La faible participation à la manifestation du 7 novembre contre le racisme, l’antisémitisme et toutes les discriminations, organisée à l’initiative de la LDH et du MRAP, prouve s’il en était besoin le peu de cas que la plupart des organisations françaises font de l’antiracisme. Certes, d’aucuns ont affirmé que la présence d’organisations musulmanes avait amené certains antiracistes à ne pas y participer. Cela ne fait que démontrer que le ver est dans le fruit et que l’islamophobie fait des ravages plus importants que certains le pensent.
La presse a cartonné sur la division du mouvement antiraciste. Pourtant, une organisation telle que la LICRA lutte quasi uniquement contre l’antisémitisme (mais aussi, en même temps, contre l’antisionisme qui lui est de plus en plus faussement assimilé). Quand à SOS Racisme, voici ce qu’en dit très justement Hamé, leader de La Rumeur, le groupe français de rap le plus radical, et qui plus est non sexiste. Pour lui, « SOS Racisme créé de toutes pièces par le pouvoir PS de l’époque pour contribuer à désamorcer le radicalisme des revendications de la Marche des beurs, l’égalité des droits devient l’entrée des boites de nuit. La justice pour les jeunes assassinés par la police disparaît sous le colosse slogan médiatique “Touche pas à mon pote” ou “Vive le métissage des couleurs”. »
Il faut aussi savoir que SOS Racisme, sans aucun motif politique, avait refusé il y a trois ans de participer à la manifestation de commémoration du massacre du 17 octobre 1961. Quand à « Ni putes, ni soumises » (dit NPNS), sa démarche est fort semblable. Dénonçant a juste titre les violences faites à des filles dans les cités, entre autres les « tournantes » (la même accusation avait été lancée à l’époque contre les « blousons noirs »), elles ont enfoncé encore plus les jeunes « beurs » et continuent à le faire. Car si la violence sexiste dans les cités existe et qu’il faut la combattre, elle n’est pas plus importante que dans les autres milieux sociaux.
Mais NPNS s’est rapidement recyclé et a lancé en partenariat avec le journal Elle, bien connu pour son féminisme, un soutien aux jeunes bachelières d’origine africaine qui souhaitent devenir styliste. On apprenait en même temps qu’une première présentation de mode avait eu lieu en Afrique noire et obtenu un immense succès – présence de milliardaires US entre autres. Enfin une industrie, de luxe il est vrai, qui émergeait en Afrique, en concurrençant donc la haute couture française... D’où l’embauche par ces maisons françaises de stylistes d’origine africaine, avec leurs connaissances utiles pour casser la concurrence. Le couturier de là-bas qui avait réussi sa présentation a par ailleurs été la cible d’une fatwa, mais comme un intégriste islamiste du pays l’a dit à la télé avec un grand sourire : « ce n’était pas une fatwa pour la mort, mais pour lui jeter des sorts. » Intégrisme, NPNS, même combat !
Démocratie ?
La Ligue se bat pour une série de revendications démocratiques fort justes : égalité des droits, liberté de circulation, ouverture des frontières, fermeture des centres de rétention, abrogation de la double peine, abolition des lois racistes et sécuritaires, etc. C’est très bien, mais le problème c’est qu’il n’y a pas de démocratie en France. Seul un gouvernement ouvrier, c’est-à-dire prêt à s’auto-dissoudre pour donner le pouvoir aux délégués élus des « conseils », pourrait réaliser un tel programme.
La grande cause défendue en France a été celle des sans-papiers après l’occupation de l’église Saint-Ambroise en mars 1996. Les organisations françaises qui défendaient la régularisation de tous les sans-papiers n’ont jamais mis en avant une revendication traditionnelle des associations d’immigrés : la carte de séjour de 10 ans qui seule pouvait garantir un minimum de stabilisation pour eux et donc une possibilité, qui ne se concrétisait pas toujours, de trouver du travail. C’est un collectif de sans-papiers qui a repris ce mot d’ordre fondamental début 1999. Les autres ont suivi quand il est devenu incontestable que ceux qui avaient été régularisés pour un an retombaient dans la clandestinité après ce délai.
Dès 1996, le Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB) signalait que « le soutien à ceux de Saint-Ambroise est surtout géré sous un angle humanitaire, alors que la question posée est une question de dignité et de droits. » Le respect, revendication essentielle des jeunes des banlieues, n’est pas un problème constitutionnel. Tarek Kawtari, porte-parole du MIB, nous disait dans une interview à Rouge (25/10/2001) : « Il faut être proche des gens. Il n’y a pas que des problématiques économiques qui déterminent leur engagement : il y a des problèmes par rapport à l’histoire, au colonialisme, à la discrimination, aux policiers... », en ajoutant que le MIB s’adresse à toute la banlieue et n’est pas communautariste.
L’histoire, le colonialisme ? On a pu voir, lors de la commémoration du 40e anniversaire du massacre d’environs 300 algériens le 17 octobre 1961, qu’une énorme majorité, sans doute plus de 80 % des enfants d’algériens en France n’avaient jamais entendu parler de ce crime, ni dans leur famille – là on peut comprendre la honte à en parler — ni à l’école — et là la responsabilité de l’Education nationale est écrasante et scandaleuse.
Le droit de vote d’accord, mais qui peut penser que dans le cas miraculeux où on le leur accorderait, les français dits d’origine considéreraient les arabes comme des français à part entière ? Dangereuse illusion, et il faut insister ici sur l’énorme responsabilité historique du PCF dans le délire raciste y compris dans ses propres rangs.
Nous défendons également l’existence des services publics et leur développement. Très bien, mais cela ne règle pas tout. En 1997, la Fondation Charles Léopold a enquêté sur les violences urbaines dans les quartiers nord de Marseille et un peu à Vitrolles. Son premier constat : « les habitants subissent une violence sociale que reproduit l’administration ». Le deuxième : « manque d’attention, méfiance à priori, refus de prendre en compte des situations particulièrement difficiles, racisme quelques fois explicite, l’éventail des témoignages est large sur la violence subie à la mairie, à la poste, à la sécurité sociale ou dans les services sociaux. Tous soulignent le sentiment d’injustice et de mépris, la sensation de crainte, voire de panique, et un désir de révolte le plus souvent impossible à exprimer. » Voilà la situation réelle, et Marseille n’est pas une exception à la règle lorsque des immigrés font face a des agents des services publics. L’institution ne règle pas tout et la gangrène prolifère.
Lutter contre les violences policières
Venons-en au dernier problème posé par Tarek : la police, sans aucun doute le plus important, et celui où il n’y a aucune réponse des partis, syndicats, associations reconnues, les seules qui se sont mobilisées sur le sujet étant certaines des associations du « mouvement social » nées il y a quelques années et les organisations d’extrême gauche anti-parlementaire. Des sociologues ont étudié ce qu’on appelle la violence des banlieues et particulièrement les violences policières, de très loin les plus meurtrières. De ce point de vue ils jouent actuellement un rôle beaucoup plus intéressant et utile que les politiques.
Quelques petits groupes qui luttent contre les violences policières, très majoritairement tournées vers les jeunes français « basanés », se sont formés dans la dernière décennie face aux politiques sécuritaires libérales, de droite et de gauche. Ils combattent la théorie « de la vitre brisée », venue se substituer à celle qui depuis 1930 interprétait la violence en terme de privations : « elle se développe lorsque l’élévation des aspirations des individus ne s’accompagne plus d’une amélioration comparable de leur conditions de vie ». À méditer, sans croire au retour de Keynes, pour ne pas renvoyer dos à dos la violence des jeunes des banlieues et celle meurtrière des flics. Pas d’angélisme, ni d’un côté ni de l’autre, et toujours se souvenir que ces jeunes sont des fils d’ouvriers, des prolétaires qui n’ont pas encore réussi à vendre leur force de travail.
Le premier groupe s’est formé il y a 10 ans : l’Observatoire des libertés publique (OLP) dénonce tous les mois dans sa feuille Que fait la police les innombrables exactions policières. Le réseau Résistons Ensemble est la continuation du « réseau contre la haine » formé après l’acquittement scandaleux du policier assassin Hiblot en 2002. Il fonctionne sur Internet et publie tous les mois un bulletin diffusé dans certaines cités. Actuellement il mène une campagne, brochure à l’appui, pour dénoncer une méthode utilisée systématiquement par les flics qui fabriquent de faux délits dits d’outrage à agents ou rébellion, ce qui sert entre autres à couvrir les violences policières, et aux policiers à arrondir leurs fins de mois avec le fric des dommages distribué à profusion par des juges qui leur donnent systématiquement raison.
Cette campagne a été relayée par l’association lyonnaise Témoins, la plus active et la plus efficace des organisations qui se sont créées en province, souvent a partir d’un événement local, policier et raciste. Ces associations ont souvent du mal à survivre après la fin de l’action, dans la mesure, entre autres, où il n’existe aucun cadre national susceptible de les fédérer. L’initiative lyonnaise, à laquelle j’ai participé, a été un succès, malgré les menaces du syndicat policier d’extrême droite Alliance qui avait demandé son interdiction. Je me suis livré à une dénonciation très féroce de la police qui a ravi le public. Je suis sûr que si Rouge faisait la même chose, en mettant des bémols vu la censure, il aurait le même succès.
Que faire ? Intervenir à la moindre parole raciste. Partout ! Et mettre en application, ce que font les regroupements que je viens de citer [1], la motion présentée lors de notre dernier congrès par la commission Banlieues Cités Quartiers et (je crois) adoptée : « Il y a urgence à renouer le lien politique entre ces milieux populaires et le mouvement ouvrier. La LCR décide de se doter d’un matériel politique paraissant régulièrement, accessible à tous, en particulier aux jeunes et donnant un point de vue socialiste sur les faits politiques et sociaux les concernant. Elle invite les structures de l’organisation à investir à systématiquement ses militants en situation de le faire par leur âge, par leur activité professionnelle ou leur lieue de résidence, à intervenir dans les cités et les quartiers à chaque fois que la possibilité existe, en particulier quand les événements mobilisent leurs habitants. Un responsable, chargé de coordonner ces activités est désigné dans chaque cellule. » Il y a cependant loin de la coupe aux lèvres et quant à la commission BCQ, elle n’a pas été reconduite.
Sans parler de la « routine » journalière, vérifications multiples d’identité, injures, coups, tabassage et jusqu’à la torture de jeunes depuis 1980, nous sommes peu intervenus, c’est le moins que l’on puisse dire. Par ailleurs nos campagnes électorales n’ont pas vraiment mis l’accent sur la situation concrète des jeunes français des cités.
Aujourd’hui, autour des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, se met en place un Collectif national unitaire contre le projet de loi sur la prévention de la délinquance, qui entre autres transformerait les éducateurs en quasi flics. Des comités locaux existent déjà. Cette initiative peut permettre l’investissement de nombreuses personnes sur le terrain antiraciste et antisécuritaire et les amener à lutter concrètement en soutien à toute l’immigration.
Alexis Violet