Les quartiers dits en difficulté sont souvent désignés comme des ghettos dans la presse de la LCR ou dans ses textes internes, y compris ceux de la BCQ et l’exclusion qui frappe leurs habitants baptisée apartheid.
Ce n’est pas entièrement illégitime tant il est vrai que les cités concentrent des proportions parfois importantes de populations d’origine immigrée et que les maux qui frappent tous leurs habitants sont souvent aggravés pour ceux d’origine étrangère — difficultés accrues à trouver un logement adapté à leurs besoins, discriminations à l’embauche- et que d’autres sont spécifiques à cette fraction de la population (racisme, ouvert ou larvé, problèmes de papiers).
Le racisme doit être combattu systématiquement, dans la propagande mais aussi dans les faits. De ce point de vue, il faut regretter que le mouvement ouvrier (syndicats et partis, Ligue comprise) abandonne le monopole du testing à SOS-Racisme. Ce ne sont pas des opérations très lourdes à monter et, médiatisées (comme le fait SOS !) elles confèreraient à la Ligue un crédit politique réel dans des milieux qui ont l’impression (justifiée !) d’être livrés à eux mêmes et à leurs difficultés. C’est envisageable à la porte des boîtes de nuit, comme le fait SOS. Mais ce pourrait aussi l’être pour des embauches, des recherches de stages ou de logements. Plus que des moyens, c’est sans doute la volonté politique qu’il faudrait trouver.
Cela étant, il ne me semblerait pas juste d’enfermer la population des quartiers dans des notions (ghetto, apartheid) la ramenant à l’origine « ethnique » ou nationale d’une partie d’entre elle.
D’abord parce que la population des quartiers n’est pas uniquement immigrée ou d’origine immigrée. Nombre de Gaulois bretons, berrichons, portugais, espagnols et italiens y vivent.
La population des cités n’est pas constituée sur des critères « ethniques » ou nationaux, mais sur des critères sociaux. On vit dans une cité parce qu’on ne peut pas en sortir. Parce qu’on occupe dans la hiérarchie des emplois, et donc dans la hiérarchie sociale, les postes les moins considérés, les moins bien payés... sort « classiquement » dévolu aux immigrés, mais pas seulement à eux.
La « couleur » dominante de certaines cités reflète en partie l’ordre d’arrivée en France. Celles construites dans les années 60-70 (le Val-Fourré par exemple) accueillent souvent des Maghrébins tandis que d’autres (Les Baconnets à Antony) sont habitées par des Africains qui, venus plus tard, ont hérité des logements libérés par les prolos « Français » qui les occupaient à l’origine. Même s’il existe des cas de politique délibérée « d’ethnicisation » de quartiers (ou d’immeubles) par certains Offices HLM, l’explication de fond de la répartition de la population dans les cités se trouve là. Il n’y a pas de volonté politique de créer des ghettos.
En réalité, c’est bien plus le critère social (fraction la plus exploitée de la classe ouvrière) qu’« ethnique » qui joue. Sans nier le racisme, évidemment, il me semble que c’est l’aspect social, de classe, qu’il faudrait que nous nous efforcions de privilégier.
C’est là-dessus, me semble-t-il, que nous devons insister. D’abord parce que c’est vrai. Ensuite pour ne pas encourager le développement du communautarisme : le terme d’apartheid retranche les immigrés des autres secteurs de la classe ouvrière et ouvre la voie à toutes les divisions. Les Africains sont souvent plus mal lotis que les Maghrébins mais moins mal que les Roms, etc. On entre dans un processus de singularisation de chacune des composantes de la population ouvrière et des cités... qui contribue à l’ethnicisation des rapports et fait finalement le lit des particularismes raciaux, nationaux et religieux.
Il nous faut, tout au contraire, insister sur ce qui rassemble ces populations entre elles et avec les autres secteurs de la classe ouvrière.
Il n’y a pas réellement d’apartheid. Il y a une situation dégradée pour l’ensemble des salariés, et fortement dégradée pour les plus fragilisés d’entre eux. La riposte concerne tous les travailleurs, pas les Blacks ou les Rebeus, les immigrés ou les musulmans en tant que tels, notions auxquelles renvoie le terme d’apartheid.
Non à l’apartheid