Après Chirac, le meilleur écologiste de France (rappelez-vous « la maison brûle et nous regardons ailleurs »...), après Nicolas Hulot, ses dix gestes pour sauver l’environnement, ses généreux sponsors (TF1, Loréal, EDF...) et son célèbre pacte, c’est au tour de Nicolas Sarkozy et de son gouvernement de prétendre à la résolution de la crise écologique que plus personne ne peut nier tant l’actualité nous en apporte des preuves quotidiennes. Doit-on voir là l’énième avatar d’un affichage politique, une esbroufe supplémentaire ? On aurait tort de minimiser la fonction et la portée de l’opération conduite à travers le grenelle de l’environnement. Passons sur la référence aux accords de Grenelle de la part d’un président de la République qui dit vouloir en finir avec mai 68. Ce qui est en jeu, c’est la définition, par la droite la plus libérale qui soit, d’une écologie non seulement compatible avec le capitalisme mais qui puisse même lui donner un second souffle : ici, le développement durable, c’est le développement durable et l’approfondissement d’un système qui porte en lui pauvreté des population et dégradation des écosystèmes comme la nuée porte en elle l’orage. Le second enjeu pour le gouvernement, c’est de réduire les marges d’actions des mouvements écologistes en les cantonnant dans un rôle de lobbying, de négociateurs à froid. Alors que la contestation écologiste, et aussi sociale, avait repris du poil de la bête sur des terrains aussi variés que la lutte antinucléaire, les OGM, la défense d’un service public de l’eau ou la reconnaissance des victimes de l’amiante, il est dommageable et inquiétant de voir une bonne partie du mouvement écologiste se précipiter dans des négociations sans même tenter d’organiser un mouvement social et citoyen qui puisse établir un rapport de force face au gouvernement. Si les intitulés de la plupart des groupes de travail du Grenelle sont suffisamment imprécis pour sembler être frappés du sceau du bon sens, d’autres devraient alerter sur la teneur de l’écologie à la sauce Borloo. Ainsi le sixième groupe de travail intitulé « promouvoir des modes de développement écologiques favorables à la compétitivité et à l’emploi » devrait plaire au MEDEF, également un acteur majeur du Grenelle, qui cherche surtout à éviter que les efforts en matière de réduction de pollution ne portent en premier lieu sur les industries. Quant à envisager une rupture avec l’agriculture productiviste, fortement financée par l’Union Européenne, qui utilise pesticides, souille les nappes phréatiques et fait un usage immodéré de l’eau, il n’en est pas question ; à coté du MEDEF, on retrouve bien sûr la FNSEA et le lobby de l’agro-industrie. De même, alors qu’il est urgent d’entamer une révolution dans les transports qui conjugue une diminution des flux, une relocalisation partielle de l’économie, un développement du rail, du transport par voies d’eau et des modes de déplacements collectifs, ce ne sont que des mesurettes qui sont envisagées. Mais pour tout ça, il faudrait avoir le courage de s’attaquer à un certain nombre de puissants lobbys, de l’agriculture au transport, de la gestion des déchets aux multinationales de l’eau ou de l’énergie. Croit-on vraiment que Borloo et Sarkozy aient une telle volonté ?
L’Alliance pour la planète revendiquent quatre moratoires : sur les OGM, le lancement du réacteur EPR, les autoroutes et les incinérateurs, ce avec quoi nous ne pouvons qu’être d’accord même si de tels moratoires ne sont pas en soi des solutions, simplement la possibilité d’ouvrir des voies alternatives au développement destructeur des écosystèmes. Ils sont donc le préalable à toute négociation, mais le gouvernement n’en a cure. En la matière, le cas du nucléaire est édifiant. Après s’être lancé dans une fuite en avant commerciale de centrales afin d’assurer les profits d’AREVA et de relancer la filière du nucléaire civil, Nicolas Sarkozy vend une autre centrale à la Libye, soi-disant pour désaliniser l’eau de mer. Et pendant ce temps les négociations du Grenelle continuent.
Autre fait d’importance illustrant la démarche du gouvernement, la présence très médiatisée de Nicholas Stern pour présider le groupe de travail sur la lutte contre les changements climatiques et la maîtrise de l’énergie. N. Stern est cet économiste Britannique auteur d’un rapport rendu public en 2006 sur les conséquences économiques des changements climatiques qui pourraient être aussi graves que celles des deux guerres mondiales et de la crise de 1929 ajoutées, soit une chute de 20 % du PIB mondial. C’est bien cet aspect des choses qui mobilise Sir Stern : les risques d’une crise économique qui pourrait affecter le fonctionnement normal du capitalisme, plutôt que les conséquences sur les populations et les écosystèmes. Alors qu’il définit le changement climatique comme « le plus grand et le plus large échec du marché jamais vu jusqu’à présent », les solutions qu’il propose sont dans la droite ligne des préceptes néolibéraux : plus de marché, plus de croissance, plus de nucléaire, plus de libéralisation des échanges, moins de protection sociale... Si on se fie aux calculs effectués par Stern, il faudrait envisager pour stabiliser le climat à des niveaux acceptables engager des sommes équivalentes à 3 % du PIB mondial (entre 1050 et 1200 milliards de dollars par an). Mais pour cela, il faut s’en prendre à certaines productions, à certains secteurs comme l’armement ou le pétrole, il faut envisager des changements substantiels dans le système productif... Il est vrai qu’il est plus simple pour un économiste libéral d’une pays riche d’envisager faire porter la responsabilité des réductions de gaz à effet de serre sur les pays du Sud ou de prévoir une taxe carbone qui toucherait de façon indifférenciée tous les consommateurs mais serait compensée pour les entreprises par une nouvelle diminution des cotisations sociales. Une des voies qu’on peut deviner dans les propos gouvernementaux tourne en effet autour de projets de taxe sur le carbone et de fiscalité écologique. En cette période de cadeaux fiscaux aux couches les plus riches de la société, il est plus facile de faire passer de nouvelles mesures fiscales pour une défense de l’environnement alors qu’elles vont avoir pour effet d’accentuer les inégalités tout en déresponsabilisant les premiers acteurs des pollutions.
Une autre approche permet à nos dirigeants de faire semblant de tout changer pour que rien ne change, c’est celle qui met toute sa confiance dans les innovations technologiques, par exemple la séquestration du carbone ou les agrocarburants. Dans le premier cas, un certain nombre de recherches devraient inciter à la plus grande prudence ; dans le second, il s’agit plutôt d’un subterfuge destiné à couvrir d’un vernis environnementaliste un nouveau secteur de l’agriculture intensive qui fait le bonheur de la FNSEA. Or les agrocarburants, du fait de leurs procédés de transformation et des polluants utilisés pour leur développement ne peuvent pas être véritablement considérés comme des moyens de réduire les émissions de CO2 ; d’autre part dans un certain nombre de pays (Brésil, Malaisie...) la développement des agrocarburants se fait au détriment des cultures vivrières et une déforestation intensive, accentuant l’appauvrissement des populations locales.
Dans le même sens, on peut penser que la perspective essentielle du gouvernement quant aux OGM est de légitimer la notion de coexistence entre cultures OGM et non OGM, alors que tout démontre qu’une telle coexistence, avec des frontières étanches entre les deux types de production, est impossible. Mais après les nombreuses luttes sur le sujet et les craintes de la population française, il importe au gouvernement de rassurer tout en permettant aux marchands d’OGM d’écouler leurs marchandises.
On pourrait multiplier les exemples de la façon dont les responsables politiques et économiques multiplient les effets d’annonce et les beaux discours. Face à la crise écologique le silence n’est en effet plus de mise, et mieux vaut tenter de définir une écologie a minima à même de satisfaire les industriels et le secteur de l’agro-industrie et garantir la loi du profit, sans s’attaquer aux causes profondes de cette crise.
Les organisations qui se réclament de l’écologie, dans toute leur diversité, sont désormais au pied du mur. Pense-t-on que le lobbying, même intensif, de quelques associations sera -suffisant pour contrebalancer le poids de ceux qui dirigent l’économie mondiale ? Ou l’heure n’est-elle pas venue de s’atteler à la construction d’un mouvement écologiste large, divers et unitaire, à même d’articuler réponses environnementales et préoccupations sociales ? Faire ce second choix, c’est placer au coeur de l’écologie politique l’égalité sociale, la lutte contre la pauvreté, les discriminations et toutes les formes de domination. Bref, c’est faire émerger une écologie anticapitaliste qui fasse de la défense de l’environnement une préoccupation populaire, une exigence démocratique. Une telle écologie doit viser à terme une réorganisation d’ensemble du système de mode de production et de consommation, fondée sur des critères extérieurs au marché capitaliste : les besoins réels de la population (pas nécessairement solvables) et la sauvegarde de l’environnement, et ce à l’échelle planétaire. Mais elle doit aussi immédiatement être capable de formuler des revendications d’urgence, qui nécessitent une autre répartition des richesses, pour réorienter les politiques des transports, du bâtiment (normes de sobriété énergétique pour toute construction nouvelle et plan global de rénovation), de l’industrie (quotas contraignants de réduction de gaz à effet de serre et autres polluants, efficacité énergétique...), de l’énergie (arrêt du nucléaire, développement massif des renouvelables, en premier lieu du solaire, dans le cadre d’un service public rénové), de l’agriculture (interdiction des OGM en plein champ et du brevetage du vivant, conditionnement des aides à des normes sociales et environnementales, droit à la souveraineté alimentaire...), de l’eau (pour un service public municipal, gratuité, limitation pour les gros consommateurs, contrôle sur les pollutions...) Toutes choses dont on peut craindre qu’elles ne seront pas à l’ordre du jour du Grenelle de l’environnement.