Né à Dantzig en 1921, réfugié en Suisse pour échapper au nazisme, oralement installé en France sans statut. arrêté en Mai 68 et n’échappant in extremis à l’extradition que parce que apatride ! S’il rencontre la politique par un engagement de jeunesse dans le mouvement sioniste et socialiste Habonim, c’est sous le drapeau du trotskysme qu’il va devenir un militant actif, et même professionnel. D’abord dans le courant de Lambert, à l’OCI, dont il sera exclu en toute vulgarité lambertiste. Fort récemment, un bref passage à la LCR ne lui aura pas permis de renouer avec l’action militante. Et c’est l’aveu d’une souffrance : « Aujourd’hui je me considère donc comme un trotskyste historique. À mon grand désarroi, je ne suis plus, je ne peux plus être trotskyste. »
Aveu au demeurant subreptice, car l’ensemble du propos est infiniment pudique. Les oublis. les allusions, et même les brutalités à la limite de la grossièreté, sans oublier un humour tout personnel, sont là pour protéger une sensibilité qu’on pressent à vif. Boris paraît avoir toujours joué ä cache cache, avec lui-même, avec les institutions et même avec l’Histoire : sur le grand échiquier de celle-ci, il déjoue les parcours obligés, et sans fin transgresse les règles.
Lycéen, face aux nazis, il dit : « Je n’ai, je crois bien, jamais eu à souffrir directement d’antisémitisme ». II ne s’est jamais inquiété de savoir comment sa mère a pu, en France occupée, échapper à la mort. Et il reconnaît une très tardive prise de conscience de la signification du génocide.
Militant, il reconnaît avoir « immédiatement sympathisé » avec Lambert, dont il dresse a posteriori un portrait implacable. Mais il ne comprend toujours pas son exclusion. N’estime-il pas que ses talents incontestables de recruteur de jeunes militants auraient fait qu’il a « bénéficié dans le groupe d’une totale indépendance. De la liberté du fou en quelque sorte. »
À deux reprises, il a flirté avec la célébrité. La plus connue est liée aux révélations, livrées sans arrière pensée de sa part, qu’il est celui qui a recruté à l’OCI le jeune Lionel Jospin, et l’a secrètement formé aux bases du trotskysme. L’autre a davantage de panache : sa conférence de 1967, à Nanterre sur le thème « jeunesse et sexualité » et ce bien avant l’émergence du Mouvement du 22 Mars —, laquelle connut un grand retentissement. Ce qui l’autorise d’un sourire à s’ériger en « père » de Mai 68. Mais du fait de sa situation au regard de la législation française, le voici amené à ne pas se « mêler des événements » et condamné à l’anonymat. Et de nous expliquer, doctement rigolard, qu’il s’en est fallu de peu que, manifestation de lycéens à l’appui, il prenne le pouvoir... à Auxerre !
Pourtant, nouveau paradoxe, c’est un dessin d’une parfaite rectitude qui se dégage de l’ensemble de cette vie aventureuse qu’il nous dit avoir été soumise à une double passion : celle de la politique et cet e de Éducation. intellectuel d’une grande culture, mais librement accumulée comme en désordre, et amateur éclairé de peinture et de musique, il a toujours été libre, sinon parla, et récusant tous les conformismes. Celui de l’argent d’abord, quitte à se nourrir de pain et de margarine. Mais aussi des titres et des statuts. Il aura été moniteur dans le cadre des Cemea, militant de l’Ecole émancipée, et médiateur de ce qu’on a parfois appelé « freudo-marxisme ». C’est lui qui a introduit en France Reich. Il fut l’ami et le traducteur de Marcuse... Sans doute loin du profil de « trotskyste historique », voici une belle synthèse d’esprit libertaire et de souci combiné d’émancipation sociale et sexuelle. « À mon retour en France, en 1949 j’étais déjà reichien et convaincu que si on voulait faire du travail politique en direction de la jeunesse, il fallait mener une propa garde de type reichien, c’est-à-dire en démontrant le caractère politique de l’oppression sexuelle et la nécessité de la lutte en faveur de la libération sexuelle comme partie intégrante du combat général de la lutte des classes. »
Nous voici, avec ce témoignage d’une grande et originale vie, loin des compromissions et déceptions qui marquent l’époque.
Chapeau Camarade !
F.S.