Irlande : les accords de Stormont Victoire de l’impérialisme britannique et des partitionnistes orangistes

, par BONHOMME Marc

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Les accords de Stormont, célébrés par Blair, Clinton, le Pape et le diable, consacrent la renonciation par Sinn Féin (à moins d’une improbable révolte de sa base), la principale organisation nationaliste nord-irlandaise, au droit à l’autodétermination du peuple irlandais sur l’ensemble de son territoire national. Ces accords paraphent, après trois quarts de siècle de résistance, l’acceptation de la partition de 1921 des six contés du nord-est de l’île, les plus riches parce que colonisés par le Grande-Bretagne depuis des siècles. Les accords de Stormont ratifient la force des armes qu’a ensuite cristallisé la force du capital à laquelle participe de plain-pied une des plus importantes transnationales canado-québécoises, Bombardier, propriétaire d’une des plus grandes usines de l’Ulster, le producteur d’armements aéroportés, Short Brothers, de Belfast.

Pourquoi accepter que ces privilégiés descendant de colons aux éternels défilés provocateurs – édulcorés le temps d’un référendum – doivent ratifier un éventuel rattachement qui ainsi n’aura jamais lieu à moins d’une lointaine et appauvrissante « revanche des berceaux » sur le dos des femmes ? Pourquoi cautionner l’éventuel désarmement de l’IRA dans deux ans (qui, espérons-le, n’y consentira pas) alors que l’armée britannique continuera son occupation, les miradors en moins, et que la police protestante ne sera pas démantelée mais seulement « réformée » sous l’égide d’un parlement dominé par les unionistes et encadrée par l’armée de Sa Majesté. Pourquoi l’Irlande doit-elle constitutionnellement renoncer à son unité pour laquelle elle lutte depuis 800 ans contre l’officielle renonciation de la Grande-Bretagne à proclamer l’Irlande de Nord comme partie de l’Empire alors que l’occupation de son armée et, dorénavant, son Conseil irlando-britannique disent, dans les faits, tout autre chose ?

Peut-on considérer, malgré tout, comme un pas en avant ou une dynamique de libération le fait que l’IRA devra s’asseoir sur ses armes pour deux ans ou pour l’éternité à moins de vouloir semer la confusion en reniant ce qu’elle vient de signer ; qu’il y aura un Conseil Nord-Sud dont les pouvoirs ne vont pas à la cheville, par exemple, des institutions de Bruxelles ; que les nationalistes irlandais de l’Ulster devront rassembler 60 % de leurs députés pour bloquer toute majorité de 60 % de l’ensemble des élus au Parlement de l’Ulster, c’est-à-dire la majorité protestante, alors que ces nationalistes sont déjà divisés en « modérés » majoritaires et en « radicaux » ; que la libération des prisonniers gardera derrière les barreaux les membres des organisations, comme l’INLA, qui refusent le nouvel accord ? Tous ces « gains », on le voit, engendreront une cristallisation des divisions au sein des nationalistes tout en encourageant l’unité des unionistes.

Certes, le but recherché par le Sinn Féin d’une Irlande unifiée et socialiste était passablement mis à l’épreuve dans un monde gagné par le néolibéralisme et l’unipolarité. D’autant plus fallait-il renouer avec le caractère de masse des protestations nationalistes des années 70, ce qui impliquerait de ressouder la lutte nationale avec la lutte pour les droits civiques et sociaux. Mais le Sinn Féin, avait tout misé sur la lutte armée qui n’était pas conçue comme un soutien mais comme un substitut à la lutte de masse. Comme une victoire militaire n’était plus possible étant donné le rapport de forces mondial de l’après-1989, le Sinn Féin prit le parti de faire alliance avec les nationalistes bourgeois tant en Irlande du Nord (le SDLP) qu’en Irlande du Sud (le gouvernement de l’Eire).

Cette alliance implique non seulement le renoncement à la lutte armée mais aussi le renoncement aux buts national (l’unification) et social (le socialisme) du mouvement national. Mieux aurait valu décréter un cessez-le-feu unilatéral à temps — sans désarmer — et réactiver la lutte de masse pour le plein emploi et l’égalité politique et sociale, comme l’expliquait la militante de gauche Bernadette Devlin McAliskey, une des dirigeantes du mouvement national dans les années 70 et 80, lors de sa tournée aux ÉU en 1996. Il est en tout cas aberrant de voir les présents accords de Stormont comme créant les conditions d’une avancée des droits civiques des Nord-irlandais catholiques. Depuis quand ces droits peuvent-ils se développer sur la base de la renonciation au droit à l’autodétermination et de la consécration du droit du plus fort ? Quant à présenter cette capitulation historique comme un modèle pour les nationalistes corses ou basques égarés dans des comportements mafieux ou militaristes comme le fait Jean-Louis Michel dans Rouge...

Mais n’ayons crainte que les partisans de cette capitulation auront beau jeu, durant ce mois de mai référendaire, de montrer que ce sont plutôt les orangistes qui sont les perdants et les nationalistes les grands gagnants. La mise en scène est d’ailleurs bien commencée avec les cris de vengeance du fondamentaliste Ian Paisley, qui a toujours considéré la moindre concession comme une grande capitulation, la renonciation par la confrérie moyenâgeuse des Apprentice Boys de faire passer leur parade à travers un quartier catholique et la libération de quelques prisonniers par le gouvernement de l’Eire. Pendant ce temps, la fille de Bernadette Devlin, Roisin, faussement soupçonnée d’action terroriste en Allemagne, demeure prisonnière des geôles britanniques où elle a accouché. Les Britanniques n’auront pas craint de recourir aux moyens les plus odieux pour neutraliser cette femme de principe qui, les circonstances aidant, aurait pu devenir un pôle de rassemblement face à Gerry Adams.

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