, pour reprendre l’expression de Trotsky, ciment de nouveaux regroupements.

Compréhension commune ne signifie pas pensée unique. Les divergences ne sont pas nécessairement figées, elles évoluent, se corrigent à travers l’action politique, les débats... Et au stade actuel de notre travail, il ne s’agit pas de formaliser les divergences mais d’apporter un éclairage particulier. C’est l’objectif de cet article.

En effet, c’est à travers cette dialectique de la lutte et du débat qu’opère le melting-pot du mouvement social dont émergeront dans un même processus une réactualisation du programme socialiste, communiste et un nouveau parti. Comme en science, une nouvelle formulation représente un progrès si elle inclut dans ses raisonnements les théories précédentes comme autant de cas particuliers s’intégrant dans un ensemble plus global. Notre manifeste doit aussi y prétendre. Il s’inscrit dans la perspective de la force nouvelle.

Quatre points nous semblent aujourd’hui essentiels dans la discussion :

  • définir la nouvelle phase de développement que connaît le capitalisme ;
  • établir parallèlement la courbe de développement du mouvement ouvrier ;
  • la question de la rupture révolutionnaire, l’attitude vis-à-vis de l’État et en filigrane la question du gouvernement ;
  • le parti nécessaire hors des mythes inventés par le stalinisme, mais aussi, pour le combattre, par le gauchisme.

Prendre la mesure des évolutions libérales et impérialistes

Nous est posée la question suivante : les transformations sociales des vingt dernières années, et surtout depuis la fin de l’URSS, ont-elles mûri les conditions de l’émergence d’une société communiste, ont-elles aiguisé les contradictions du capitalisme, créé les conditions objectives d’un renouveau du mouvement d’émancipation humaine ?

Saisir ces évolutions en particulier du point de vue des rapports entre les classes, c’est aussi vérifier la fonctionnalité de la grille d’analyse du marxisme. Notre critique de l’économie politique vise à mettre en relief les possibilités concrètes de transformation. On nous reproche volontiers une utopie morale, volontariste, le matérialisme militant en est tout le contraire. Pour reprendre l’expression du Manifeste communiste, « les conceptions théoriques des communistes... ne sont que l’expression générale des conditions réelles d’une lutte de classe existante, d’un mouvement historique qui s’opère sous nos yeux. »

La mondialisation, le libéralisme impérialiste, est une nouvelle phase du développement du capitalisme qui, en gagnant toute la planète, exacerbe ses contradictions comme jamais, en particulier celle, fondamentale, entre la socialisation de la production, sa globalisation, et l’appropriation par un nombre de plus en plus réduit de capitalistes.

Les écrits de Marx gardent une pertinence inégalée pour décrire ces contradictions. Ceux de Lénine aussi. Son analyse de l’impérialisme ne décrit certes pas les rapports capitalistes d’aujourd’hui, mais c’est le point de départ pour comprendre ces transformations comme leur continuité du point de vue de la logique de l’accumulation du capital. L’hégémonie américaine, le libéralisme combiné aux vieux rapports impérialistes de lutte pour le partage du monde, l’émergence des peuples opprimés ont bouleversé la face du monde.

L’ensemble des progrès technologiques, qui permettent une mondialisation croissante des échanges matériels et culturels, constitue l’infrastructure sur laquelle reposent, en dernière analyse, ces évolutions sociales et politiques. Ces progrès s’expriment dans les progrès de la classe ouvrière, classe « mondialisée » qui n’a jamais été aussi puissante. S’affirme et se développe, en corollaire, une conscience internationale, mondiale, à partir de laquelle naîtra une conscience internationaliste, conscience de la communauté d’intérêts qui unit les opprimés.

Les besoins insatiables du Moloch financier, la concurrence exacerbée par l’entrée sur le marché mondial de pays comme la Chine ou l’Inde épuisent les forces productives et sapent les bases du réformisme qui étaient, à l’époque de l’impérialisme, constituées par les surprofits, fruit du pillage des peuples coloniaux. Les prolétaires sont mis en concurrence à l’échelle du marché mondial de la force de travail.

Le fil rouge ou la mémoire vivante des opprimés

Les années charnières de cette évolution, la décennie passée, sont dominées par l’effondrement de l’URSS. Ce n’est pas le développement capitaliste qui a triomphé de la bureaucratie. La bureaucratie s’est effondrée sous la pression de ses propres contradictions de caste dominante rêvant de passer de l’appropriation collective des fruits de l’exploitation à l’appropriation privée.

Une période s’est achevée. Elle fut ouverte par la vague révolutionnaire qui suivit la Première Guerre mondiale et la révolution d’Octobre. Son isolement, dont la social-démocratie porte une lourde responsabilité, a enfanté le stalinisme, la contre-révolution. Lemouvement ouvrier vaincu par le stalinisme et le fascisme n’a pu diriger la deuxième vague révolutionnaire, la révolution coloniale, conséquence de la deuxième guerre impérialiste. Le recul a été jusqu’à son terme au cours des années 90. En même temps, l’effondrement de l’URSS et le redéploiement libéral et impérialiste se conjuguent aussi pour créer et la nécessité et les conditions d’une renaissance du mouvement ouvrier.

Notre tâche est d’essayer de formuler les acquis politiques et théoriques des luttes du mouvement ouvrier à travers lesquels le mouvement trotskyste a permis, par delà ses faiblesses, de préserver le fil conducteur du marxisme révolutionnaire. Aujourd’hui, il s’agit d’unifier, de regrouper en donnant un contenu concret, dynamique et vivant aux idées du socialisme et du communisme.

L’État, la démocratie et la rupture révolutionnaire

Cette expérience a connu des moments clés où les contradictions accumulées ont convergé dans des crises révolutionnaires, dont les plus aiguës ont été celles de 1848, 1871 et 1917. Ce sont des moments de rupture où les forces montantes du travail, c’est-à-dire du progrès et de la démocratie, se mesurent aux forces réactionnaires de la propriété. Une nouvelle conflagration de ce type est en gestation. C’est à elle que nous devons nous préparer.

La leçon que Marx et Engels tiraient de la Commune a été confirmée, souvent cruellement, par l’Histoire. La classe ouvrière ne peut se contenter de reprendre telle quelle « la vieille machine d’État », elle doit, d’une part, « éliminer la vieille machine d’oppression jusqu’alors employée contre elle-même, mais, d’autre part, prendre des assurances contre ses propres mandataires et fonctionnaires en les proclamant, en tout temps, révocables ». L’État-commune, organe de la démocratie directe, à la fois législatif et exécutif, était « la forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat », produit de l’expérience même des masses. Les soviets ont confirmé cette expérience à un degré supérieur. La formule de dictature du prolétariat n’est plus adaptée au sens où elle renvoie inévitablement à la dictature sur le prolétariat que fut le stalinisme. Le contenu en reste d’une pleine actualité sous le règne omniprésent de « la tyrannie du marché ». Décrire aujourd’hui la forme politique ou les formes politiques que pourra prendre la dictature des classes populaires sur le capital et la propriété n’est pas à notre portée. Il nous appartient en revanche de faire nôtre cette expérience, comme d’affirmer la légitimité de la violence révolutionnaire pour rompre les chaînes, détruire l’État d’oppression, le démanteler pour soumettre ses services à la démocratie des assemblées populaires. Nous reprenons aussi à notre compte l’idée de l’extinction de l’État, nous situons la lutte des opprimés dans la perspective de la disparition de la division de la société en classes.

Un parti pour les luttes d’aujourd’hui...

La perspective révolutionnaire est certes légitime mais lointaine, nous objecterons nos meilleurs amis, mais, aujourd’hui, à quoi pouvons-nous être utiles ? Il faut donner un contenu immédiat, pratique, accessible au plus grand nombre, à notre programme.

Tel est ce que nous avons appelé le plan d’urgence sociale et démocratique. Il formule à partir des revendications et des besoins immédiats du monde du travail les perspectives pour y satisfaire en remettant en cause la propriété capitaliste et ses droits, en mettant en avant l’intervention de la population, sa mobilisation, son organisation pour exercer son contrôle sur les entreprises, les services publics et l’État. Dans le cadre de la société capitaliste, nous sommes le parti des résistances et des luttes, un parti d’opposition du monde du travail. Nous mettons les mains dans le cambouis, dans les syndicats, les associations, en menant avec les travailleurs notre combat sur le terrain social et politique.

Aujourd’hui, cette question du lien entre les luttes sociales et politiques est au cœur des interrogations de bien des salariés confrontés au bilan de l’échec du mouvement du printemps 2003. Il n’y a pas de débouché politique dans le cadre du système et de ses institutions, en revanche le mouvement ouvrier doit se donner les moyens d’intervenir sur le terrain politique, d’exercer sa pression, en toute indépendance des gouvernements quels qu’ils soient.

... et, demain, pour la lutte pour le pouvoir des travailleurs

Faire prévaloir les intérêts des classes populaires, aider au regroupement de celles-ci, les éveiller à la vie et au combat politiques pour qu’elles assurent elles-mêmes la défense de leurs propres intérêts, en sachant qu’ils s’opposent fondamentalement à ceux de la bourgeoisie, voilà notre politique quotidienne qui trouve son contenu dans le plan d’urgence. Il n’y a pas opposition entre notre objectif de transformation révolutionnaire et la défense quotidienne des intérêts de la population.

Nous sommes révolutionnaires parce que nous savons que ces intérêts sont inconciliables avec ceux des classes dominantes et de leur État. C’est pourquoi aussi nous ne faisons confiance qu’à l’action organisée et coordonnée des travailleurs eux-mêmes. Comme nous militons pour les comités de grève, les assemblées de grévistes, les collectifs « interpros » pour faire vivre la démocratie, nous serons prêts à prendre toutes nos responsabilités dans un gouvernement des travailleurs. Il ne saurait être question de participer à un gouvernement qui ne serait pas l’émanation directe d’une puissante mobilisation remettant en cause la propriété privée capitaliste et son État, et situant son action dans la perspective révolutionnaire des États-Unis socialistes d’Europe, pour en finir à l’échelle mondiale avec le règne de l’aristocratie financière.

Pour conclure

Le travail collectif engagé autour de la question du Manifeste participe d’une nécessaire renaissance du marxisme, la science des luttes d’émancipation, en la dégageant des dogmes. Il s’agit de nous réapproprier la puissance subversive qu’avaient les idées du socialisme et du communisme avant qu’elles ne soient embaumées. Notre modernité, c’est la capacité à saisir le monde d’aujourd’hui du point de vue révolutionnaire plutôt que de céder aux modes du jour des confusions altermondialistes, ou de faire des concessions à un nouveau réformisme sans avenir. Cela n’a pas pour corollaire le sectarisme, mais au contraire un débat large et public comme la recherche, chaque fois que c’est possible et nécessaire, de l’unité autour d’objectifs concrets.

Le débat qui s’ouvre éclairera les points de vue différents et devrait permettre leur convergence, afin de définir le projet qui nous réunit. C’est dans cette démocratie vivante que nous trouverons la force collective d’affronter les préjugés réactionnaires, le conformisme de gauche, d’assumer avec fierté la continuité historique de notre combat, le trotskysme, dans le même temps que nous assumons nos responsabilités nouvelles.

S. G., Y. L., G. T.

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