Femmes et Islam (3)

Tariq Ramadan a sa place dans le Forum social européen

, par SAMARY Catherine

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Chères amies de la CADAC [1] et du CNDF [2],

Je viens de recevoir le projet de texte CADAC-CNDF à faire signer pour exclure T. Ramadan des débats du FSE – et ce à la veille même de son ouverture, sans le moindre temps d’en débattre !

Pourtant, nous sommes confrontées à un contexte particulier qui mérite un peu de prudence dans un tel appel à exclusion.

  • d’une part, il y a la double campagne médiatique propageant des accusations d’antisémitisme dès que la politique d’Israël est en jeu ; et visant à dénigrer tout musulman progressiste pour mieux faire passer le cliché « musulman = fondamentaliste extrémiste » pour justifier la politique de Sharon. La campagne contre Ramadan pour l’exclure des débats du FSE comme « antisémite » était calomniatrice. Les organisateurs du FSE n’y ont heureusement pas cédé.
  • d’autre part, il y a eu la montée des tensions autour de la question du foulard islamique.

Et c’est à présent au nom du féminisme et de la laïcité — contre l’islam politique — que vous nous proposez l’exclusion de Tariq Ramadan des débats du FSE.

La défiance envers tout islam politique est alimenté par l’existence de courants islamistes réactionnaires et prônant des formes de résistance communautaristes provocatrices (dont un voile prosélyte) à l’intégration dans les sociétés. Tariq Ramadan en est conscient :
« il doit être clairement dit que les musulmans eux-mêmes portent une grande part de responsabilité dans ce qui se passe. Eux aussi entretiennent une profonde suspicion vis-à-vis de leurs concitoyens européens [...]. On observe aussi de la part de certains musulmans une attitude de rejet de l’Occident souvent exprimée sans la moindre nuance » (pp.356-357 Être musulman européen). Et il appelle alors les musulmans en Europe « à réussir le défi d’une coexistence qui soit non pas une paix dans la séparation, mais un vivre ensemble dans la participation ».

N’est-ce pas une rupture avec la logique de juxtaposition « communautariste » sans intégration dans la vie politique et sociale ? Et est-ce cohérent avec la vision que vous nous donnez de Tariq Ramadan dans votre appel à exclusion ?

L’émergence au sein du monde musulman de courants et intellectuels progressistes condamnant les politiques de violences contre les femmes et les homosexuel-le-s, défendant l’accès des femmes à l’instruction publique et laïque, et portant le débat sur les conditions de leur autonomie est évidemment essentielle pour ouvrir une dynamique de rupture plus profonde de ces femmes avec tout ce qui les emprisonne. Ma conviction, sur la base de ce que j’ai lu de Tariq Ramadan joue un rôle actif dans cette dynamique-là (on trouve ses articles sur le site religieux www.oumma.com ; cf. également le livre de discussion avec Alain Gresh L’islam en question, Babel, Actes Sud, 2002 - nouvelle édition).

Est-ce que Tariq Ramadan refuse la laïcité ? Veut-il imposer aux femmes de rester au foyer, de ne pas travailler, de ne pas suivre certains cours ? Veut-il leur imposer le port du voile ? Justifie-t-il les violences faites aux femmes ? La réponse est non sur toutes ces questions — du moins sur la base de ce qu’il dit et écrit.

Alors, de deux choses l’une :

  • ou bien je me trompe parce qu’on trouve des exemples d’un double langage de Ramadan (accusation régulièrement avancée et jamais prouvée) — et vous me convaincrez très facilement en me donnant les textes et leurs sources, illustrant ce comportement : c’est notre intérêt commun de démasquer alors cet individu ;
  • ou bien j’ai raison et il y a calomnie par divers procédés revenant à lui attribuer des positions qui ne sont pas les siennes. Et il est de notre devoir élémentaire et démocratique de dénoncer ces pratiques, dramatiques pour le combat en milieu musulman notamment. La déformation des positions que l’on prétend combattre est une pratique terrifiante et empoisonnée, dans les organisations politiques comme dans les associations et le mouvement large que nous voulons contribuer à construire démocratiquement...

Mais si, en dernier ressort, T. Ramadan est accusé de « camouflage », chaque position progressiste que je pourrai citer sera preuve de ma naïveté et de sa fourberie ? Mais alors il n’y aura plus aucun débat possible avec un quelconque musulman progressiste — parce qu’il est musulman. Et c’est ce qu’on appelle de l’islamophobie.

L’appel à signature contre la présence de Tariq Ramadan a été précédé de textes féministes de critiques/dénonciation de ses positions – dont celui d’un « collectif féministe pour un altermondialisme laïc », et celui, de Marseille contre les « deux frères » : l’un et l’autre procèdent à des glissements calomniateurs.

1) Les arguments calomniateurs...

À moitié rejetés tout en les citant pour qu’il en reste quelque chose...

Le « collectif féministe pour un altermondialisme laïque » dit se distinguer de la campagne calomniatrice contre Ramadan (interprétant son texte comme antisémite). Mais... il en reprend les termes de façon pernicieuse : « Ramadan n’est pas antisémite, mais... il fait des listes ! (de juifs) » !

De deux choses l’une : soit « il fait des listes de juifs », comme elles disent (sombre évocation !) — dans le sens antisémite ! Soit il n’est pas antisémite — alors il est scandaleux de dire qu’il « fait des listes de juifs » !

Le texte procède de la même façon hypocrite et ambiguë en permanence, du type : « ce n’est pas parce qu’il est le petit-fils d’un grand réac qu’on le rejette... mais quand même, il est le petit-fils et n’a pas rompu... »

Exemple :

« Tariq Ramadan n’est pas dangereux parce qu’il est le petit fils d’Hassan al-Banna, fondateur des Frères musulmans à l’origine d’un islam politique qui a fait des ravages aux quatre coins du monde, mais parce qu’il n’a jamais pris ses distances avec l’héritage idéologique de cet homme qu’il présente comme le "plus influent des réformistes musulmans de ce siècle » alors que ce réformisme consiste à vouloir revenir aux fondements de la charia ».

C’est calomniateur et confus.

  • calomniateur : je cite la réponse que Ramadan a faite à BHL envoyée au Monde qui ne l’a pas publiée (mais qu’on peut lire entièrement sur le site indiqué).

« Vient le refrain sur mon grand-père. Je me suis maintes fois expliqué sur ce sujet et sans aucune gêne contrairement à ce que vous dites. Je répète que j’ai, vis-à-vis de lui et de son action, une attitude critique et sélective. Je continue néanmoins de penser que l’on a de son œuvre une vision partielle qui s’appuie sur des extraits, des écrits de jeunesse, ce qu’en a dit le colonisateur et qu’il convient, de surcroît, de le distinguer de certains de ses disciples. Vous-mêmes, M. Lévy, qui ne connaissez pas l’arabe, n’avez pu lire que les quelques morceaux traduits (moins de 5 %) : la critique de sa pensée est légitime mais elle doit se faire en connaissance de cause. Je répète que je respecte cette dimension de son engagement qui l’a amené à construire plus de 2 000 écoles et centres sociaux, résister à la colonisation anglaise et s’engager en Palestine, dès 1936, pour s’opposer ensuite aux terroristes de l’Irgoun et du Stern. »

  • confus : Il mêle le fait que des courants associés (à tort ou à raison, laissons cela de côté) au grand père veulent revenir à la charia... avec le jugement sur Ramadan : celui-ci veut-il un « retour aux fondements de la charia » ? On parle de qui ?

Le texte féministe de Marseille mêle, de la même façon, la position des deux frères Ramadan — en les présentant comme une division du travail (le double langage de Tariq Ramadan, serait donc en fait tenu via son frère !)... On « homogénéise » la famille Ramadan, en même temps que l’islam politique... Les positions progressistes de Tariq Ramadan ne seraient que ... poudre aux yeux ?

2) De « pseudo » combats progressistes ?

a) Sur l’homosexualité. Certes, Tariq Ramadan considère qu’il s’agit d’une pratique que les musulmans devraient s’interdire comme « non voulue par Dieu » — nous rejetons cette ingérence de la religion dans le jugement des comportements sexuels. Mais, quand on connaît la répression terrible des homo en Egypte et le climat idéologique qui règne sur cette question, notamment dans le monde musulman, ne pas voir comme « progressiste » le fait qu’il s’oppose à cette répression des homo est criminel, pour eux !
L’homophobie est par ailleurs largement répandue dans bien des milieux, non musulmans, que nous rencontrerons dans les forums mondiaux. Combattons-la — sans exclusive...

b) Sur les violences corporelles. Le « collectif féministe » reproche : « Au lieu de condamner les châtiments corporels et d’exiger leur abolition, il se contente de proposer un “moratoire total et absolu, pour nous donner le temps de revenir à nos textes fondamentaux [...] et de déterminer strictement les conditions requises”. Il ne remet pas non plus en cause le droit d’un homme à user de la violence conjugale, même s’il souligne que le Coran l’envisage en “dernier recours”. »

Voilà ce que dit T.Ramadan (réponse à BHL).

« Vous laissez entendre que ma position sur la lapidation est floue. Vous évitez soigneusement de mentionner que, dans l’article que vous citez, j’affirme que selon moi, « elle n’est jamais applicable ». Ce n’est de loin pas le cas des ulémas aujourd’hui : ma proposition est donc d’ouvrir un débat de fond dans le monde musulman en commençant par exiger un moratoire absolu concernant toutes les peines corporelles et capitales parce que leur application est absolument inique et s’abat aujourd’hui exclusivement sur les pauvres et les femmes. Peut-on être plus clair ? »

T. Ramadan a également condamné l’excision de multiples fois — ce qui est d’ailleurs une pratique coutumière répandue en Afrique chez des non-musulmans et des musulmans, et non pas propre à l’islam. Peut-on dire qu’il « se contente » d’exiger l’arrêt immédiat (moratoire) des violences (comme si ce n’était déjà pas essentiel !), sans comprendre la force d’un débat qu’il veut imposer au nom du Coran contre les violences qui se revendiquent du Coran ! Rejeter la problématique de Ramadan simplement parcequ’elle part de Dieu pour combattre ces violences est seulement de l’aveuglement.

c) sur les inégalités. Le Collectif féministe nous dit : « Tariq Ramadan reconnaît bien l’égalité des hommes et des femmes devant Dieu mais croit en une complémentarité - et donc en une différence - des sexes sur le plan social et familial »...
La différence des sexes est une idée banale qui comporte de multiples variantes — y compris en milieu féministe ! Un point essentiel pour nous est l’autonomie que les femmes (même croyantes) peuvent gagner par l’éducation et le travail. Or si Tariq Ramadan reconnaît que l’islam attribue à l’homme la responsabilité de gagner l’argent de la famille (la femme ayant un rôle central dans la gestion de la famille, dans l’islam comme dans toutes les cultures traditionnelles), il est en même temps en débat ouvert avec les courants qui veulent interdire aux femmes de sortir du foyer. L’Islam, reconnaît-il, met l’accent sur le « droit » des femmes « de ne pas travailler ». Mais cela n’implique pas de s’opposer au droit (à leur choix) de travailler ! Cf. dans le débat Gresh/Ramadan op cité, notamment p.280-292 quelques extraits de ce qu’y dit Ramadan :

« J’ai eu des débats très virulents en Europe avec certains représentants du FIS sur la place des femmes et leur lecture de la réalité économique : interdire aux femmes de travailler, affirmer que le chômage était dû à la présence des femmes sur le marché du travail et [...] présenter le fait de les renvoyer à la maison comme “le” remède islamique m’a fait réagir. J’ai critiqué sans détour ces lectures réductrices et simplistes. Ils [...] me présentaient comme un musulman “occidentalisé” soft ou “light” ».

Certes, il explicite sa recherche de préservation des textes religieux pour rester dans le cadre du monde musulman — mais il dit vouloir pousser « à une adaptation cohérente et plus juste » de ces textes à partir d’une réflexion « de l’intérieur » liée à l’étude de l’évolution des contextes — donc des sociétés et des pratiques :

« je pense à la reconnaissance de l’autonomie des femmes, de leur statut social, du mariage, du divorce, etc. »...

Le texte d’appel à signature contre T. Ramadan estime que « ce discours instrumentalise les concepts de la lutte contre les injustices et les discriminations au profit de la diffusion de l’islam politique comme une alternative anti-impérialiste et anti-colonialiste ». C’est à nouveau présenter l’islam politique comme un tout indifférencié (incluant les Talibans ?). Et c’est rejeter « en bloc » tout islam politique. La théologie de la libération n’était-elle pas une composante des alternatives anti-impérialistes et anti-colonialistes ?

d) La laïcité. Le collectif féministe nous dit : « Tariq Ramadan se dit laïque, mais il définit la laïcité comme un espace neutre, devant accueillir toutes les confessions et tous les cultes. C’est aussi la définition de Christine Boutin. »
Pas seulement de Christine Boutin ! Voilà une présentation bien terroriste ! Bien sûr qu’il y a débat sur le sens de la laïcité. Mais le sens de la loi de 1905 est :

  • l’État est neutre (il n’y a pas/plus de religion d’État), et l’enseignement est laïque, donc suppression des crucifix et du cathéchisme, et on enseigne la biologie, les sciences, etc..
  • et... l’État garantit la liberté de pensée et de culte... ce qui pose toute sorte d’interprétations sur les financements, mais implique en tout cas la liberté d’expression de ses idées et convictions religieuses pour les élèves et citoyens (autre chose est la neutralité des fonctionnaires).

Voici ce que Ramadan dit de la laïcité dans une lettre ouverte à Sarkozy et Ferry de mai 2003 (cf. site indiqué)

« De fait, la loi de 1905 n’a pas à être modifiée et il faut au contraire l’appliquer totalement et égalitairement aux musulmans. Le cadre est clair : les lois de la République sont contraignantes et c’est dans leur respect que les musulmans ont autorité pour gérer leur culte. L’avis du Conseil d’Etat apporte une précision à la compréhension dudit cadre : si le foulard à l’école n’est pas en soi en opposition avec la laïcité, il faut qu’en aucune façon il justifie le prosélytisme, l’atteinte à l’ordre public ou encore une dispense de cours. Cet avis dit la limite et impose une orientation : loin des débats passionnés, et avec une certaine sagesse, il engage les acteurs (proviseurs, enseignants, élèves, parents) au dialogue afin de faire respecter la loi, de protéger l’espace scolaire et de garantir les droits des élèves. Il adresse ce faisant un message explicite aux citoyens musulmans : ils doivent s’opposer à toute imposition du foulard (de la part de la famille ou des coreligionnaires) et s’imposer la participation à tous les cours ».

Et dans la réponse à BHL de novembre 2003, il dit à nouveau :

« Plus loin vous déformez mon propos : dans un texte où je m’adresse aux musulmans arrivant en France et qui sont parfois gênés, voire choqués, de ce que l’on enseigne en biologie ou en philosophie, je dis qu’aucune dispense de cours n’est acceptable et que s’ils désirent donner un éclairage qui réponde à leur référence religieuse celui-ci doit être dispensé au sein de la communauté religieuse comme cela est le cas pour les juifs ou les chrétiens. Je me suis moi-même spécialisé dans la pensée de Nietzsche que j’enseigne avec Kant, Sartre ou Freud et tant d’autres : comment pourrais-je tenir les propos que vous inventez ? »

Dans Être musulman européen, il dit (p.424) à propos du foulard islamique « on doit soutenir de la même façon les femmes qui le portent et se voient forcées de l’enlever que celles qui ne veulent point le porter et à qui il est imposé ».

Le texte d’appel à signature ne nous dit pas cela : « tenant compte de l’évolution irréversible de la condition des femmes par l’accès à l’éducation, au travail rémunéré et à l’espace public, il tente de la canaliser. Le voile se présente dans ce contexte comme le passage obligé à une citoyenneté communautariste. Il opère en même temps une nette distinction entre la femme musulmane “pudique” et les autres non voilées, qui seront d’emblée identifiées comme des femmes non-pudiques et par extension non dignes de respect ».
Le « par extension » indique certainement l’effet pervers de cette forme de protection individuelle — et ce pourquoi nous ne sommes pas d’accord avec la banalisation du port du foulard. Mais il est en tout cas faux de dire que le voile est pour TR un « passage obligé ». Souligner la motivation de pudeur comme une des motivations dans le port du voile n’est pas une invention de T. Ramadan — c’est bien ce qu’expriment bien des femmes voilées. C’est un débat qu’il faut avoir d’abord avec les femmes musulmanes (va-t-on exclure les femmes voilées de nos débats ?) et... avec tous les hommes — notamment Ramadan qu’il ne faut pas exclure de ce débat - sur le couple « ni putes ni soumises ».

3) « Tariq Ramadan est un leader fondamentaliste, qui souhaite revenir aux fondements du Coran » ?

« Fondamentaliste » ? Je ne sais pas. Peut-être, mais dans quel sens ? Le mot « fondamentaliste » fait peur et est d’emblée assimilé à « fondamentalisme » de type Talibans... qui n’auraient évidemment pas leur place dans des Forums altermondialistes... D’après ce que j’ai lu de Ramadan il semble qu’il estime que dans les « fondements » du Coran il y a « le respect de l’autre » et la non-violence — qui implique de dénoncer les violences faites aux femmes et le rejet des politiques qui, au nom de l’islam, voudraient leur imposer de rester au foyer... N’est-ce pas compatible avec les plateformes larges du mouvement ?

Nous pouvons y exprimer nos désaccords et points de vue contre ceux de Ramadan :
Qui détermine la « place » des femmes dans la société, et le comportement sexuel : Dieu ? telle ou telle lecture du Coran ? Ou les êtres humains (hommes et femmes) que l’on doit respecter dans leurs choix, donc les sociétés humaines, démocratiquement ? — mais pourquoi l’exclure de ce débat ?

4) Retour sur l’antisémitisme...

Ramadan s’est s’adressé fort mal dans le texte incriminé à des intellectuels défenseurs de Sharon (en mélangeant un non juif aux autres et en semblant expliquer le soutien de Sharon et du sionisme par un réflexe communautariste). Mais avant et après, bien des écrits sont éclairants d’un de ses thèmes récurrents : chacun doit d’abord combattre le nationalisme aveugle d’abord « au sein de sa propre communauté » pour arriver à des combats universalistes... Ce n’était donc pas par hasard s’il soulignait qu’il s’adressait à des « intellectuels juifs ». Voici l’éclairage qu’il donne de ce même sujet le 31 octobre dans une lettre à V. Adler — cf. site :
« Sur plus d’une demi-page du Monde (16 octobre), [de nombreuses personnes] ont signé un appel digne et tellement respectable pour affirmer que, compte tenu des circonstances actuelles, et de la parole monopolisante « de quelques institutions ou quelques hommes publics », ils étaient obligés de revendiquer « la part juive de leur identité » et que celle-ci non seulement ne les empêchait pas mais au contraire les appelait à défendre les valeurs universelles de justice, de paix et de liberté. Ils ajoutent qu’il ne peut s’agir pour eux de soutenir « la politique criminelle de M. Sharon » ni d’accepter les intimidations, ni enfin d’adhérer au chantage à l’antisémitisme qui a cours aujourd’hui en France. C’est sur ce terrain que les citoyens français, tous les citoyens et ce quelle que soit leur religion ou leur attache idéologique, doivent se rejoindre et affirmer avec eux que les communautarismes et les lectures sélectives et partisanes du monde ne seront dépassés que lorsque les citoyens se battront ensemble au nom des valeurs communes contre toutes les dictatures, toutes les oppressions, tous les dénis de droit. Ce débat nous concerne tous et chacun d’entre nous est responsable de maintenir une attitude froide, raisonnable, juste sans sélection avec un constant souci de l’autocritique. La conscience musulmane doit parler et dire clairement que l’antisémitisme est inacceptable ou que l’oppresseur Sharon n’est pas Hitler et je ne cesse quant à moi de le dire et de critiquer toutes les dictatures qui au nom de l’islam propagent l’horreur de l’Arabie Saoudite au Nigéria. Ainsi doit-il en être également de la conscience chrétienne, juive, communiste, athée et de toutes les autres. De cette exigence dépend le vivre ensemble parce qu’en aucun cas nous n’avons le droit de différencier les victimes ni de distinguer les bourreaux. »

5)... et sur l’« islamophobie »

Le collectif féministe conclut : « Nous luttons contre le racisme anti-musulmans mais nous refusons le terme introduit en France par Tariq Ramadan. Il s’agit d’un concept inventé par les islamistes pour disqualifier les féministes, les musulmans libéraux et tous ceux qui tentent de laïciser l’Islam en les faisant passer pour des racistes alors qu’ils sont simplement laïques et/ou critiques vis-à-vis des dogmes religieux ».

Je pense que cette présentation est erronnée : l’islamophobie existe, sous deux variantes.

  1. celui d’un courant intellectuel qui tend à mettre à part l’Islam parmi toutes les religions, en la considérant comme « organiquement » incapable de donner naissance à des courants progressistes et laïques ; ce qui débouche sur un traitement « homogène » et un rejet de tout islam politique ;
  2. l’assimilation raciste « musulman = arabe = fondamentalisme » qui sous-tend le racisme réellement existant notamment en France contre les musulmans. Tariq Ramadan se bât à la fois contre le racisme et contre une approche « essentialiste » homogène de l’islam, ignorant sa diversité et son histoire.

Soyons attentives à tout cela ! Cela n’oblige à aucune complaisance au nom de l’anti-colonialisme envers des points de vues conservateurs ou réactionnaires. Mais sachons dialoguer avec les courants progressistes qui soutiennent des valeurs égalitaires — l’écart entre les discours égalitaires et les réalités, ancré justement dans le rôle traditionnel attribué aux femmes, n’est pas propre à l’islam de Tariq Ramadan. Notre très laïque république française en témoigne dans ce qui a motivé le débat et une loi sur la parité — dont il serait bon de tirer le bilan !

Salutations féministes !

P.-S.

Article paru sur le site Islam & laïcité.

Notes

[1Coordination des Associations pour le Droit à l’Avortement et à la Contraception

[2Collectif National pour les Droits des Femmes

Pas de licence spécifique (droits par défaut)