45 % des voix pour la plate-forme (PF) B, 20% pour la C, 35% pour la D, ce sont les scores finaux (arrondis) qui ressortent du 6e congrès national des JCR, avec en conséquence 4/2/3 personnes au bureau national de l’organisation.
Les JCR-RED (nom « officiel » : Jeunesses Communistes Révolutionnaires — Révolution Egalité Démocratie, hérité de la fusion des deux organisations de jeunesse qu’avait alors la LCR) sont l’« organisation de jeunesse en solidarité politique avec la IVe Internationale et sa section française la LCR » (extraits des statuts). C’est une organisation autonome, c’est-à-dire qu’elle se dote d’un fonctionnement propre (direction, orientation, matériel...).
Une organisation divisée et affaiblie
Au précédent congrès, de même que l’organisation « adulte » avait fortement progressé, l’organisation de jeunesse de la LCR avait vu le nombre de ses militants doubler dans la foulée des présidentielles de 2002. Mais par rapport à ce dernier congrès, elle ne comptait plus en décembre 2005 que 58 % de membres, et 44 % seulement ont pris part au 6ème congrès. Cet échec numérique est bien sûr un échec politique. C’est la conséquence de plusieurs crises qui ont traversé la petite organisation.
Une incapacité à répondre à la situation
Les JCR n’étaient pas préparées à faire face à l’afflux de jeunes militants noté au dernier congrès. Depuis des années, l’organisation se pensait plus en tendance syndicale étudiante qu’en organisation politique. Ceci étant dû en partie à sa composition : peu de jeunes travailleurs, à peine plus de lycéens, le reste d’étudiants – et en général pas salariés. Mais cela a entraîné des difficultés à proposer une orientation et une activité correspondant aux attentes des nouveaux, souvent très jeunes (lycéens, voire collégiens). Comme toutes les organisations issues du mouvement trotskyste, elle traîne les défauts qui datent d’une époque bien antérieure. Son sectarisme, notamment, est important ; ainsi les militants intéressés par l’écologie sont-ils généralement vus comme les « amis des pandas et des tortues ». Elle a aussi une grande difficulté à débattre de façon constructive, sans caricaturer les oppositions de façon détestable. Depuis leur création en 1979, les JCR ont aussi fréquemment été utilisées ou manipulées pour des batailles de fraction, de courants ou tendances dans la LCR.
Des divergences politiques qui entraînent des démissions
Entre les 5e et 6e congrès, une kyrielle de démissions : tout d’abord le départ des derniers membres des JCR se reconnaissant dans la PF3 de la LCR. Le gros de cette troupe avait déjà quitté l’organisation de jeunesse après le 4ème congrès, juste après en avoir perdu la majorité. Les derniers « résistants » l’ont fuie en 2002, ne supportant pas que l’organisation se refuse à appeler à voter Chirac. Ils sont pourtant partiellement revenus pour participer au 5ème congrès mais ne sont pas reparus par la suite.
Ensuite vint la crise où l’organisation, ayant la mauvaise habitude de peu discuter de ce que ses membres font dans les cadres unitaires, s’est déchirée lors du G8 d’Evian, entre une minorité investie dans le « Village intergalactique » du réseau G8-Illégal et une majorité pensant que la guerre était un élément plus important (voire surdéterminant selon certaines interprétations) et donc investie dans Agir contre la guerre (ACG). Cette péripétie entraîna la démission de deux membres du bureau national, et le départ d’un nombre important d’autres militants.
Là-dessus s’est greffée l’intégration des camarades issus du courant Socialisme par en bas (SPEB), alors que parfois les relations locales avant intégration étaient déjà tendues. Ces deux éléments combinés ont abouti à la disparition de sections entières. Enfin surgit le débat sur le voile, et des cercles quittèrent à leur tour les JCR, accompagnés d’autres militants d’autres cercles qui partirent individuellement.
Un changement de majorité en cours de mandat qui aggrave encore la crise
Mal gérée, l’intégration des camarades de SPEB (mars 2004) a également posé des problèmes au niveau central. Ainsi ils ont été surreprésentés dans les instances par rapport à leur poids réel, et cela a occasionné un changement de majorité. Auparavant la « majo » était ce qui allait devenir la plate-forme B ; cette intégration a donné la majorité à la future plate-forme C. Au niveau politique, cela s’est traduit par un recul de l’activité sur toutes les questions qui n’étaient pas antiguerre, par une analyse triomphaliste de la période et, en conséquence, par un abandon de toute politique unitaire. Des problèmes importants sont apparus, comme la conception de la démocratie dans les mouvements de masse, et particulièrement dans ACG : la nouvelle majorité des JCR qui en exclut une autre partie de la direction d’ACG, qui organise les votes au milieu d’une AG quand elle est sûre d’être majoritaire, puis qui la scissionne lorsqu’elle y perd la majorité...
Un congrès mouvementé
Lors de ce congrès, il y a eu, pour la première fois depuis cinq ans, des plates-formes séparées. Avec bien sûr une organisation divisée, des comportements fractionnels de toute part et l’ambiance qui va avec. Les trois principaux débats ont porté sur la lutte contre le gouvernement, le mouvement antiguerre et la nouvelle force à construire ; avec, au vu des récents évènements dans ACG, les clivages les plus importants et les plus « structurants » sur cette deuxième question.
La première plate-forme déclarée fut la D, sans vraiment de ligne politique précise, le rassemblement se faisant sur le rejet de la direction sortante – mais curieusement plus dirigée contre la B que contre la C. Ainsi elle a rassemblé tous les mécontents : des camarades qui trouvaient que les JCR ne traitaient pas suffisamment les questions femmes et LGBT, et d’autres écrivant qu’homme et femme sont complémentaires ; des camarades en désaccord avec l’orientation anti-exclusions de filles voilées et d’autres se reconnaissant dans cette orientation ; des camarades en désaccord sur la question de la solidarité avec la résistance irakienne et d’autres partisans de cette solidarité ; des camarades voulant construire une nouvelle force anticapitaliste et d’autres uniquement une organisation révolutionnaire ; et parmi ceux voulant une organisation large, des camarades qui argumentaient pour une organisation de lutte pour le socialisme et d’autres qui voulaient une « force opposée au social-libéralisme du PS pour lui disputer l’hégémonie sur la gauche », bref une force antilibérale. Globalement elle défendait aussi une analyse euphorique de la situation : chaque mobilisation est une victoire, ceux qui luttent sont révolutionnaires sans le savoir, etc.
La plate-forme B a longtemps attendu avant de se déclarer, espérant un accord avec une partie (celle qui ne venait pas du courant SPEB) de la plate-forme C. Elle regroupait la majorité de l’ancienne direction, c’est-à-dire des camarades qui voulaient une politique unitaire sur toutes les questions, autant de syndicalisme que d’activité antiguerre, construire une organisation révolutionnaire, mais qui ont énormément de difficultés à se penser en organisation politique et pas seulement en fraction syndicale. Ainsi lors du congrès national se sont tenues des commissions par secteur d’intervention, et au départ dans la commission « étudiants » n’était traitée que la question du syndicalisme, pas celle de l’apparition propre et des autres cadres où les JCR interviennent (collectifs antiguerre, pour le Non à la Constitution européenne, etc.). Cette plate-forme a également longtemps hésité entre une orientation affirmant vouloir chasser Chirac sans attendre 2007 et celle s’autolimitant à l’objectif de lui infliger une défaite (ces limites possibilistes sont bien sûr liées à celles de la LCR), mais finalement a opté pour la première.
La plate-forme C a été formée par les militants issus du courant SPEB et un secteur de l’ancienne direction qui a peu ou prou repris l’orientation globale des nouveaux arrivants. La situation politique est marquée par l’impérialisme et « l’actualité de la révolution », il y a des possibilités énormes dans la période mais le mouvement antiguerre est celui qui peut faire le plus de mal à la bourgeoisie, les défaites n’existent pas mais pour gagner il faut que « les mouvements » aient une bonne orientation (et cela prime sur la nécessaire démocratie...).
Je ne m’attarderai pas sur la plate-forme A ; l’auteur de cet article étant à l’initiative de cette défunte plate-forme, il ne peut prétendre à l’objectivité. Disons pour faire court qu’elle défendait une analyse tempérée de la situation, une activité non monomaniaque et une nouvelle force de lutte de classe pour le socialisme, avec un profil d’organisation politique pour chasser Chirac et non de fraction syndicale. Voyant que le débat antiguerre était prépondérant dans ce congrès, elle a fusionné avec la plate-forme B en maintenant des amendements qui ont obtenu autour de 10 % des voix au congrès local parisien.
Le texte final a été adopté par la quasi-unanimité des congressistes : il s’agit au départ d’une motion C-D amendée par la plate-forme B, ses amendements ayant été repoussés sur la partie « situation » mais adoptés sur la partie « tâches ». C’est donc un texte éminemment contradictoire.
Les militants se reconnaissant dans la PF 2 de la LCR ont décidé de quitter les JCR, après qu’une de ces camarades nous ait clairement expliqué que pour eux les JCR n’étaient plus utiles aujourd’hui pour contrebalancer l’orientation de la LCR.
Pas touche aux JCR !
Juste avant les votes, Olivier Besancenot est intervenu au nom de la LCR. Son intervention, assez longue, fut sans doute plus appréciée par la plate-forme B que par les autres. Il s’est ainsi démarqué de l’analyse euphorique de la situation défendue par les plates-formes C et D. Il a aussi reconnu implicitement que la LCR ne s’impliquait pas à la hauteur des enjeux dans le mouvement antiguerre. Il a encore dit qu’une nouvelle force, c’est une question pour la LCR et non pour l’organisation de jeunesse, ce dont on peut largement douter (ainsi, l’organisation de jeunesse de la nouvelle force anticapitaliste pourrait être l’organisation de jeunesse en solidarité politique avec une seule de ses composantes ?)
Puis il a fait part de son « inquiétude » et a soulevé une question, en ébauchant une réponse : si les JCR sont aussi peu nombreux, c’est peut-être lié à l’air du temps, peut-être qu’aujourd’hui une organisation autonome n’est plus adaptée, la LCR va en discuter à son prochain congrès.
Oui, les JCR connaissent des crises. Des crises exacerbées par la fougue de la jeunesse sans la températion de l’expérience. Oui, les JCR ont diminué de moitié. Pourtant, les dissoudre serait une grosse erreur. Ce serait également masquer les responsabilités de la LCR dans cet échec.
Ainsi, si les JCR sont aussi faibles numériquement, cela est sans doute dû en grande partie à leur méconnaissance par le public qu’elles veulent toucher. Un jeune qui voit Besancenot à la télé ou dans un meeting et qui veut le rejoindre ne va pas entrer aux JCR puisqu’il n’en a jamais entendu parler ! Au cours des deux années écoulées, la seule fois où la LCR a parlé de son organisation de jeunesse dans les médias, cela a été pour lui taper dessus lors de l’affaire du voile. La Ligue a entretenu des relations plutôt fraîches avec son organisation de jeunesse depuis le 28 avril 2002, n’ayant pas aimé sa position sans consigne de vote lors du 2e tour des présidentielles, et encore moins sa position contre les exclusions de filles voilées — comme si elle-même était unanime sur cette question. Dernièrement (pour la manifestation contre les violences faites aux femmes du 27 novembre 2004), la direction de la LCR a encore exercé des pressions pour changer un tract JCR sur ce sujet, remettant de fait en cause l’autonomie politique de l’organisation de jeunesse (mais cela est également arrivé sur la sortie d’autocollants, « République française = république raciste » n’a pas non plus été toléré).
Ajoutons aussi que des jeunes qui sont en désaccord avec l’orientation des JCR vont généralement se réfugier à la LCR (où ils seront plus tranquilles car avec forcément moins de responsabilités) plutôt que de se constituer en tendance. Les camarades de la LCR qui sont en désaccord avec la majo, eux, ne peuvent pas trouver leur bonheur dans les JCR !
Des secteurs importants de la LCR souhaiteraient maintenant dissoudre les JCR, et le plus souvent ce n’est pas pour des questions relatives à la pertinence ou non d’une organisation autonome, mais pour des raisons d’orientation politique. C’est le cas de beaucoup de jeunes qui dans la Ligue sont membres de la PF3 (et qui avaient déjà écrit un texte en ce sens pour le dernier congrès de la LCR), et aussi pour partie de la PF 1 (les camarades qui sont partis suite à la controverse du G8 et qui sont largement acritiques sur le mouvement altermondialiste). Les jeunes membres de la PF 2 également, après être allés aux JCR « pour contrebalancer l’orientation de la LCR », demandent désormais à cette dernière leur dissolution ! Leurs désaccords : le voile, les questions altermondialisation, la solidarité avec la résistance irakienne, etc.
Pourtant, même si le bilan des JCR est très mitigé, il ne faudrait pas y voir que le négatif. Ainsi l’organisation, via ACG, est à présent en capacité de peser réellement sur le rapport de forces politique, comme l’a prouvé la manif anti-Bush du 5 juin, et déjà les précédentes mobilisations contre la guerre en Irak ; sur un autre sujet, lors de son intervention dans le mouvement étudiant de novembre-décembre 2003. Elle progresse politiquement, ayant compris assez tôt que les interventions armées étaient une donnée structurante de la période ; que le déplacement vers la droite des directions traditionnelles du mouvement ouvrier confère aux révolutionnaires, par-delà les difficultés de la période dues aux défaites, de nouvelles responsabilités dans l’organisation des luttes et un potentiel pour organiser politiquement de larges franges de notre camp social.
En ce qui concerne leur vocation première, à savoir former des cadres pour la LCR, est-ce un hasard si Olivier Besancenot, comme aujourd’hui la benjamine de la DN de la LCR, a été à la direction des JCR ? Au niveau de la formation, il est évident que les JCR traitent cette question beaucoup plus sérieusement que la LCR. D’où une capacité à élaborer une politique pour l’ensemble de l’organisation bien plus développée chez les jeunes de la LCR qui sont passés par les JCR que par les autres qui ont fait l’impasse.
Il suffit de voir le bilan des secteurs jeunes de la LCR pour être convaincu qu’ils ne représentent pas une solution miracle. Il n’en existe que cinq dans toute la France, ils ont une moyenne d’âge bien plus élevée que celle des JCR, agissent peu en organisation politique et leur intervention n’est pas coordonnée. Difficile d’être utile dans ces conditions.
Le jour où la direction de la LCR formulera une politique répondant aux principales questions intéressant la jeunesse (sécuritaire, syndicalisme étudiant, mouvement antiguerre, etc.) et de formation de ses jeunes militants, elle pourra s’interroger sur la pertinence ou non d’une organisation de jeunesse autonome. Mais pas avant. Ce serait suicidaire pour notre courant politique.