Le texte qui suit se présente essentiellement comme une introduction à un débat nécessaire sur la révolution chinoise et le maoïsme. C’est délibérément que cet article brasse en un nombre restreint de pages un panorama vaste, et donc nécessairement flou de la trajectoire du maoïsme. Son statut est avant tout de stimuler une discussion en rompant avec des schémas tout faits : on connaît l’identification du maoïsme au stalinisme, on connaît aussi l’apologie consistant à faire de ce courant un équivalent du léninisme pour la deuxième moitié du XXe siècle. La première qualification laisse passer l’essentiel de ce que représente le maoïsme : il a fait la révolution, et de ce fait ne peut être stalinien ; car le stalinisme, lui, est au sens profond (marxiste révolutionnaire), contre-révolutionnaire. La deuxième appréciation lui attribue un mérite que rien ne justifie : certes le maoïsme nous a appris bien des choses sur la révolution et sur ce qu’on a appelé la révolution dans la révolution : la transition au socialisme ; mais il nous informe aussi et surtout de ce qui peut séparer un courant que nous appelons - provisoirement, et faute de mieux, « un anti-bureaucratisme bureaucratique » d’un courant authentiquement révolutionnaire et prolétarien. Nous entendons par là un courant qui réunisse en lui l’exigence de la révolution socialiste (et non du socialisme achevé) dans son pays et de la révolution mondiale, conçue non comme un incantation magique, mais en tant que nécessité stratégique pour réaliser la transition au socialisme la moins déformée possible. Par ailleurs, la genèse et l’histoire du maoïsme continuent à poser des problèmes de fait et de théorie fort complexes. Nous traçons ici une esquisse sommaire de la trajectoire maoïste, non seulement en prenant un nombre de données connues, mais aussi en nous distanciant de certaines conceptions courantes. Cette étude génétique, ce cheminement du maoïsme se différencient d’une analyse matérialiste de la révolution sociale. Cette recherche pour aboutir devrait s’appuyer sur une compréhension de la situation économique, des trajectoires de classes, de l’insertion de la Chine dans le marché mondial, des forces politiques agissantes, etc. : incontestablement, seule une telle analyse restituerait toute sa dialectique au processus de la révolution chinoise. Ce travail dans toute son ampleur n’est encore qu’un projet ou mieux : un voeu pieux.
Mais notre démarche se justifie aussi d’un autre point de vue. Jusqu’à présent les rapports entre maoïsme et révolution chinoise - pour ne pas parler du problème « maoïsme et marxisme » auquel nous avons fait allusion plus haut - revenaient toujours à des pétitions de principes : pour les uns le maoïsme constitue l’unique voie révolutionnaire adaptée à la Chine, pour les autres le maoïsme est un « accident de l’histoire » ou bien encore le maoïsme aurait été contraint » de faire la révolution. (c’est la conception du centrisme maoïste) [1] Quelles que soient les nuances - et elles sont nombreuses - on ne sort pas avec de tels raisonnements, de schémas a priori plaqués sur la réalité pourtant si riche de la Chine. C’est pourquoi nous commençons avec une étude sur le maoïsme qui tente, même de façon limitée, de rompre avec les appréciations stéréotypées ; et tout en restant fort descriptif et général, ce travail essaye d’apporter des éléments pour une discussion ouverte. Si on se refuse à l’anathème ou la glorification sans nuances, si d’autre part toute expérience révolutionnaire doit être comprise dans chacune de ses implications les plus paradoxales, et si enfin le marxisme est un guide pour l’action, mais que l’action suppose que l’on comprenne ce que l’on fait, il est alors temps d’ouvrir un débat sur la révolution chinoise qui mette à l’épreuve l’ensemble de l’analyse marxiste révolutionnaire. A notre avis un débat rigoureux nécessite des analyses à plusieurs niveaux. Les deux questions les plus générales et aussi les plus stimulantes, portent d’une part sur le rapport du maoïsme au stalinisme, et d’autre part sur la problématique de la transition au socialisme. A la première question nous apportons quelques éléments de réponse, nous réservons la seconde pour une autre étude.
À un niveau plus spécifique, il faut saisir en quoi les instruments M.R. [2] permettent d’expliquer cette révolution inattendue. Nous indiquons en effet dans le texte, que l’application de la théorie de la révolution permanente n’est pas sans poser des problème de validité. Il en est de même avec la problématique d’une révolution prolétarienne sans prolétaires et d’un parti d’avant-garde totalement substitutif. La question de la bureaucratie dans la révolution et pendant la période de transition trouve également un éclairage nouveau en Chine. Sur ces questions et quelques autres, il sera nécessaire de revenir de façon plus approfondie et de bien mesurer l’enjeu de toutes ces discussions.
Inutile d’insister sur l’importance des problèmes posés par la construction du socialisme en Chine : ils sont au coeur de nombreux débats de l’extrême gauche. Mais il n’est pas sûr, il est même douteux, que les termes de ces débats soient toujours bien définis. À cet égard le concept de révolution prolétarienne devrait être précisé, en indiquant bien tout ce que peut signifier une révolution prolétarienne faite par des prolétaires et pour des prolétaires qui vont diriger consciemment leur Etat, à distinguer de toutes les formes variées de substitutions.
Il serait aussi indispensable de mieux éclairer la signification du concept stalinien et maoïste de « construction du socialisme dans un seul pays », dans la deuxième moitié du XXe siècle, à confronter à la logique stalinienne du même nom en U.R.S.S. mais qui fonctionna dans un contexte différent dans les années 1920 et 1930 : toutes deux rompent radicalement avec la conception léniniste de la révolution mondiale. Autant dire que par rapport à ce programme, le présent texte n’est qu’une modeste esquisse : la discussion autant que la pratique M-R doivent nous permettre d’aller plus loin.
Une dernière raison, et non des moindres, explique l’écrit qui suit : il apparaît aujourd’hui nettement qu’avec la « révolution culturelle », et « l’après révolution culturelle » (le Xe congrès du P.C.C.), le maoïsme se dévoile à la fois dans toute son ampleur et avec toutes ses limites.
Il était impossible de le comprendre en 1949 ou même en 1955. En 1958, au début du « grand bond en avant », certains aspects importants se dessinent, mais c’est incontestablement la « révolution culturelle » et ses lendemains qui permettent de faire le bilan du maoïsme en acte, avant que ne s’ouvre l’ère du post-maoïsme.
Décembre 1974