Entre le cynisme de l’annonce du nouveau record de profits, près de 100 milliards d’euros, atteint par les entreprises du Cac40 en 2006, les fermetures d’usines comme celle d’Arena suite à leur délocalisation en Chine, la révélation des chiffres tronqués du chômage qui ne peuvent plus masquer la réalité de l’explosion de la précarité, les conséquences ravageuses de la mondialisation sont devenues une réalité quotidienne, s’imposant comme thème central dans les débats politiques de la campagne présidentielle.
De Villiers fait même de la mondialisation son principal adversaire, pour lui opposer les vieilles rengaines réactionnaires du nationalisme et du protectionnisme. Ségolène Royal qui, il y a quelques mois encore insistait sur le fait qu’il fallait aussi voir les côtés positifs de la mondialisation, en dénonce maintenant les dérives au nom de son « ordre juste ». Même Sarkozy, tout en se disant sur le fond libéral prétend, face à la multiplication des licenciements boursiers, vouloir moraliser le capitalisme financier. Quand à Bayrou, reprenant les arguments des partisans du Oui, il ne voit de solution que dans la construction d’une Europe forte. De droite comme de gauche, face à la mondialisation, ils se situent sur le terrain de la défense de la « souveraineté menacée » de la France. Ils prétendent vouloir moderniser le pays, adapter son économie pour qu’elle soit plus compétitive dans le cadre d’une concurrence devenue mondiale.
Mais ces déclarations ne font que révéler leur impuissance à combattre les conséquences d’un système qu’en réalité ils n’ont fait que défendre et justifier à chaque fois que les uns ou les autres ont été au gouvernement. Elles entretiennent la confusion en essayant de nous solidariser des intérêts des classes dominantes dans la guerre économique qu’elles mènent à l’échelle du monde. Et face à cette confusion, le mouvement ouvrier reste désarmé.
Les ravages de la mondialisation sont la conséquence des contradictions internes d’un système qu’il est illusoire de vouloir moraliser ou réguler.
Au contraire, contre cette logique destructrice de la finance, contre la mise en concurrence de tous, il faut opposer une autre logique, irréconciliable, celle du droit à la vie de la majorité. Cela implique d’imposer des mesures d’urgence qui remettent en cause la dictature du capital financier, en n’hésitant pas à empiéter sur le droit de propriété au nom duquel elle s’exerce. Ces mesures vitales impliquent d’imposer un contrôle démocratique de l’économie seul moyen pour pouvoir l’organiser dans l’intérêt de l’ensemble de la société.
Ces mesures ne peuvent que s’appuyer sur la conscience de la nécessité d’une contestation collective du pouvoir de la bourgeoisie, de la légitimité de la lutte des classes, menée jusqu’au bout pour imposer une autre répartition des richesses et transformer la société.
L’échec historique de la social-démocratie qui s’est complètement convertie au libéralisme et du stalinisme qui s’est effondré avec la fin des dictatures de l’ex-URSS et des pays de l’Est, met l’ensemble du courant révolutionnaire, comme des militants ouvriers, devant la nécessité de reformuler ces perspectives générales, révolutionnaires, pour le mouvement ouvrier.
C’est même la tâche de fond du mouvement révolutionnaire. A travers les mobilisations, les luttes, à travers le travail dans les associations et les organisations syndicales, en utilisant la tribune des élections, il s’agit de reconstruire une conscience de classe, indépendante des classes dominantes, fondée sur un projet de transformation sociale.
Cela veut dire surmonter les échecs de la période précédente tout en fondant la continuité du combat pour l’émancipation. Malgré les échecs du passé, en quoi les transformations du capitalisme, en accentuant ses contradictions, créent-elles de nouvelles possibilités de développement pour le mouvement ouvrier ?
La question renvoie à un débat de fond sur la nature de la nouvelle phase de développement du capitalisme que nous connaissons, pour dégager les changements et la continuité avec l’époque de la naissance de l’impérialisme. En effet la mondialisation actuelle est souvent comparée, à juste titre, avec cette « première mondialisation », cette période d’essor de l’impérialisme, mais cette analogie pose les problèmes plus qu’elle ne les éclaire. Cette période a été une époque charnière de transformation du capitalisme, au cours de laquelle les partis socialistes se sont développés, c’est une période d’essor politique, théorique, pratique sans précédent pour le mouvement ouvrier. C’est aussi à cette époque que se sont constitué les bases économiques qui allaient engendrer une période de guerres, de crises, de révolutions à travers lesquels le mouvement socialiste allait s’effondrer et les partis communistes se constituer dans le feu d’une profonde crise révolutionnaire.
C’est pour cela que comprendre les échecs passés tout en fondant la continuité du combat implique une nécessaire confrontation avec l’analyse de la nature de cette période de l’impérialisme faite par les révolutionnaires et en premier lieu par Lénine.
Quelle continuité et quelle rupture entre l’impérialisme et la nouvelle phase du capitalisme d’aujourd’hui ? Quelles conséquences cela a pour les perspectives du mouvement anticapitaliste ?
Cette évolution ouvre-t-elle de nouvelles voies pour réformer la capitalisme ou bien légitime-t-elle la perspective révolutionnaire ? Et rend-elle, pour autant, cette perspective plus crédible ?
Les faits sociaux qui ont contribué aux échecs passés ont-ils été dépassés, les conditions objectives nouvelles sont-elles plus favorables à l’essor d’un nouveau mouvement ouvrier et donc des possibilités révolutionnaires ?
Ce sont ces questions dont cet article se propose de discuter.
Libéralisme et impérialisme
Le visage actuel de la mondialisation a été façonné par le travail des contradictions du capitalisme que Marx décrivait dès ses débuts, et qui n’ont cessé depuis de se développer, à travers toute la période d’essor de l’impérialisme jusqu’à aujourd’hui.
Du capitalisme de libre concurrence des débuts du XIXème siècle à la période d’expansion impérialiste, se sont bien les mêmes contradictions fondamentales qui ont traversé le capitalisme, contradictions entre une organisation de plus en plus socialisée de la production qui ouvre des possibilités immenses de développement et une appropriation qui, restant privée, ne vise que la recherche du profit et non la satisfaction des besoins sociaux. Cette contradiction fondamentale s’est manifestée différemment à travers les différentes phases de développement du capitalisme, en fonction des réponses que la bourgeoisie essayait d’y apporter. La principale nouveauté du capitalisme actuel est d’en avoir recombinées les différents aspects, en les exacerbant tous.
La « révolution néo-libérale » du début des années 80 prétendait en finir avec l’interventionnisme de l’Etat d’après-guerre pour revenir au libéralisme économique des débuts du capitalisme, mais cette fois généralisée à l’échelle de toute la planète. Les réformes entreprises alors par tous les gouvernements, qu’ils soient ouvertement libéraux comme ceux de Reagan ou Thatcher, ou socialistes comme avec Mitterrand, affichaient comme objectif la libéralisation de l’économie à coup de déréglementations, décloisonnements, dérégulations. Cela a abouti à la constitution d’un marché unique... surtout pour les capitaux.
Mais les discours des « libéraux » sur le pouvoir du « tout marché » devant amener la croissance et la démocratie... ont fait long feu devant les ravages de la mondialisation et la réalité d’une croissance destructrice pour les peuples et l’environnement. Car en réalité, la « concurrence libre et non faussée », c’est avant tout le règne de la loi du plus fort qui engendre l’anarchie économique et la généralisation de la spéculation... c’est le règne de la finance qui impose sa loi à toute la société. Cela n’a plus rien à voir avec la « libre concurrence » des débuts de capitalisme. Aujourd’hui, il s’agit de firmes multinationales parfois plus puissantes que des Etats, qui ont la mainmise sur toute l’économie mondiale, et cela dans le seul but de « valoriser le capital », en clair faire toujours plus de profits. Toute la vie sociale est dominée par la concurrence acharnée à laquelle elles se livrent et qui entraîne surtout la mise en concurrence de l’ensemble des salariés de la planète, comme de l’ensemble des petits entrepreneurs ou producteurs.
Les défenseurs du libéralisme prétendent qu’il faut réduire l’intervention de l’Etat pour laisser le champ libre aux lois des marchés. Mais ce n’est là qu’un mensonge. Car l’Etat est loin d’avoir disparu, sa politique a seulement changé. Les Etats se sont mis au service de la finance pour remettre en cause l’ensemble des droits sociaux dans les pays développés, comme pour imposer des reculs dramatiques aux peuples des pays pauvres. En ce sens la période actuelle est bien dans la continuité de l’impérialisme, car il s’agit bien de la domination d’un capital financier qui se soumet les États et cela quels que soient les gouvernements en place.
Aussi contrairement aux discours des libéraux, l’intervention de l’Etat, loin de s’atténuer, s’est renforcée dans le cadre des ravages et des tensions sociales créées par la mondialisation. Cela se traduit par un militarisme sans précédent et un état de guerre permanent qui s’est accentué depuis 2001.
Ainsi le capitalisme actuel conjugue le libéralisme économique des marchés financiers mondiaux et la violence impérialiste contre les peuples. La mondialisation n’a fait qu’accentuer les traits de l’impérialisme que décrivait Lénine en les recombinant par le jeu des contradictions fondamentales qui caractérisent le capitalisme depuis ses débuts.
Du « stade suprême » à une nouvelle étape du développement du capitalisme...
À l’époque de l’essor impérialiste, au début du siècle dernier, le capitalisme semble avoir changé, s’être stabilisé provoquant bien des interrogations et des illusions même dans sa capacité à surmonter ses contradictions de jeunesse. Et c’est au moment même où toutes ces contradictions accumulées depuis des décennies éclatent dans la première guerre mondiale, au moment où l’internationale socialiste s’effondre que Lénine écrit sa brochure : L’impérialisme, stade suprême du capitalisme. Il y analyse l’évolution du capitalisme qui a abouti à la guerre, du point de vue du mouvement ouvrier, du point de vue des possibilités révolutionnaires que cela ouvre.
Lénine donne la définition suivante de la période :
« L’impérialisme est le capitalisme arrivé à un stade de développement où s’est affirmé la domination des monopoles et du capital financier, où l’exportation des capitaux a acquis une importance de premier plan, où le partage du monde a commencé entre les trusts internationaux et où s’est achevé le partage de tout le territoire du globe entre les plus grands pays capitalistes ».
Cette définition englobe ce qui apparaît à Lénine comme les cinq caractères fondamentaux de l’impérialisme :
- « Concentration de la production et du capital parvenue à un degré de développement si élevé qu’elle a créé les monopoles, dont le rôle est décisif dans la vie économique.
- Fusion du capital bancaire et du capital industriel, et création, sur la base de ce “capital financier”, d’une oligarchie financière.
- L’exportation des capitaux, à la différence de l’exportation des marchandises, prend une importance toute particulière.
- Formation d’unions internationales monopolistes de capitalistes se partageant le monde.
- Fin du partage territorial du globe entre les plus grandes puissances capitalistes. »
Quelles conséquences politiques pour le mouvement ouvrier et les révolutionnaires, Lénine tire-t-il de cette analyse ?
Pour Lénine, il s’agit de reformuler une perspective révolutionnaire en rupture avec l’esprit d’adaptation qui a prévalu depuis des décennies dans les pays impérialistes, sur la base des surprofits accumulés grâce au pillage colonial.
Combattre ces courants réformistes implique combattre l’illusion qui s’est développée jusque dans les rangs des organisations ouvrières que le capitalisme aurait trouvé une nouvelle stabilité, que le socialisme pourrait être construit progressivement par des réformes.
Si Lénine parle de « stade suprême », c’est parce que l’impérialisme a porté les contradictions du capitalisme a un niveau alors inconnu. Si la socialisation de la production à l’échelle des trusts nationaux a créé les bases matérielles qui rendent possible la perspective du socialisme, dans le même temps, le parasitisme du capital financier, en exacerbant la concurrence, a conduit le capitalisme à une crise sans précédent. Ce sont ces contradictions accumulées qui ont éclaté avec la première guerre mondiale... ouvrant une période de confrontation directe entre la bourgeoisie et la classe ouvrière.
C’est dans le but de se préparer à cette confrontation inévitable que Lénine écrit sa brochure et non pour faire une analyse éternelle et définitive de l’impérialisme. Lénine définit des perspectives militantes à une étape clé du combat. Il analyse l’impérialisme pour comprendre les causes objectives de la faillite des organisations ouvrières, tout en définissant les bases matérielles qui donnent toute son actualité au projet révolutionnaire.
Quoi de neuf au stade libéral et impérialiste ?
Nous portons le même regard que Lénine sur la nouvelle phase de mondialisation capitaliste que connaît la société. Pourquoi les travailleurs ont-ils été impuissants à s’opposer à cette nouvelle offensive capitaliste et, par delà cet échec et les difficultés qu’il crée, l’évolution objective du capitalisme prépare-t-elle les conditions d’une renaissance du combat pour l’émancipation ? Et c’est de ce point de vue que nous voulons comprendre les traits nouveaux de la période actuelle, produits d’un siècle de transformation du capitalisme et de luttes des classes. Que sont devenus les 5 caractères fondamentaux de la définition que Lénine donnait de l’impérialisme ?
Concentration de la production et du capital : des monopoles nationaux au règne des firmes multinationales
Le phénomène de concentration de la production et des capitaux a continué à une échelle gigantesque.
Les anciens monopoles nationaux, nés dans le cadre de l’impérialisme, étaient la base de la constitution des premiers trusts. Depuis, ces trusts privés ou d’Etat, qui avaient donc une base nationale, se sont transformés en firmes multinationales, se libérant du carcan national pour développer et organiser leurs activités sur un marché, devenu mondial et sans entrave.
Toute la production et le commerce mondial sont contrôlés par quelques dizaines de firmes multinationales, géants de la finance et de l’industrie, dont dépendent des milliers de plus petites entreprises sous-traitantes.
La mondialisation a entraîné une réorganisation de la production à l’échelle du monde. La concentration et l’internationalisation des activités des multinationales contribuent à unifier l’économie mondiale comme un tout qui dépasse les cadres des économies nationales.
Le développement qui en découle dans les pays pauvres est loin de l’image idéalisée d’un rattrapage des pays développés. Car si croissance il y a, comme actuellement en Chine ou en Inde, c’est une croissance dévastatrice pour les populations. Elle entraîne l’expropriation et la ruine de millions de paysans et de petits artisans et commerçants qui viennent s’accumuler à la périphérie des villes industrielles dans des conditions de vie terrible, devenant autant de candidats prolétaires, exerçant de fait une pression sur les salaires. La croissance des pays comme la Chine s’accompagne surtout d’une augmentation des inégalités sociales porteuse d’explosion de colère qui commence déjà à s’exprimer.
Mais dans le cadre d’un marché mondial unifié, cette prolétarisation des pays pauvres s’accompagne aussi d’une mise en concurrence directe de ces nouveaux prolétaires avec l’ensemble des salariés de la planète notamment ceux des pays développés.
De la formation du capital financier à un capital financier globalisé, rentier et spéculatif
Le capital financier est né de l’interpénétration du capital bancaire et du capital industriel, comme un levier pour donner naissance aux premiers trusts nationaux. Aujourd’hui, cette fusion du capital bancaire et du capital industriel se fait à une échelle « mondialisée », libérée des contraintes imposées par les frontières nationales. Le marché mondial est devenu le cadre pour une nouvelle accumulation de ce capital financier.
Au début du XXe siècle, Lénine soulignait l’importance du rôle pris par les banques dans la constitution des trusts, et cela au détriment de la Bourse qui ne jouait plus alors qu’un rôle mineur pour la spéculation... qui restait alors marginale. Dans sa brochure, il explique : « Le remplacement du vieux capitalisme, où régnait la libre concurrence, par un nouveau où règne le monopole, entraîne, notamment, une diminution de l’importance de la Bourse... L’ancien capitalisme, le capitalisme de la libre concurrence, avec ce régulateur indispensable qu’était pour lui la Bourse, disparaît à jamais. Un nouveau capitalisme lui succède... »
La mondialisation, en créant un nouvel espace pour la libre concurrence mondialisée, a entraîné une explosion de toutes les formes de spéculation et du coup redonné une place centrale à la Bourse. Elle est devenue le lieu de concentration, de fusion de toutes les formes de capitaux, ce qui entraîne un état de surchauffe permanent avec la formation, le gonflement puis l’éclatement de bulles spéculatives. La libéralisation de l’économie a entraîné l’apparition d’une bulle financière qui aujourd’hui n’a plus aucune mesure avec la production réelle de marchandises. Les spéculations financières atteignent un niveau sans précédent, constituant le cadre d’une nouvelle accumulation du capital financier qui n’est plus forcément directement lié à un réel développement économique.
Ainsi le système financier est dominé par des fonds d’investissements qui captent les fonds de millions d’épargnants, d’assurés ou de futurs retraités, ce qui leur donne les moyens d’exercer leur contrôle sur l’ensemble de l’économie.
Le capital financier atteint aujourd’hui sa forme la plus achevée, la plus abstraite de capital fictif, ce n’est plus simplement « un capital dont disposent les banques et qu’utilisent les industriels », il est devenu un capital financier globalisé, ne poursuivant qu’un but, sa valorisation la plus immédiate et au meilleur taux, à travers toutes formes de spéculations.
De l’exportation des capitaux, aux flux financiers spéculatifs permanents
Lénine insistait sur l’importance prise par l’exportation des capitaux s’accumulant dans les pays impérialistes sur la base des surprofits réalisés par le pillage colonial, sans trouver où s’investir dans le cadre des économies nationales.
Avec la mondialisation, la constitution d’un marché mondial sans entrave vise justement à « tout transformer en marchandises », c’est-à-dire à ouvrir sans cesse de nouveaux espaces de valorisation du capital. Les capitaux circulent aujourd’hui d’un bout à l’autre de la planète, d’une place boursière à une autre, en permanence, 24 heures sur 24. Aussi, plus que d’exportation et importations des capitaux, il s’agit aujourd’hui de flux financiers gigantesques, se jouant des frontières, et qui sont devenus extrêmement instables, « volatils », du fait de leur liberté de mouvement et de leur but uniquement spéculatif... Ces capitaux ne s’intéressent qu’à des placements à très court terme, toujours à la recherche du meilleur rendement, et amènent les entreprises comme les Etats à tout sacrifier pour perpétuellement créer les meilleures conditions possibles pour les attirer. Ainsi la mondialisation se traduit avant tout par la dictature de cette finance. Soumise aux caprices de ces masses gigantesques de capitaux qui peuvent se déplacer en toute liberté d’un bout à l’autre de la planète en fonction des profits attendus, toute l’activité sociale ne semble plus avoir qu’un seul but, satisfaire les actionnaires, assurer un retour sur investissement d’au moins 15 %.
La Bourse a retrouvé une place centrale dans ces transactions financières. Elle est devenue l’arène de cette concurrence pour le contrôle financier des entreprises, le lieu où se jouent les opérations de concentration et de centralisation. Le lieu où ces capitaux se partagent, à travers mille et une spéculations, les richesses produites.
Mais la spéculation généralisée a besoin, et donc entretien et exacerbe, une instabilité économique, source perpétuelle de nouvelles opérations financières, mais qui engendre en retour des ravages dramatiques pour les peuples et l’environnement.
De l’union internationale monopoliste à un marché mondialisé, arène de la concurrence entre les firmes multinationales
Lénine montrait comment les trusts nationaux cherchaient à s’entendre pour se répartir les marchés. Avec la mondialisation le marché mondial est devenu le cadre d’une concurrence effrénée entre les firmes multinationales.
Cette concurrence ne se livre pas principalement sur le terrain de la production et la vente des marchandises. Les firmes transnationales s’appuient sur des capitaux venant de tous les coins du monde et elles investissent dans tous les coins du monde. Toutes ces firmes, quelle que soit leur activité initiale, de la grande distribution à la production de voitures en passant par les assurances, sont devenues elle-même des sociétés financières qui réalisent l’essentiel de leurs profits à travers des opérations de spéculation.
Le marché mondiale est devenue l’arène de cette concurrence entre firmes multinationales mais surtout le cadre de la mise en concurrence des classes ouvrières des différents pays. Cette mise en concurrence généralisée a entraîné des changements profonds dans les pays pauvres comme dans les anciens pays industriels où la classe ouvrière a subi de multiples reculs qui tirent en arrière toute la société.
De la lutte pour le partage territorial du globe au « nouvel ordre mondial » : militarisme et violence d’État contre les peuples
À travers les deux guerres mondiales, les rapports de forces entre puissances impérialistes ont totalement changé, consacrant l’hégémonie américaine par rapport aux vieilles puissances européennes. La vague de décolonisation d’après guerre a entraîné l’éclatement du vieux partage colonial du monde réalisé entre les vieilles puissances européennes. L’effondrement de l’URSS et des pays de l’Est a accentué la position hégémonique des Etats-Unis, tout en finissant de faire tomber les derniers cloisonnements qui empêchaient la constitution d’un marché mondial.
Pourtant, loin d’apporter paix et démocratie, le triomphe de « l’économie de marché » a fait apparaître une multitude de contradictions multipolaires, à travers lesquels de nouveaux rapports de forces se construisent derrière une hégémonie américaine qui concentre sur elle toutes les tensions. Ainsi, si le monde n’est plus partagé en vastes empires coloniaux, chasse gardée pour une poignée de puissances impérialistes, le « nouvel ordre mondial » qui s’est construit à l’heure du libéralisme économique s’accompagne d’une croissance du militarisme qui entretient un état de guerre permanent contre les peuples, sous la houlette des Etats-Unis.
Cet état de guerre permanent se double du renforcement du caractère répressif des Etats contre le monde du travail et les peuples. Le caractère de classe des Etats est ainsi mis à nu, ils apparaissent ouvertement comme entièrement au service des intérêts d’une minorité de parasites, sacrifiant toutes les dépenses ayant une quelconque utilité sociale pour multiplier les aides aux groupes financiers, tout en développant la violence d’État pour imposer au monde du travail de nouveaux reculs sociaux.
Un modèle de société ou le produit de la lutte des classes...
Si donc la période actuelle présente des caractères nouveaux par rapport à l’impérialisme naissant, elle en est la continuité en s’inscrivant dans une évolution historique à travers laquelle les mêmes contradictions fondamentales du capitalisme ont joué.
La mondialisation libérale n’est pas la mise en œuvre d’un modèle économique concocté par quelques théoriciens ou idéologues du « libéralisme » mais elle est la conséquence d’une fuite en avant de la bourgeoisie face aux contradictions de son propre système, dans le cadre d’un rapport de forces entre les classes.
Du capitalisme de libre entreprise à la naissance de l’impérialisme...
Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, le développement des entreprises capitalistes a abouti à une concentration et une centralisation telle que la « libre concurrence » qui caractérisait le capitalisme à ses débuts, a laissé la place aux monopoles dans le cadre des économies nationales.
Les capitaux possédés par les banques et mis à la disposition des industriels, ont entraîné une interpénétration du capital bancaire et du capital industriel qui a donné naissance au capital financier. Une oligarchie financière s’est constituée regroupant une poignée de grands capitalistes, patrons de banques et patrons industriels, intimement liés aux grands fonctionnaires d’Etat.
L’impérialisme est né comme la politique de cette oligarchie financière qui s’est soumise les États.
Pour lui assurer de nouvelles sources de profits, pour trouver de nouveaux débouchés pour ses marchandises et ses capitaux, tout en s’accaparant de nouvelles sources de matières premières, les États impérialistes se sont lancés dans une nouvelle vague de colonialisme. Cela a abouti, en quelques années, au partage complet du monde en vastes empires entourés de barrières douanières, défendus par les armées nationales, assurant de juteux profits aux trusts des grandes puissances.
L’impérialisme est donc la réponse de la bourgeoisie face aux contradictions de son système à l’étroit dans le cadre des économies nationales, en s’appuyant pour cela sur les États et leurs armées pour garantir de nouvelles zones d’investissement.
Mais les contradictions qui ont conduit de la libre concurrence aux monopoles, ont finalement abouti à une exacerbation de la concurrence entre les trusts nationaux et les États à leur service, conduisant inexorablement à la guerre pour le repartage du monde.
De l’impérialisme au libéralisme impérialiste
La guerre de 14-18 a ouvert toute une période de crises, de guerres et de révolutions à travers lesquelles les rapports sociaux et économiques ont été bouleversés et qui ne s’est finalement terminée que dans les années 80.
L’espoir ouvert par la révolution sociale, commencée en Russie en 1917, mais qui n’est pas parvenue à s’étendre au reste de l’Europe, s’est refermé, entraînant le stalinisme en URSS et le fascisme dans toute une partie de l’Europe.
À travers les deux guerres mondiales, il y a eu une transformation du rapport des forces entre les impérialismes européens affaiblis et l’impérialisme américain. Conséquence de ces transformations, la fin de la seconde guerre mondiale a été le signal des luttes de libération nationale qui, en quelques dizaines d’années, ont sonné la fin des empires coloniaux européens et du pillage direct de leurs ressources humaines et matérielles.
À l’intérieur des frontières nationales, et alors que l’Union soviétique apparaissait comme la deuxième puissance de la planète, la bourgeoisie des pays impérialistes a été contrainte, par le rapport de force qui s’imposait à elle, de faire des concessions à la classe ouvrière organisée, pour sauvegarder l’essentiel.
Dans toute cette période d’après guerre, l’État a joué un rôle important à travers la mise en place de toute une législation sociale, et en prenant aussi en main des secteurs entiers de l’économie. En France, il a assuré sous la forme de grands monopoles publics (transports, énergie, communication, santé, éducation...), l’essentiel des activités indispensables à la vie économique.
Mais ces concessions n’ayant en rien surmonté les contradictions internes du capitalisme, cette période de croissance économique, souvent idéalisé par les antilibéraux, n’a fait que préparer les conditions d’une nouvelle crise. La baisse régulière du taux de profit qui est la conséquence de l’incapacité du capitalisme à maintenir un développement harmonieux et équilibré même en période de pleine croissance, a abouti à la crise des années 1970. La crise marque le début de l’offensive de la bourgeoisie. Le développement du chômage de masse qui est resté depuis une constante, traduit le changement du rapport de forces entre la classe ouvrière et la bourgeoisie.
La mondialisation actuelle est la réponse de la bourgeoisie à la crise des années 70. À travers 20 ans d’offensive, l’impérialisme est revenu sur toutes les concessions qui avaient été faites, pour imposer, sous la domination des Etats-Unis, un capitalisme de libre concurrence à l’échelle de toute la planète.
La libéralisation et la déréglementation des flux financiers ont rendu au capital toute sa liberté. Pour la première fois, le capital a abattu les dernières barrières qui s’opposaient à sa dictature.
Sur la base d’un rapport de force favorable aux classes dominantes, le capitalisme peut ainsi transférer le poids de ses contradictions sur le monde du travail et les peuples, entraînant une exacerbation des inégalités sociales, mais sans pour autant les résoudre.
Une évolution qui renforce les bases matérielles pour une autre société
Lénine conclut sa brochure sur l’impérialisme, écrite en 1916 en pleine guerre mondiale et alors que le mouvement ouvrier s’est effondré, en montrant que toute l’évolution du capitalisme a crée les bases matérielles pour une autre société. L’essor des trusts à l’époque impérialiste a abouti à une socialisation à l’échelle du monde de la production qui étouffe sous l’enveloppe de la propriété privée. Cette enveloppe est déjà entrée en putréfaction et, souligne Lénine, même si elle peut être maintenue artificiellement par la force pendant quelques temps, elle finira inéluctablement par être éliminée.
Aujourd’hui, avec la mondialisation, cette socialisation de la production a connu un développement sans précédent et surtout une bien plus grande intégration à l’échelle du monde, sur la base des progrès techniques liés à la révolution informatique, aux progrès des communications et des moyens de transport. C’est toute la production et le commerce mondial qui sont aujourd’hui organisés, contrôlés, par une poignée de firmes financières qui dirigent non seulement leurs activités propres mais aussi celles d’une multitude de petites entreprises sous traitantes qui travaillent pour elles. Et ce qui peut se faire dans le seul but de trouver la meilleur rentabilité possible pour les capitaux pourrait se faire sans beaucoup plus de difficultés dans le but de satisfaire les besoins du plus grand nombre.
Ainsi la mondialisation a renforcé les bases matérielles pour une autre organisation de la société, la révolution des nouvelles technologies a même considérablement simplifié tous les problèmes de recensement, de vérification, de contrôle, qu’implique une véritable économie démocratiquement planifiée. Plus que jamais, ce n’est que le carcan imposé par la propriété capitaliste et son corollaire, les nations, qui empêche que les possibilités ouvertes par cette socialisation de la production à l’échelle du monde permettent de répondre aux besoins du plus grand nombre. L’évolution même du capitalisme a créé les conditions de leur abolition au profit d’une coopération et d’une planification mondiale.
Mondialisation du mouvement ouvrier
Avec la mondialisation, le capitalisme a réussi à se créer un vaste marché mondial, totalement déréglementé, qui est aujourd’hui le cadre d’une nouvelle accumulation du capital.
Cette accumulation se fait à travers quelques firmes multinationales qui dominent l’ensemble de l’industrie et du commerce mondial qu’elles organisent en fonction de leur critère de valorisation des capitaux sans se préoccuper des conséquences pour les peuples, les Etats ou l’environnement.
Ce qui caractérise cette nouvelle période, c’est que cette accumulation se fait pour l’essentiel, non pas à travers le développement de la production et des échanges mais à travers toutes les formes de spéculations financières, qui ont pris une place prépondérante.
La mondialisation, c’est le règne de firmes multinationales qui, tout en contrôlant la production, sont avant tout des groupes financiers qui finissent par totalement dissocier la recherche du meilleur taux de profit du développement économique réel. Cette dissociation entre la logique spéculative et la production accentue le caractère parasitaire d’une finance qui draine à elle toutes les richesses produites, qui cherche à tout transformer en marchandise, au point de menacer l’avenir même de l’Humanité, de la planète.
Ainsi a été poussée jusqu’au bout la vieille contradiction du capitalisme qui fait que si la production est de plus en plus socialisée à l’échelle du monde, l’appropriation, elle, reste privée. Cette contradiction fondamentale, décrite par Marx dès la première phase du capitalisme, a abouti à cette dissociation entre une sphère financière où s’accumule un capital fictif, uniquement producteur d’intérêts, et la production réelle des richesses utiles pour la société.
La mondialisation a aussi développé une nouvelle classe ouvrière à l’échelle internationale, entraînant à vitesse accélérée dans tous les pays du monde, une prolétarisation comparable à celle qu’ont connu les puissances européennes au XIXe siècle. Tout en mettant l’ensemble des salariés en concurrence dans cette guerre économique sans fin à laquelle se livrent les firmes multinationales.
En créant le marché mondial cadre d’une concurrence acharnée, elle a sapé la base sociale qui avait donné naissance au courant réformiste grâce aux surprofits accumulés par les pillages coloniaux sous le contrôle des États nationaux. Contrairement au début de l’impérialisme ou à la période d’après guerre, il n’y a plus de base matérielle pour une politique de concessions de la bourgeoisie vis-à-vis du monde du travail. Bien au contraire, la mondialisation conduit à une offensive frontale de la bourgeoisie pour maintenir ses taux de profits. Cela n’empêche pas que demeure l’illusion en une possible régulation du capitalisme, illusion à laquelle s’accrochent les courants antilibéraux qui idéalisent ce qu’a pu être le rôle de l’État dans l’après guerre. Mais ces illusions n’ont plus de bases matérielles. Les exigences élémentaires des salariés en matières de salaire, d’emploi, de doits sociaux et démocratiques se heurtent directement à la logique de la rentabilité financière et deviennent des questions politiques au sens le plus général du mot, au sens où elles posent ma question du pouvoir et de la propriété.
Ces transformations impulsées par la mondialisation contribuent à ce que se forment les conditions objectives d’un nouveau développement du mouvement d’émancipation.
Avec la mondialisation, le capitalisme apparaît à nu, dans sa forme « pure » à l’échelle du monde.
Jamais l’opposition entre le Capital et le Travail ne s’est affirmée à une telle échelle et avec une telle profondeur. Jamais les intérêts de cette minorité que constitue l’aristocratie financière ne sont apparus plus éloignés de ceux de l’ensemble de la population mondiale. Jamais le fossé n’a été aussi grand entre les possibilités ouvertes par l’essor des sciences et des techniques et les ravages occasionnés par le parasitisme de la finance.
Le développement de cette contradiction pose la question de l’abolition de la propriété capitaliste dans sa forme financière au moment où le développement des multinationales crée les prémisses d’une organisation à l’échelle internationale de la production.
La résolution de cette contradiction ne peut passer que par la lutte collective des salariés, qui représentent plus que jamais l’immense majorité de la population, pour, à travers la défense de leurs besoins vitaux, prendre en main démocratiquement les rênes de l’économie pour l’organiser en fonction des véritables besoins sociaux.
C’est en ce sens que la nouvelle classe ouvrière, internationale, qui est déjà amenée à livrer une lutte quotidienne pour sa propre survie, représente l’avenir de l’Humanité. C’est de ces luttes quotidiennes que pourra naîtra la conscience de la nécessité de mettre fin à la domination de capital financier, d’en finir avec la propriété privée pour pouvoir se servir de tous les progrès sur le plan de la socialisation de la production et des échanges à l’échelle du monde comme d’un levier pour organiser une économie planifiée.
Bien sûr, il n’est pas possible de définir par avance les étapes d’une telle remontée du mouvement ouvrier, mais elle est contenue dans les contradictions même de la situation, dans la réalité même des luttes des classes qui se mènent sous nos yeux. Elle est déjà engagée. C’est cette perspective qu’il nous faut formuler, sur la base de toute la riche expérience accumulée par le mouvement ouvrier révolutionnaire, mais tout en ayant clairement conscience que l’histoire ne se répète pas et que les voies et les moyens pour qu’une telle remontée du mouvement ouvrier aboutisse à une révolution sociale seront à inventer...