Les trotskysmes de Daniel Bensaïd, ou les limites d’un conformisme identitaire

, par DIVÈS Jean-Philippe

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« Essai de philosophie politique et historique », selon la définition donnée par son auteur dans son interview au journal Le Monde [1], le petit livre qui vient d’être édité aux PUF, collection « Que sais-je ? », présente une interprétation plutôt partisane de l’histoire de la Quatrième Internationale. Et souvent contestable...

Les révélations sur le passé politique longtemps nié de Lionel Jospin, la présence de trois candidats trotskystes à l’élection présidentielle, la montée en puissance du vote pour Arlette Laguiller et l’extrême gauche en général, ont transformé le trotskysme en une nouvelle mode éditoriale. Plusieurs livres ayant en commun une indigence analytique extrême, un flagrant manque de sérieux, et pour certains une vision policière de l’histoire (au sens strict puisque puisant leur matière dans les rapports de police), ont tenté d’exploiter le filon. De cette production alimentaire visant un lectorat des beaux quartiers en mal de sensations fortes, seul se distingue le travail de Daniel Bensaïd, dirigeant de la Ligue communiste révolutionnaire et aussi de l’un des courants du trotskysme à l’échelle internationale (Quatrième Internationale-Secrétariat Unifié). Dans les limites de format imposées par un « Que sais-je ? », il présente des analyses et positions politiques dignes d’intérêt, parfois pertinentes et en tout cas légitimes. Souligner qu’il vaut d’être lu est donc un préalable à toute critique.

Ce texte a pour mérite certain de situer nombre de processus et faits essentiels du mouvement trotskyste dans les contextes historiques qui les ont, pour une large part, déterminés. Les conceptions et les orientations, mais aussi les débats et les ruptures sont le plus souvent (pas toujours) présentés et expliqués dans le cadre des luttes de classes et des problèmes politiques qui ont effectivement marqué les différentes périodes du 20e siècle : naissance très lente et difficile de l’Opposition de gauche au sein du mouvement communiste international, à contre-courant de l’irrésistible montée du stalinisme puis du fascisme ; déphasages avec l’état des rapports politiques mondiaux au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, lorsque les trotskystes s’accrochent à leurs pronostics ultra-révolutionnaires de la fin des années trente, alors même que le système capitaliste entre dans une longue phase de stabilisation et de croissance, et que la bureaucratie stalinienne étend et consolide son empire totalitaire ; engagement à corps perdu dans la nouvelle période de luttes et de radicalisation à gauche des années 60-70, accompagné chez certains secteurs (mais pas tous) d’un « gauchisme fébrile » (page 104) ; déphasages à nouveau, puis remises en cause face au tournant mondial que signifie la contre-offensive libérale de l’impérialisme capitaliste...

Pour le reste, Les trotskysmes suscitent de la part de quelqu’un qui n’a pas partagé les positions de Daniel Bensaïd dans le passé [2], des sentiments un peu plus mitigés.

Une histoire officielle

Il faut donner acte à l’auteur de son avertissement, dans lequel il signale qu’« étant aussi un acteur de cette histoire depuis 1966 », il ne prétend pas « avoir échappé à la part de subjectivité inhérente aux expériences et aux engagements personnels » (page 3). Sans doute ne croyait-il pas si bien dire ? Ses conclusions, suggérées beaucoup plus qu’affirmées mais néanmoins très présentes tout au long du livre, sont en effet totalement tributaires du système interprétatif traditionnel de l’une des variantes de l’orthodoxie trotskyste. De ce fait, loin d’ébaucher des bilans et enseignements un tant soit peu équilibrés, elles constituent une défense et illustration, presque tout au long du livre, de la trajectoire de cette composante du trotskysme [3], par opposition aux autres.

Une expression en est qu’au-delà de ce qui a trait à la présentation des faits, et qui peut générer des désaccords depuis un point de vue subjectif différent, des faits essentiels se trouvent oubliés ou déformés. Une autre illustration, plus immédiatement appréhensible par le lecteur, en est que l’auteur ne remplit pas du tout l’objectif qu’il se fixe en introduction et jusque dans le titre de son ouvrage, à savoir de parler des trotskysmes au pluriel. Tout son texte, de son point de départ en 1923 jusqu’à son aboutissement en 1991, suit le fil rouge de la « continuité historique » revendiquée par un trotskysme particulier, celui du courant international actuellement organisé autour de la LCR française ; un courant dont la réalité est certes significative, mais qui demeure néanmoins assez largement minoritaire par rapport à la globalité du mouvement trotskyste. Autant dire que même à grands traits, l’histoire du trotskysme, de la Quatrième Internationale fondée en 1938, puis des principales grandes tendances entre lesquelles elle s’est divisée, reste à faire.

Avant la « grande scission » de la Quatrième Internationale survenue en 1952-53, et qui marque aussi la naissance du courant dont Bensaïd est l’un des dirigeants (SI puis SU de la Quatrième Internationale), son exposé reprend sans réelle interrogation critique l’histoire enseignée dans la plupart des écoles trotskystes. C’est particulièrement net en ce qui concerne la question cruciale de l’URSS et du stalinisme. Lorsqu’il aborde le « tournant de 1928-29 », l’auteur affirme ainsi que « Trotsky et l’Opposition de gauche [...] vont s’opposer au tournant brusque de Staline, passant en 1928 du “socialisme à pas de tortue” prôné par Boukharine à la collectivisation forcée et à l’industrialisation accélérée du premier plan quinquennal » (page 14). Puis que « Staline [...] semble reprendre à son compte, en instituant le premier plan quinquennal, certaines revendications de l’opposition. Ce virage précipite un éclatement de l’Opposition de gauche. Certains de ses dirigeants prestigieux voient dans “cette révolution d’en haut”, un coup de barre à gauche. Pour Trotsky, les ralliés au régime thermidorien sont des “âmes mortes” : la planification, sans restauration de la démocratie socialiste, n’aboutira qu’à renforcer le pouvoir de la bureaucratie » (page 15).

Pour « traditionnelle » qu’elle soit, cette présentation n’est pas moins inexacte. On ne reprendra pas ici une démonstration effectuée précédemment dans Carré Rouge [4], mais il faut au minimum rappeler que Trotsky a apporté son soutien critique au tournant impulsé par la fraction stalinienne en 1928-29 (tout en demeurant dans l’opposition, contrairement à nombre de ses partisans qui ont à ce moment capitulé) ; qu’il s’est alors démarqué, non des mesures d’étatisation, qu’il jugeait fondamentalement progressistes, mais uniquement des méthodes brutales par lesquelles elles étaient mises en œuvre. Des années plus tard, contrairement à ce que laisse entendre Daniel Bensaïd, Trotsky continua à défendre cette position en affirmant qu’à cette occasion, la ligne de l’Opposition de gauche, reprise de façon bureaucratique par Staline, avait « fécondé le développement » de l’URSS et permis de « de sauver les bases sociales de l’État soviétique » [5]. Ainsi que l’ont démontré des dissidents du trotskysme — notamment, les premiers, Shachtman et Castoriadis (Chaulieu dans la IVe Internationale), par ailleurs singulièrement maltraités dans cet ouvrage —, le passage sous contrôle bureaucratique de toute l’économie, concomitant à l’écrasement de toute opposition politique, a tout au contraire marqué un point d’inflexion qualitatif dans la domination totale, économique et sociale comme politique, de la nouvelle bureaucratie dirigeante, donc dans la liquidation des derniers vestiges prolétariens de l’État soviétique.

Après 1952-53, l’histoire retranscrite reste officielle, mais se réduit à celle d’une branche particulière du mouvement trotskyste. Les autres courants ne sont abordés que de façon anecdotique et fonctionnelle, essentiellement dans leurs rapports avec le courant international de la LCR tels que celui-ci les a interprétés et assimilés au regard de sa propre histoire (c’est le cas du « morénisme » et du « lambertisme »), voire pas abordés du tout lorsqu’ils n’ont pas eu de rapports directs avec le « pablo-mandélisme » (ce qui est le cas du courant « healyste »). De même ne trouve-t-on rien ou pratiquement rien sur l’histoire du courant Militant et sur celle de la tendance « cliffiste » (SWP britannique), tandis que des organisations nationales importantes ne sont qu’à peine (LO en France) ou pas du tout (PO argentin) mentionnées.

Dans le même temps, en un étonnant plaidoyer pro domo, l’auteur s’efforce de justifier à peu près toutes les orientations de son propre courant, y compris ses erreurs les plus criantes. Un exemple significatif est ce qu’il dit de la ligne de « la guerre de guérilla » appliquée dans les années 60 et 70 en Amérique Latine. Cette politique qui prétendait substituer à l’action consciente des travailleurs celle de minorités armées « éclairées », a eu des conséquences catastrophiques, au plan politique général comme d’un point de vue militant et humain. Elle a notamment conduit à la liquidation de toute une organisation (le PRT-ERP, que la majorité du SU avait reconnue comme « section argentine de la Quatrième Internationale », contre le PST « moréniste » qu’elle considérait « réformiste ») et à la mort de centaines de ses membres. Au lieu de commencer par admettre cette évidence, Daniel Bensaïd multiplie les circonvolutions et dilue les responsabilités, sans même hésiter à les reporter... sur ceux qui furent les plus farouches opposants de cette orientation : « Moreno fusionna avec un groupe issu du populisme radical [...] Le projet de déclenchement de la lutte armée constituait une base essentielle de leur accord [...] Moreno [...] fit machine arrière, provoqua la rupture avec Santucho. Ce dernier se sentit floué et systématisa son propre projet [...] Même s’il s’est avéré erroné, le projet de Santucho comportait un noyau rationnel... » (pages 100-101).

« Infidélité critique » contre « bigoterie dogmatique » ?

Tout travailleur ou jeune qui commence à se tourner vers l’extrême gauche se pose et nous pose immanquablement une question : pourquoi le mouvement « trotskyste » est-il aussi divisé ? En ne prenant qu’un seul exemple, hexagonal, pourquoi y a-t-il trois candidats qui s’en réclament dans l’actuelle campagne présidentielle ?

Pour Daniel Bensaïd, ces divisions sont un produit historique de « la disproportion entre l’activité théorique et les possibilités de vérification pratique (qui) pousse à l’exacerbation des querelles doctrinales et au fétichisme dogmatique de la lettre » (page 8). Si elle n’est pas dénuée de tout fondement, surtout lorsqu’on compare la France aux autres pays occidentaux qui ont connu depuis 1945 une relative stabilité démocratique bourgeoise, cette interprétation ne reflète cependant qu’un élément de la réalité et cesse d’être juste dès lors qu’elle est érigée en explication totalisante. Et elle devient complètement insatisfaisante au regard des convulsions qui ont secoué la planète durant le « court 20e siècle ». Comment pourrait-on prétendre, par exemple, que des conceptions théoriques opposées ne se sont pas confrontées et vérifiées pratiquement dans les processus révolutionnaires de l’Amérique Latine ? L’auteur lui-même est amené à reconnaître, très elliptiquement, qu’au cours des années 60 et 70, « la question de la lutte armée s’envenima d’autant plus dans la IVe Internationale que des vies étaient en jeu » (page 103).

A priori, l’explication basée sur la faiblesse des possibilités de vérifications pratiques semblerait impliquer que des conditions objectives plus favorables puissent éventuellement permettre, dans le futur, de résorber les fractures... Eh bien non, les divisions semblent irréversibles, et elles opposent des bons à des méchants. « Les évènements majeurs du siècle ont produit des différenciations telles que ce qui distingue et oppose les différents courants du “trotskysme” est souvent aussi ou plus important que ce qui les apparente » (page 7). Cette césure séparerait les tenants de « l’infidélité critique » dans laquelle on trouve « plus de fidélité », « en matière d’héritage » (il s’agit naturellement du courant de l’auteur), des défenseurs de « la bigoterie dogmatique ».

Les faits montrent en tout cas que ceux qui sont stigmatisés comme bigots dogmatiques (c’est-à-dire l’essentiel des forces qui s’étaient regroupées entre 1953 et 1963 dans le « Comité international de la Quatrième Internationale ») ont subi les ruptures beaucoup plus qu’ils ne les ont provoquées, et que c’est à l’inverse le courant censé s’opposer « au fétichisme dogmatique de la lettre » qui a jugé bon, à plusieurs reprises, de diviser le mouvement en se séparant de ses opposants « doctrinaires ».

En 1952-53, l’exclusion de la majorité de la section française, qui a débouché sur une scission internationale dont les effets destructeurs n’ont jamais pu être résorbés, a été provoquée non pas, en soi, par la ligne dite de « l’entrisme sui generis » qui exprimait pourtant une véritable capitulation politique devant le stalinisme, mais par le fait que la direction internationale de l’époque (Pablo-Mandel-Frank-Maitan) a prétendu imposer cette orientation à l’organisation française au nom du « centralisme démocratique international », en allant jusqu’à décréter que la direction de cette section était désormais confiée à sa minorité ! Les majoritaires n’acceptant pas de devenir minoritaires par décret de l’omniscient et omnipotent « secrétariat international de la Quatrième Internationale » dirigé par Michel Pablo, ces « bigots dogmatiques » ont donc été exclus... Il est un peu choquant que Daniel Bensaïd ne reconnaisse pas franchement cette réalité, et que son texte la dilue dans une présentation lénifiante vite suivie d’une « généralisation » hors de propos : « le Secrétariat international suspend alors 13 membres majoritaires du comité central français. Ratifiée par 5 voix contre 4, la motion met le feu aux poudres et soulève du même coup l’épineux problème du degré de centralisme attaché à la notion constitutive de “parti mondial” » (pages 80-81). Ce qui est « épineux » n’est donc pas l’exclusion, mais le « degré attaché à la notion constitutive »...

L’histoire de la rupture de 1979, réduite à un plan machiavélique des méchants bigots dogmatiques (« Lambert d’une part, et Moreno de l’autre, crurent le moment venu de prendre leur revanche sur les frustrations passées et de porter le coup de grâce à une organisation internationale dont ils avaient été, trente ans durant, les dissidents permanents ou intermittents », page 109), est quant à elle directement dénaturée. Le débat qui eut alors lieu sur le soutien politique accordé au Front sandiniste de libération nationale (FSLN) et à son gouvernement par la majorité du SU (formée par la direction « mandéliste » européenne et celle du SWP des Etats-Unis) est totalement absent. Tout comme est omise la répression, par ce même gouvernement, de la Brigade Simon Bolivar (qui avait été formée par la Fraction bolchevique « moréniste », comme le furent alors d’autres brigades internationales, pour lutter militairement dans la guerre contre la dictature de Somoza aux côtés des forces sandinistes), répression mise en œuvre avec le blanc-seing des représentants officiels du SU à Managua. Enfin et peut-être surtout, le lecteur de cet ouvrage ne saura pas non plus que la réunion du SU de fin septembre / début octobre 1979 avait placé les minoritaires face au même dilemme qu’en 1952 : se soumettre au nom du « centralisme démocratique international » (il leur était « enjoint de cesser toute activité de construction de sections » au Nicaragua et en Amérique Centrale et de « se discipliner » à l’orientation majoritaire consistant à soutenir le FSLN et son gouvernement), ou être exclus (dans le cas contraire le SU « recommandera au congrès mondial l’exclusion de la direction déclarée de la Fraction bolchevique ») [6]. Affirmer que la FB, suivie par la TLT (fraction effectivement entriste du courant lambertiste dans la LCR française, ce qui exprimait des pratiques politiques et méthodologiques effectivement inadmissibles), a « quitté l’Internationale » « à l’automne 1979, sans attendre le congrès mondial convoqué pour le début de l’année suivante » (page 109) demande donc un certain aplomb, ou alors une mémoire vraiment sélective.

L’interprétation bensaïdienne des divisions du mouvement trotskyste ne tient pas non plus au plan théorique. La césure qu’elle établit entre fidèles dogmatiques et infidèles critiques est largement artificielle, en tout cas jusqu’aux années 80. Lorsque la plupart des dirigeants de la Quatrième Internationale ont estimé — à tort — que les États du Glacis, la Yougoslavie et la Chine, puis Cuba et le Vietnam, étaient devenus des « États ouvriers » (selon les cas et les interprétations, « bureaucratiquement déformés » ou non), ils n’ont pas preuve d’ « infidélité critique » mais de fidélité à l’un des aspects centraux du corpus théorique trotskyste, qui considérait — à tort — qu’une nature « ouvrière » de l’URSS découlait du fait que le capital privé y avait été exproprié et que l’économie y était étatisée. Lorsque Michel Pablo et Ernest Mandel, fondateurs de celui des trotskysmes dont Daniel Bensaïd revendique la continuité, ont défini les directions yougoslave, chinoise, cubaine ou vietnamienne comme non bureaucratiques, « ouvrières » quoique sans ouvriers, et « centristes » voire même « trotskysantes » (!), parce qu’elles avaient dirigé des processus révolutionnaires qui avaient conduit à l’expropriation du capital privé, ils n’ont fait que reprendre et développer l’un des aspects les plus faibles — et réfuté par l’expérience historique — de la théorie de la révolution permanente, selon lequel il ne peut y avoir dans les pays dominés de résolution des tâches « démocratiques » (indépendance nationale, réforme agraire, etc.) sans processus de révolution socialiste dirigé par un parti authentiquement communiste. Dans tout les textes de l’époque, notamment ceux qu’ils ont rédigés autour des scissions de 1952-53 et de 1979, les dirigeants pablo-mandélistes ne manquaient d’ailleurs pas de se réclamer avec force de (leur propre interprétation de) l’orthodoxie trotskyste.

Tout en ne parvenant pas non plus à apporter une explication et à définir une politique satisfaisantes, les « bigots dogmatiques » se sont à ce moment-là appuyés sur d’autres aspects du patrimoine trotskyste (nécessité d’une action indépendante de la classe des travailleurs, d’un parti révolutionnaire de la Quatrième Internationale, de la démocratie ouvrière...) pour refuser — à juste titre — de s’aligner derrière de telles directions. On aurait pu espérer que ce mérite-là au moins leur soit reconnu ; que l’auteur admette que sur ce point, la politique de son courant a été erronée ; que contrairement à ce que son trotskysme a très longtemps défendu, les PC yougoslave, chinois, cubain et vietnamien n’ont fait aucun pas vers le socialisme (pas plus que le FSLN au Nicaragua), qu’ils ont au contraire installé un nouveau régime — bâtard et instable — d’exploitation calqué sur le modèle « soviétique » au profit de la bureaucratie dirigeante qu’ils représentaient, tout en pavant la voie à la restauration capitaliste et en contribuant puissamment à discréditer les idéaux du socialisme...

Mais il n’est en rien. Daniel Bensaïd va jusqu’à revendiquer le fait qu’en dépit de l’emprisonnement des trotskystes chinois en 1949 et de la liquidation physique des trotskystes belgradois en 1941, « les révolutions yougoslave et chinoise sont donc saluées par la majorité de l’Internationale comme d’authentiques révolutions conduisant à un conflit inévitable avec le conservatisme bureaucratique du Kremlin », et à estimer qu’il est « d’autant plus méritoire de ne pas voir les grands événements historiques par le petit bout de la lorgnette des intérêts particuliers de groupe ou de parti » (page 76). C’est-à-dire qu’il ne comprend toujours pas qu’en Yougoslavie comme en Chine, au Vietnam et à Cuba, l’élimination des trotskystes est allée de pair, dans une logique implacable, avec l’écrasement et/ou l’interdiction de tout pouvoir et de toute démocratie prolétariens ou populaires ; et que par conséquent étaient en jeu, non d’étroits intérêts groupusculaires, mais les intérêts les plus généraux de notre classe. Quant au « conflit inévitable avec le Kremlin », le cours ultérieur des événements a démontré de façon si éloquente qu’il avait un caractère strictement inter-bureaucratique, d’opposition d’intérêts entre les bureaucraties dominantes de ces divers pays (la Chine comme la Yougoslavie ayant d’ailleurs fini par se rapprocher des Etats-Unis pour contrer l’URSS...), que l’on reste stupéfait devant la reprise « telle quelle », plus de cinquante ans après, de ce vieil argument.

En allant au fond du problème, le maintien de telles conceptions illustre surtout la non compréhension persistante du fait que si « d’authentiques révolutions » ont bien eu lieu dans ces pays, il s’agissait de révolutions sans contenu socialiste. Une des grandes leçons du siècle écoulé est justement qu’anticapitaliste n’est pas nécessairement synonyme de socialiste ; et qu’en général il ne l’est pas lorsque la révolution est dirigée par un parti-armée bureaucratique qui encadre étroitement les masses en les soumettant à une discipline militaire/totalitaire ; que dans de tels cas, loin de permettre la moindre transition vers le socialisme, les nouveaux régimes signifient la mise en place au service des bureaucraties montantes de formes d’exploitation bâtardes et historiquement instables, qui en définitive préparent un retour au capitalisme.

Le même type de problème s’est posé à partir de 1979 avec la révolution nicaraguayenne, quoique celle-ci, de plus, ne soit même pas allée jusqu’à exproprier le capital, du fait de la politique ultra conciliatrice du FSLN, que le SU présenta pourtant, tout au long des années 80, comme la plus parfaite incarnation d’une direction révolutionnaire prolétarienne. Ni l’existence d’un quasi parti unique réprimant les initiatives indépendantes du mouvement de masse, ni le maintien tout au long de cette période d’un fort secteur capitaliste dans l’économie nicaraguayenne, n’empêchèrent le SU de déclarer, d’abord, que le gouvernement du Nicaragua était un « gouvernement ouvrier et paysan », ensuite, que ce pays était devenu un « Etat ouvrier », évidemment non bureaucratique. 23 ans plus tard, on attend toujours un bilan minimal : cette analyse et la politique qui en découla étaient-elles justes, ou non ? Et pourquoi ? Accessoirement, on attend aussi une explication sur comment cet Etat ouvrier exemplaire aurait pu redevenir un Etat bourgeois simplement après que le FSLN ait perdu des élections. On aimerait en outre savoir ce qu’est le FSLN aujourd’hui, si Daniel Ortega est toujours un grand dirigeant révolutionnaire, quasi trotskysant, ou non, et ce qui alors a bien pu se passer.

Au-delà du fait que dans le cas de Cuba, le régime instauré il y a plus de 40 ans n’ait pas été affecté de bouleversements qualitatifs, et que le problème du castrisme en tant que courant bureaucratique ennemi du socialisme reste donc posé, il ne s’agit pas seulement de questions « historiques ». C’est en effet toute notre stratégie socialiste qui est en cause : quelle(s) révolution(s), pour quels objectifs. Après la chute du stalinisme, on a certes de sérieux motifs d’espérer que les révolutions à venir ne seront plus détournées et obscurcies par des appareils bureaucratiques surpuissants se réclamant indûment du socialisme. Et que l’on ne sera donc plus confronté, ou alors beaucoup plus difficilement ou marginalement, à cette fâcheuse inclinaison de certains marxistes révolutionnaires à identifier les processus révolutionnaires à leurs directions petites-bourgeoises ou bureaucratiques. Mais il reste que pour élaborer un nouveau programme pour le nouveau cycle historique, les trotskystes ou post-trotskystes, quels qu’ils soient, ont dès à présent besoin de tirer des leçons des erreurs du passé. Cela recouvre un certain nombre de domaines cruciaux, par exemple la place de l’auto-organisation et de l’autodétermination dans un processus révolutionnaire effectivement socialiste, la question de l’État et des formes de propriété et d’appropriation dans une transition au socialisme, ou encore la politique à suivre face à des directions non prolétariennes ni socialistes : chavisme au Venezuela, zapatisme au Mexique, PT au Brésil [7], etc., sans parler bien sûr du castrisme.

Une histoire sélective

Une deuxième grande question que se pose et nous pose le travailleur ou le jeune qui commence à s’intéresser sérieusement à notre politique, est celle de savoir pourquoi le trotskysme, toutes tendances confondues, est demeuré si longtemps un courant aussi minoritaire, et pour l’essentiel le reste encore aujourd’hui (malgré les sondages pour Arlette Laguiller en France ou pour Luis Zamora en Argentine). L’auteur synthétise sa réponse à travers la formule-choc selon laquelle « l’histoire tumultueuse des trotskysmes tourne en somme autour d’une grande question : comment rester “révolutionnaire sans révolution” » (pages 9-10). Là encore, il s’appuie sur une base réelle, plus exactement sur un élément de la réalité. Le dernier terme, « sans révolution », doit pourtant être précisé ou corrigé : sans révolutions ou processus révolutionnaires porteurs d’une dynamique socialiste, sauf exceptions limitées dans l’espace et dans le temps (Espagne 1936, Bolivie 1953, Hongrie 1956...). On l’a vu, les révolutions anti-impérialistes et même anti-capitalistes — Yougoslavie, Chine, Cuba, etc. — n’ont en effet pas manqué, mais elles sont restées enfermées dans le carcan bureaucratique que le stalinisme avait imposé, depuis les années vingt, au mouvement international des travailleurs et des opprimés.

Un grand point faible du livre de Daniel Bensaïd est, justement, son surprenant oubli de ces quelques tentatives révolutionnaires du « court 20e siècle » qui ont été marquées par des traits authentiquement socialistes, et dans lesquelles des organisations trotskystes, ou l’ayant été, ont souvent joué un rôle non négligeable (POUM en Espagne, POR en Bolivie, groupe La Lutte au Vietnam...). Serait-ce parce qu’elles ne cadrent pas avec la thèse générale de l’absence de révolution ? Mais ces exceptions à la règle mériteraient d’autant plus d’être étudiées et en tout cas — dans les limites de signes d’un « Que sais-je ? » — au moins mentionnées en quelques lignes. On n’ose imaginer qu’une telle absence soit motivée par le fait que ces expériences puissent infirmer la thèse centrale de la césure historique entre mauvais fidèles et bons infidèles... Quoi qu’il en soit, on peut en profiter pour rappeler rapidement certains faits.

  • Espagne années 30. L’essentiel du noyau dirigeant du POUM, constitué autour d’Andreu Nin, dirigeant de grande expérience et tradition, provenait de l’organisation espagnole membre du Mouvement pour la Quatrième Internationale. Trotsky et les trotskystes ont forcé la rupture avec Nin, lui organisant au passage une (petite) fraction secrète, bien avant l’entrée du POUM dans le gouvernement de front populaire de Catalogne, événement qui est traditionnellement utilisé par l’historiographie trotskyste comme démonstration a posteriori de la nécessité de cette rupture. Le motif en était que la direction Nin... refusait de suivre la tactique préconisée par Trotsky de l’entrisme dans la social-démocratie !
  • On peut ajouter ici que l’autre organisation de plus fort poids et tradition qui était alors membre du Mouvement pour la Quatrième Internationale, le RSAP hollandais de Henk Sneevliet, s’est éloignée peu après (tout comme Victor Serge), effarée par ces méthodes sectaires. Ces dernières n’ont donc nullement été inaugurées par des héritiers « sans mode d’emploi », elles ont été consubstantielles au trotskysme de l’époque de Trotsky, et la Quatrième Internationale en a été imprégnée dès sa naissance. Daniel Bensaïd concède (sans plus de détails) que Trotsky a écrit des « textes [...] empreints de brutalité envers ses proches comme Andreu Nin ou Victor Serge » et que « ces polémiques excessives ont parfois donné le ton des débats ultérieurs et nourri la tendance des mouvements trotskystes à se déchirer sur des procès d’intention » (page 35). Pas seulement d’ailleurs sur des procès d’intention, également sur des problèmes bien réels, mais qui ne justifiaient pas pour autant de tels déchirements. Puis il explique longuement ce qui, dans l’environnement dramatique de l’époque, permet « de comprendre ces mauvais plis sans pour autant les justifier ». Cependant, il ne tient aucun compte de cette « tradition » quand, par la suite, il aborde l’histoire des ruptures dans la Quatrième Internationale.
  • Vietnam années 40. L’organisation trotskyste dirigée par Ta Thu-Thau, qui avait conquis un poids important dans le sud du pays, au point de gagner dans le cadre d’une coalition les élections à la mairie de Saïgon, et qui s’était trouvée à l’avant-garde de la lutte contre l’occupant japonais puis contre le retour du colonisateur français, a été liquidée physiquement par la guérilla stalinienne de Ho Chi-Minh en alliance avec l’impérialisme français. Ce qui n’a pas empêché des infidèles critiques de manifester rituellement pendant plusieurs années, à l’époque de leurs emballements gauchistes, aux cris de « Ho, Ho, Ho Chi-Minh »... preuve manifeste d’une ouverture d’esprit non sectaire !
  • Bolivie, années 50. Dès 1946, le congrès des mineurs de Pulacayo avait adopté le « Programme de revendications transitoires » (allant de l’échelle mobile des salaires et des heures de travail jusqu’au contrôle ouvrier des mines et à l’armement du prolétariat) proposé par les trotskystes du POR, contre les staliniens et le MNR (le grand mouvement nationaliste bourgeois de l’époque). Le POR disposait d’une influence de masse, qui lui avait notamment permis d’obtenir 5 députés et 1 sénateur bien que 90 % de la population ne sachant pas lire (donc l’immense majorité des classes ouvrière et paysanne) était privée du droit de vote. Lorsque Paz Estenssoro, le candidat du MNR, gagna les élections présidentielles de 1951, l’armée répondit par un coup d’Etat instaurant une dictature féroce. En avril 1952, le soulèvement armé des ouvriers et de la population de La Paz, ainsi que des mineurs d’Oruro, écrasa la dictature et détruisit l’armée. Alors que Paz Estenssoro s’installait à la présidence, un double pouvoir était exercé par 100 000 travailleurs en armes et par la COB, la centrale syndicale qui venait de se former. Parce qu’elle considérait que le MNR était « progressiste » et « anti-impérialiste », la direction majoritaire de la Quatrième Internationale donna au POR instruction de s’allier avec le MNR et de soutenir son gouvernement « contre la réaction ». Elle provoqua ainsi l’éclatement du POR entre le groupe dirigé par Gonzalez Moscoso qui s’est aligné sur les positions de la direction majoritaire et celui de Guillermo Lora qui les a rejetées. Le gouvernement 100 % bourgeois du MNR parvint à résorber la situation révolutionnaire au bout de quelques années.

Les autres expériences à travers lesquelles des organisations trotskystes se sont développées au point de gagner une certaine influence de masse, mais cette fois sans se retrouver au cœur de processus révolutionnaires, sont l’objet du même oubli. C’est le cas de partis « infidèles critiques », comme le LSSP de Ceylan dans les années 50-60 et le PRT mexicain dans les années 80, qui ont tous deux été gangrenés par l’opportunisme au point de s’adapter complètement à des forces réformistes et à l’Etat bourgeois (à l’exception de tendances minoritaires qui ont résisté vaillamment). C’est aussi le cas du MAS en Argentine dans les années 80, cette fois-ci un présumé « bigot », qui a éclaté et s’est divisé en plusieurs organisations, comme conséquence de sérieuses erreurs d’analyse et d’orientation (plutôt de type gauchiste) ainsi que de méthode interne (de type sectaire). Comme pour les expériences révolutionnaires citées précédemment, on aurait parfaitement compris qu’un ouvrage aussi synthétique ne consacre pas de grands développements au LSSP, au PRT mexicain et au « vieux MAS ». Mais de là à ne pas même les mentionner...

Et maintenant ?

Daniel Bensaïd conclut ainsi son ouvrage : « L’effondrement du “socialisme réellement existant” a libéré la nouvelle génération d’anti-modèles qui tétanisaient l’imaginaire et compromettaient l’idée même du communisme. Mais l’alternative à la barbarie du Capital ne se dessinera pas sans un bilan sérieux du siècle terrible qui s’est achevé. En ce sens au moins, un certain trotskysme, ou un certain esprit des trotskysmes, n’est pas dépassé. Son héritage sans mode d’emploi est sans doute insuffisant, mais non moins nécessaire pour défaire l’amalgame entre stalinisme et communisme, libérer les vivants du poids des morts, et tourner la page des désillusions. » (page 124).

Sans doute. Mais un tel bilan sérieux devrait aussi être tiré par chaque composante du trotskysme au regard de son intervention dans les luttes sociales et politiques de ce siècle — et peut-être faudrait-il d’ailleurs commencer par là. Cela impliquerait, dans toute la mesure du possible, de rechercher une certaine distance critique par rapport à sa propre histoire, et dans tous les cas d’abandonner les prétentions auto-proclamatoires. D’autant que — c’est une évidence — toutes ces composantes ont échoué dans leurs tentatives d’offrir au mouvement international des travailleurs et des opprimés une alternative programmatique, politique et d’organisation (mandélistes comme lambertistes, morénistes, healystes, cliffistes, etc. — seul le caractère du texte qui nous est présenté justifiant l’accent placé sur la première d’entre elles).

La manifestation la plus claire de ce qu’ « un certain trotskysme n’est pas dépassé » est donnée par le fait que les formidables déséquilibres du système de domination capitaliste-impérialiste, et la résurgence qu’ils stimulent des luttes et d’une radicalité anticapitaliste, placent les différents secteurs trotskystes ou post-trotskystes dans une situation et devant des responsabilités dans les luttes qui sont, à une telle échelle, inédites. La situation française en est une illustration, tout comme celle de l’Argentine où les différentes organisations se réclamant ou issues du trotskysme (PO, MST, PTS, MAS, A et L, etc.) sont quasiment les seules à développer les mobilisations et assemblées populaires, et même à y être admises par les masses.

Il n’y aura pas de « réunification du mouvement trotskyste » ni « de la Quatrième Internationale », non à cause d’oppositions absolument définitives et insurmontables entre les différents « trotskysmes », mais parce que les programmes, projets et réalités qu’ils ont incarnés et portés ont correspondu à une époque historique qui est maintenant révolue. Les regroupements indispensables se feront dans un autre cadre, et aussi avec des courants d’autres origines, à partir des processus qui commencent à se développer dans cette nouvelle phase de la lutte de classes et en fonction des problèmes politiques, nouveaux ou bien anciens mais posés sous des formes nouvelles, auxquels ils exigeront de répondre. C’est d’ailleurs au service de cet objectif que les discussions sur le passé présentent véritablement un intérêt.

Car la tâche historique que tous « les trotskysmes » s’étaient fixés, à savoir doter le mouvement international des travailleurs et des opprimés d’un programme et d’une Internationale révolutionnaires, reste quant à elle entièrement posée. Comme restent bien présents et agissants les militants et les organisations formés dans le moule trotskyste. Il est donc essentiel qu’ils tentent sinon de s’unir, objectif apparaissant pour l’instant assez peu réaliste, du moins de s’élever au-dessus des traditionnelles oppositions et querelles boutiquières. Le Secrétariat Unifié et la LCR, qui ont eu le mérite, à partir de 1985 (après que le SWP étasunien ait rompu avec eux), d’abandonner progressivement les méthodes traditionnelles de centralisme autoritaire et d’exclusion, et qui ont y compris démontré une capacité à intégrer des secteurs issus d’autres traditions, trotskystes et non trotskystes, devraient pouvoir y contribuer.

Notes

[1Interview de Daniel Bensaïd par Laurent Mauduit, Le Monde des Livres (supplément au Monde), 8 mars 2002.

[2Comme c’est le cas pour moi. Je dois signaler aussi ce qui, outre des échanges à l’intérieur de Carré Rouge, pourrait déterminer dans cette critique également une part de subjectivité. J’ai été pendant vingt ans membre du courant dit « moréniste » (Fraction bolchevique dans le Secrétariat Unifié, puis Ligue Internationale des Travailleurs), dont la composante française était née comme tendance au sein de la LCR au cours des années 70. Ce groupe (LST à partir de 1981) s’est unifié en 1997 avec Voix des Travailleurs, formée par les militants exclus un peu plus tôt de LO, avant que l’ensemble des membres de VdT n’intègrent — et donc, pour certains d’entre nous, ne réintègrent — la LCR en 2000.

[3Que l’on peut appeler le courant pablo-mandéliste (du nom de ses deux principaux inspirateurs, Michel Pablo et Ernest Mandel) en suivant la typologie en « ismes » que Daniel Bensaïd emploie parfois (lambertisme pour le courant trotskyste dirigé par Pierre Lambert et morénisme pour celui fondé par Nahuel Moreno). La continuité du pablo-mandélisme s’exprime à travers le plus important des regroupements qui s’auto-désignent actuellement comme « la Quatrième Internationale », regroupement connu dans le mouvement trotskyste sous le nom de Secrétariat Unifié (SU) et dont l’organisation la plus importante, politiquement et numériquement, est la LCR française.

[4Voir « URSS, stalinisme et trotskysme : le présent aide à mieux comprendre le passé », J.-Ph. Divès, dans Carré Rouge, n° 14, mai 2000.

[5« L’État ouvrier, Thermidor et bonapartisme », 1er février 1935, Œuvres, tome 5, ILT/EDI, pages 72-73.

[6Ces événements sont analysés (et documentés) dans un chapitre d’« Éléments pour un bilan de la LIT et du morénisme », JPhD, Les Cahiers de Cours Nouveau n° 1, juin 2000.

[7Voir sur ce point « Budget participatif : réalités et théorisations d’une expérience réformiste », JPhD, dans Carré Rouge n° 20, janvier 2002.

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