Foulard et laïcité : une loi en préparation ?

, par BATAILLE Claire

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A la fin de l’année 1996, la polémique sur le voile à l’école a rebondi de manière prévisible. A Albertville, les enseignante(e)s se sont mobilisée e)s contre la décision du tribunal administratif de Grenoble ordonnant la réintégration de deux élèves exclues du lycée Jean Moulin en 1994. Il Y a eu plus récemment, l’affaire du lycée Racine à Paris où trois enseignantes ont refusé de faire cours à une élève de terminale portant le voile. Par ailleurs, on apprenait que Jacques Chirac jugeant trop conciliant le Conseil d’Etat, souhaitait une loi contre le foulard à l’école (Le Monde du 5.12.96) tandis que Bayrou, contrairement à sa position habituelle, ne l’excluait plus (Le Monde du 4.12.96). Ainsi, un prochain débat à l’Assemblée nationale sur le projet de loi contre le foulard à l’école n’est pas impossible. Il y a tout lieu de le redouter.

Certain(e)s, dans le « camp » laïque ont déjà été tentée(e)s par une telle perspective pour « lutter contre une laicité à géométrie variable », pour « refonder l’école sur la laicité ». Telle est la position des délégués(e)s FO, que ce soit au lycée d’Albertville ou au lycée Racine à Paris. A Albertville, ce sont plus de 400 personnes qui ont défilé devant la sous-préfecture en novembre dernier pour obtenir que J. Chirac organise un référendum sur ce thème. Au lycée d’Albertville, une pétition pour réclamer une loi contre le port ostentatoire de signes religieux à l’école, a été signée par 75 enseignant(e)s sur 125 et la liste « ouverture et laïcité », proche de FO, à l’origine de cette initiative, a conquis plus de 40% des sièges aux dernières élections au conseil d’administration. Cette « fermeté » du corps enseignant, rejoindrait-elle ainsi, spontanément, celle du président de la République qui, dit-on, a toujours considéré le port du voile comme étant « en soi ostentatoire », comme exprimant « une idée inacceptable de la femme », comme le signe d’un « refus d’intégration » ? Le consensus laïque serait-il tel, qu’une loi, par delà les clivages gauche-droite, et même extrême-droite, pourrait s’imposer et, par un coup de baguette magique, mettre un terme à une polémique ouverte en 1989, il y a près de huit ans déjà ?

Des motivations pour le moins ambigües.

Malheureusement, la réalité est plus complexe et moins rose qu’on voudrait nous le faire croire du côté des délégué(e)s FO ou de la présidence de la République.
Le même J. Chirac, qui a toujours été hostile au port du foulard à l’école, n’est-il pas allé à Rome pour promettre au Pape, que la France, « Fille aînée de l’Eglise », préparerait avec tout le faste qui convenait « l’année Clovis » ? Et si la visite du Pape à Reims est restée dans certaines limites, ce n’est pas par la volonté du gouvernement et du président de la République, mais bien grâce à la pression des militante(e)s et des associations qui ont dénoncé l’entreprise catholique pendant plusieurs mois. N’oublions pas non plus que nous avons eu droit aux obsèques religieuses de F. Mitterrand au début de l’année 1996. Bien que reconnue par la Constitution de 1946, la laïcité de notre République est pour le moins contestée par ceux-là mêmes qui ont la charge de la défendre ! Et c’est à eux qu’il faudrait faire confiance pour élaborer un nouveau projet de loi, plus radical, plus clair en matière de laïcité, permettant de faire obstacle à la pression des intégristes, intégristes musulmans notamment ! En guise de projet de loi laïque, on risque fort de se retrouver piégé(e)s par un projet de loi discriminatoire et d’inspiration raciste (comme les lois Pasqua et Debré) dont seules les jeunes musulmanes feraient les frais.
D’ailleurs, les propositions de loi en ce sens ne manquent pas. Le Monde rappelait récemment (Le Monde du 5.12.96) qu’Ernest Chenières, député RPR ancien principal du Collège de l’Oise qui avait exclu pour la première fois des élèves portant le voile, a déposé à plusieurs reprises des propositions de loi contre le foulard à l’école. Est-il nécessaire de rappeler que ce « combat » de Mr Chenières a rencontré toute la sympathie du FN qui ne lui a jamais compté son soutien !
Aujourd’hui, l’attitude de Chirac et de Bayrou pourrait être, selon l’expression du Monde, le résultat plus ou moins direct du « lobbying » efficace d’E. Chenières et de ses amis...

L’impasse d’une démarche sectaire

Une autre démarche est-elle possible, respectueuse à la fois de la laïcité, du refus du racisme, d’une volonté d’émancipation féminine ? Nous le pensons, à condition toutefois de ne pas simplifier les problèmes et d’accepter de mettre en avant d’autres objectifs que le respect de la laïcité de manière formelle.
Pour notre part, nous n’avons jamais refusé d’envisager, dans certaines circonstances, qu’une décision d’exclure une ou plusieurs élèves voilées puisse être légitime ; pour nous, une logique d’obstruction et de provocation, le boycott de certains cours par les élèves, le port d’un « uniforme » islamiste peuvent justifier le refus d’un professeur de faire cours et parfois l’exclusion de certaines élèves (cf Cahiers du Féminisme n°70 et n°71-72).
Mais les affaires du lycée d’Albertville et du lycée Racine se situent-elles dans ce contexte extrême ?
A distance, il est bien difficile de le dire mais si à Albertville on a pu parler de la pression d’un réseau islamiste animé par l’Association des Amis du Maghreb, les conditions de la dernière exclusion définitive prononcée par le conseil de discipline du 6 janvier 1997 et ce, contre l’avis du SNES et du SGEN locaux, sont pour le moins suspectes : Nabila Kourrad, dernière des quatre exclues en 1994, « réintégrées » par le tribunal administratif de Grenoble, avait accepté de retirer son foulard. Absente pendant quinze jours, elle était revenue avec un bandeau sur le front et un filet sur les cheveux. II faut dire qu’elle portait le voile depuis l’âge de douze ans ! Malgré tout, le compromis fut refusé par les délégués FO et l’administration encouragée, semble-t-il, par le ministère (cf Libération du 9.01.97). On peut douter que, dans ces circonstances, l’ objectif réel ait été de faire progresser la laïcité et l’émancipation de ces jeunes musulmanes. Celles-ci sont renvoyées dans leurs familles. Elles sont condamnées à l’isolement de l’enseignement à distance. Elles subiront sans relâche la pression des associations islamistes que l’on prétendait combattre. Par ailleurs, toutes les filles exclues de nouveau, ont fait appel ; le feuilleton est donc loin d’être terminé !
Quant au lycée Racine, à Paris, l’affaire est plus simple et plus récente. Trois enseignantes (math, français, philo) ont tout simplement refusé de faire cours en présence d’une élève de terminale voilée. L’enseignante de mathématiques, par ailleurs élue nationale FO, a expliqué qu’elle ne pouvait faire cours en présence d’une jeune fille « portant un emblème religieux ; c’est une atteinte à ma dignité de professeur laïque » (cf Le Monde du 18.12.96). Soit ! Mais quelle solution a-t-on trouvé pour cette unique élève, assidue à tous les cours, dont l’attitude est parfàitement correcte, souligne-t-on, et qui ne fait aucun prosélytisme ?
La solution de « compromis » proposée par l’administration a été, encore une fois, l’enseignement à distance dans les trois disciplines incriminées. Elle suit les autres cours au lycée.
Comble d’hypocrisie, les professeurs de français et de philosophie, qui refusent de faire cours à cette élève, ont néanmoins accepté de lui corriger ses devoirs.
Belle cohérence, comme on le voit !

Un seul principe mais des solutions au cas par cas

A ceux et celles qui nous interpellent en nous disant « quelle serait votre réponse dans de telles situations ? » nous répondons que nous n’avons aucune solution miracle à proposer. Mais, parce que nous savons que la bataille pour la laïcité et pour l’émancipation est longue et permanente, nous refusons la logique d’exclusion systématique qui traite les élèves comme des pions symboliques et non comme des individus capables de réflexion et susceptibles d’évoluer. Ce qui est curieux dans les cas relatés, c’est que ne sont jamais évoqués le dialogue, la discussion entre les élèves et les professeurs. Il s’agit pourtant bien de la base de tout enseignement !
Pour ma part, et tant que nous ne serons pas en mesure de remettre en cause l’ensemble des privilèges accordés aux différentes Eglises (les aumôneries dans les établissements scolaires par exemple), ainsi que le concordat d’Alsace-Lorraine qui reconnaît les cultes catholique, protestants, israëlite et officialise de ce fait l’instruction religieuse à l’école, il me semble impossible d’exiger davantage de « laïcité » des élèves musulmanes que des autres. Ce n’est pas pour autant renoncer à la bataille pour la laïcité mais plutôt considérer que la loi doit être la même pour tous. En pratique, elle ne l’est pas et là où on a exclu des élèves portant le voile, on a toléré des élèves portant la kippa ou s’absentant le samedi matin, jour du shabhat.
Il est difficile de croire que dans un contexte où la pression du Front national s’accentue (cf Vitrolles) un projet de loi sur la laïcité sera autre chose qu’un texte discriminatoire à l’égard des musulmans. C’est pourquoi nous refusons, contrairement aux délégués FO, de nous inscrire dans une telle logique.
Reste alors la démarche prudente du Conseil d’Etat qui juge au cas par cas, une manière de reconnaître que le port du voile, n’a pas à chaque fois la même signification, ce qui est tout à fait vrai.
Ainsi en novembre 1996, dans plusieurs arrêts distincts, le Conseil d’Etat a confirmé l’exclusion de 23 élèves du Nord de la France dont 17 élèves du lycée de Lille soutenues et sans doute manipulées par la Ligue Islamique du Nord. Ces 17 élèves ont été exclues pour trouble manifeste au bon fonctionnement du lycée.
Quant aux autres, elles ont été exclues pour absences répétées et injustifiées aux cours d’éducation physique.
En revanche, sept exclusions prononcées dans différents collèges à Amiens, Clermont-Ferrand, Aulnay-sous-Bois ont été annulées car pour le Conseil d’Etat le port du foulard sans autre motif ne suffit pas à justifier une exclusion.
C’est aussi notre point de vue même si, au niveau du pricipe, le port du foulard « islamique » en classe est une atteinte aux principes de laïcité et d’égalité des droits entre les hommes et les femmes. Mais, ne l’oublions pas, ces jeunes filles sont des victimes !

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