- Qu’est-ce que le concept de décroissance ?
Il est difficile de parler de concept de la décroissance tant cette notion reste floue et peu creusée par ses défenseurs contemporains. Elle se présente sous la forme d’une apparente simplicité, frappée du sceau du bon sens : les dégradations environnementales dues aux activités humaines (production, consommation, déchets...) sont telles que les élaborations économiques alternatives au capitalisme doivent intégrer la finitude de la planète afin d’envisager une « économie saine », qui ne toucherait pas au capital naturel.
On ne peut qu’être d’accord sur le constat. Sur le fait de ne pas toucher au capital naturel, c’est déjà plus difficile d’envisager une production, même réduite, sans cela ; tout ne peut pas être issu du recyclage. Mais l’idée que la nature constitue un capital à défendre est à creuser. La conséquence de ces positionnements est la décroissance économique, sans beaucoup plus de précisions. C’est cet aspect des choses qu’il faut discuter. Est-ce que la croissance et la décroissance peuvent être considérées comme des catégories pertinentes lorsqu’on ne précise pas leur contenu. Est-ce qu’une certaine croissance est nécessaire pour répondre à certains besoins, y compris environnementaux ? Est-ce que la décroissance est un projet politique ou notre avenir inéluctable, en matière énergétique par exemple, qui nécessite une anticipation collective ?
Le terme de décroissance, tout en entretenant un certain flou représente avant tout une réaction à l’état du monde actuel mais aussi, et surtout, une alternative à une autre notion, qui est censée représenter la prise en compte grandissante des aspirations environnementalistes, à savoir la notion de développement durable. Le développement durable est considéré par les défenseurs de la décroissance comme un oxymoron, adjonction de deux termes contradictoires. Cette critique du développement durable peut constituer une salutaire mise en garde tant cette notion est dévaluée et récupérée aussi bien par des politiques que des industriels peu soucieux de l’environnement. Mais elle ne suffit pas à fonder un projet en positif.
La confusion apparaît plus clairement lorsque les termes de croissance et de développement se mélangent, s’intervertissent, sans qu’aucun ne soit réellement défini. Cela est dû au refus de considérer les controverses et les expériences alternatives de développement. Le développement est décrit comme une notion homogène, cohérente et renvoyant toujours aux mêmes choix politiques et économiques. Serge Latouche explique en effet que « quel que soit l’adjectif qu’on lui accole, le contenu implicite ou explicite du développement c’est la croissance économique, l’accumulation du capital avec tous les effets positifs ou négatifs que l’on connaît : compétition sans pitié, croissance sans limite des inégalités, pillage sans retenue de la nature ». D’où la conclusion que non seulement la croissance zéro ne suffit pas, que l’économie doit décroître, mais qu’il faut viser un « après-développement », voir se situer contre le développement.
Or, si la définition de la croissance fait relativement consensus (augmentation du produit intérieur brut, et donc des productions), celle de développement reste objet de débats et de désaccords. Le point commun aux libéraux et aux défenseurs de la décroissance est de dire que l’augmentation du PIB est nécessaire au développement, les premiers pour dire que cette augmentation est nécessaire, les seconds pour expliquer que toute forme de développement est nuisible parce qu’il présuppose la production de biens matériels. Pour échapper à tel modèle, S. Latouche propose donc de sortir de l’économisme, voire de l’économie.
Il ne s’agit pas là seulement de dire que dans l’élaboration de projets de société alternatifs, ce ne sont pas les phénomènes économiques qui doivent primer mais bien les objectifs sociaux et environnementaux au service desquels les choix économiques doivent se soumettre, mais bien de dire que les phénomènes économiques, en soi, sont néfastes. Le débat ne porte donc plus sur les alternatives quant à ces choix économiques, mais sur la nécessité de renoncer à « l’imaginaire économique » pour « redécouvrir la vraie richesse dans l’épanouissement de relations sociales conviviales dans un monde sain [qui] peut se réaliser avec sérénité dans la frugalité, la sobriété voire une certaine austérité dans la consommation matérielle » (S. Latouche).
Néanmoins, notons que certains défenseurs, assez rares, de la décroissance envisagent un modèle économique alternatif fondé sur un mixage privé/public, une définition de services publics non privatisables et un rôle important de l’artisanat. Ce sont d’ailleurs là les rares propositions un peu concrètes qu’on trouve dans cette école de pensée.
- D’où vient cette idée ?
On peut aujourd’hui parler d’une école de pensée de la décroissance étant donné les relations fortes qui existent entre les différents acteurs qui défendent cette idée. L’association « La ligne d’horizon-les amis de François Partant », les revues L’écologiste, Casseurs de pub, La décroissance ou Silence, le « manifeste de l’après-développement », les sites www.decroissance.org ou www.apres-developpement.org font partie de ses principaux promoteurs. Les origines théoriques sont de deux ordres :
- les travaux du club de Rome qui en 1972 introduisent l’idée de croissance zéro, c’est-à-dire l’idée que les écosystèmes ne peuvent supporter une croissance économique illimitée.
- les travaux d’un économiste roumain, Nicolas Georgescu-Roegen qui, en transposant les lois de la thermodynamique dans la sphère économique, cherche à fonder une bioéconomie afin de relier « le métabolisme industriel de la société humaine à la biogéochimie de notre planète » (Jacques Grinnevald). En insérant le métabolisme des activités humaines dans le temps long de la biosphère, Georgescu-Roegen cherche aussi à démontrer que les activités économiques sont de nature entropique : nous vivons dans un univers clos aux ressources limitées ; chaque ponction de ces ressources constitue un prélèvement irréversible, d’où l’inéluctabilité de la fin de l’espèce ou de la planète.
On peut discuter de la pertinence de ces théorisations, du transfert de principes physiques dans le champ économique, ou encore de cette vision d’un système clos dont la quantité de ressources énergétiques serait finie. Cela n’en constitue pas moins un salutaire effet d’avertissement sur l’existence d’effets de seuil dans la destruction/recomposition des écosystèmes, et donc sur une certaine finitude de la planète, finitude dans la mesure où la planète ne peut absorber ou remédier à toutes les destructions, dont elle est victime.
Contre les prétentions technologistes quant aux solutions à apporter à ces problèmes, les thèses de Georgescu-Roegen nous incitent à penser aux choix productifs, à la source de la production. On peut diverger sur ces choix, mais il s’agit là d’un nécessaire point de départ. De plus, ces thèses peuvent nous mettre en garde contre le fait de ne voir dans les rapports de l’homme à son environnement que des rapports sociaux ; il y a en effet des déterminations naturelles auxquelles on ne peut échapper.
Ces origines conceptuelles sont celles qui se rattachent à des conceptions environnementalistes. Mais on trouve beaucoup d’autres dimensions dans la décroissance : le travail, la religion ou la spiritualité, la sobriété... Pour en mentionner une parmi les plus importantes, il faut s’arrêter sur le rejet de « l’occidentalisation du monde ». Pour les penseurs de la décroissance, notre esprit serait pollué par les normes de vie et de consommation ayant cours en occident ; il faut donc porter le fer contre l’impérialisme culturel (les dimensions économique et militaire sont moins évoquées) qui bouleverse les sociétés traditionnelles ; en effet la mondialisation actuelle a des effets aussi délétères que les formes passées de colonialisme puisqu’un seul modèle est fondé à dominer les autres.
L’école de la décroissance insiste beaucoup sur cet aspect des choses. Caractériser ce modèle comme « occidental » est cependant un problème. D’une part, parce qu’on évacue ainsi son caractère capitaliste. D’autre part parce qu’en insistant sur la dimension culturelle (ce qui est juste et trop souvent négligée par la gauche radicale), on en vient à identifier la source du problème comme un conflit de cultures. La conséquence en est un relativisme culturel qui vise à défendre les cultures dominées, quelles qu’elles soient et de façon indifférenciée, relativisme culturel qui rejette toute possibilité de valeurs universelles et de droits afférents. Toute visée universelle ne serait qu’une forme d’imposition de normes occidentales. D’où le rejet par Ivan Illich, qui inspire en partie les travaux sur la décroissance, des écoles et des hôpitaux dans les pays pauvres.
- Est-ce une idée qui jouit d’une large influence au sein du mouvement altermondialiste ?
Il est difficile d’évaluer précisément le degré d’influence d’idées dans un mouvement assez composite et divers. D’autant plus que malgré l’existence d’un réseau aux ramifications multiples, la décroissance ne peut s’appuyer sur des organisations importantes pour la défendre. Néanmoins, quelques organisations commencent à porter le discours de la décroissance, mais elles n’en sont pas forcément à l’origine. C’est le cas par exemple des Amis de la Terre, dont l’un des représentants en France, Fabrice Flippo coordonne aussi le groupe de travail d’ATTAC intitulé « Croissance et décroissance ». D’autres organisations moins importantes se font désormais les défenseurs de la décroissance, notamment du coté de quelques groupes libertaires.
À coté de ça, on perçoit plutôt une nébuleuse qui se reconnaît dans certains penseurs, certaines revues. Par contre, ce qui est sûr, c’est que la décroissance connaît un effet de mode, fait écho à de nombreuses préoccupations, et que beaucoup de militants, en premier lieu chez les écologistes, s’y réfèrent. Les débats et les écrits fleurissent sur ce sujet, peu d’organisations, sauf celles complètement autistes, y échappent, et cela a eu l’effet salutaire de relancer des débats, pas toujours simples, sur le développement, le productivisme, la place des peuples du sud dans les luttes pour leur émancipation...
Sans essayer de mesurer une sphère d’influence, on doit s’interroger sur les raisons d’un tel succès. J’y vois deux aspects, l’un positif, l’autre plus problématique ; le tout est de savoir lequel des deux va peser le plus à l’avenir. Le premier aspect, c’est que le succès de la décroissance révèle une prise de conscience aiguë des dégâts environnementaux provoqués par le mode de production actuel. Aiguë, et donc qui ne se contentera pas des solutions technologistes prônées pas nos dirigeants qui veulent tout changer pour que rien ne change, notamment en matière de consommation.
Il révèle ensuite la (re)naissance d’une critique de l’aliénation marchande, symbolisée par le succès des campagnes anti-pub, et interroge le rôle de chacun en tant que consommateur. Or cette catégorie semble absente dans la gauche radicale ; on aurait pourtant intérêt à y regarder de plus près pour s’interroger sur notre intégration et notre participation au système, non seulement quant aux conséquences de la consommation mais aussi quant aux habitus créés. La conséquence pratique de ces approches est l’insistance portée aux actes de chacun, tant il est vrai qu’un changement social ne peut se concevoir uniquement dans une perspective qu’on pourrait taxer de macro-politique, mais aussi s’ancrer dans les pratiques du quotidien. Reste à déterminer quel rapport établir entre le macro et le micro et quelles interactions peuvent jouer.
Le second aspect, plus négatif, est en fait le pendant de ces différents points, les conséquences qu’on peut en tirer. Pour l’école de la décroissance, le changement social est essentiellement vu à travers le prisme de l’individu : « Le discours de la décroissance demande à chacun de modifier son style de vie et de renoncer à la consommation pour une simplicité volontaire [...] L’appel à la responsabilité des individus est la priorité, les mécanismes économiques mis en place par les politiques demeureront secondaires [...] La priorité est donc de s’engager à l’échelle individuelle dans la simplicité volontaire » (V. Cheynet, B. Clémentin). Ici, l’individu semble bien participer à une société, comprise comme un groupe de personnes partageant une même culture, mais pas inséré dans des rapports sociaux, de classe ou de genre.
Les différenciations au sein d’une même société sont alors difficiles à percevoir, et aucune force sociale collective ne semble à même de porter un projet émancipateur. D’où un appel à la prise de conscience et la responsabilité de chacun, pouvant jouer sur la mauvaise conscience, prise de conscience qui n’est pas parfois sans rappeler des processus de conversion religieuse. Du seul point de vue de l’environnement, cela a des conséquences. La décroissance prône la diminution maximale de la consommation, pour une sobriété heureuse. Mais comment envisager des changements structurels, sur les transports, les énergies, la production de déchets... sans choix politiques, collectifs ; choix qui s’attaquent aux orientations libérales-productivistes ; choix de classe dans la mesure où ils visent à restreindre le pouvoir du patronat et des actionnaires pour satisfaire les besoins environnementaux, mais aussi sociaux, des populations. Derrière une apparente radicalité, la décroissance n’apporte pas de réponses à hauteur des problèmes qu’elle dénonce.
Finalement, on retrouve des problèmes similaires à ceux posés par la notion de productivisme : il s’agit là d’une notion très importante pour mettre le doigt sur des questions trop négligées par la critique sociale. Mais si le productivisme constitue la clé d’explication des maux du monde, sans qu’on cherche à en expliquer les origines et quels intérêts il favorise, on ne peut que proposer des alternatives boiteuses, qui ne vont pas à la racine des choses.
- Ne risquerait-on pas avec ce concept d’être amené à nous concentrer sur des questions techniques de comment mieux gérer la productivité humaine, et laisser de côté la question clé — quelle classe gère l’économie et dans l’intérêt de qui ?
J’ai partiellement répondu à cette question, qui est assez étrangère aux débats menés par les défenseurs de la décroissance. D’une part à cause d’un anti-marxisme profond mais peu étayé (les marxistes sont souvent mis au même rang que les idéologues néo-libéraux, car ils auraient exclu le facteur « nature » de leur raisonnement. Cela ne correspond pas à la réalité, mais c’est un autre débat). D’autre part parce que l’humanité est envisagée comme « une et indivisible » (V. Cheynet, B. Clémentin) ; non pas au nom d’une réconciliation des classes (celles-ci ne sont pas mentionnées) mais parce que les actes d’un individu, a fortiori d’un groupe d’individus engagent le devenir de l’ensemble de l’humanité.
On peut discuter de cela, mais le problème c’est d’uniformiser les responsabilités, en qualifiant de riches tous les habitants des pays occidentaux. On a là une vision simplifiée des rapports nord-sud, des pays pauvres contre les pays riches. Par contre, il est faux de croire que la décroissance conduit à se concentrer sur des questions techniques sur la gestion de la productivité humaine. La décroissance se veut porteuse de principes bien plus profonds quant au changement social ; principes stratégiques mais aussi élaboration de valeurs progressistes éloignées de ce qu’a représenté le camp progressiste.
En l’état actuel des débats à gauche, on ne peut donc négliger un courant porteur d’une telle perspective. Car le succès de l’idée de décroissance est la marque de l’absence d’un projet d’émancipation qui puisse succéder à celui porté par les générations d’octobre. C’est donc un marqueur des défaites, des reculs de l’espoir communiste ainsi que des déceptions de l’écologie politique, mais aussi un marqueur de nouvelles espérances, des tentatives de réponses à de nouvelles questions. C’est en ayant en tête cette contradiction qu’il faut engager le débat.
Cette contradiction, on ne la dépassera pas par une bataille sémantique ou conceptuelle (le développement durable versus la décroissance) car de telles notions peuvent revêtir des acceptations relativement différentes selon qui les emploie. On a vu par exemple quelques critiques qu’on peut adresser aux théoriciens de la décroissance ; mais en matière énergétique, la décroissance est inéluctable ; ce qu’on ignore c’est si c’est une violence anarchique qui l’imposera ou les choix conscients des populations.
Pour revenir à la contradiction mentionnée, son dépassement peut se faire d’une part en se mettant d’accord sur un principe, à savoir qu’on peut définir des valeurs universelles et des droits qui leur correspondent, d’autre part en introduisant la problématique sociale au cœur des questions posées par la décroissance . Mais il s’agit de ne pas le faire trop abstraitement en se contentant de dire que le vert doit se mêler au rouge. C’est une préoccupation qui doit être présente dans le traitement des situations concrètes. Si on parle de l’agriculture, c’est relativement simple : le modèle d’agriculture productiviste et de mécanisation à outrance a désertifié les campagnes, détruit des milliers d’emplois et créé des catastrophes environnementales, touchant à la qualité de l’eau notamment ; l’articulation entre la dimension sociale et environnementale coule de source.
Par contre, concernant l’industrie, les choses sont moins simples. Peut-on exiger le maintien d’entreprises polluantes et dangereuses, au nom de la défense de l’emploi ? Comment inscrire l’urgence revendicative dans les temps plus longs de la politique ? Quand des travailleurs excédés par le mépris dont ils sont victimes menacent de polluer les rivières environnantes, n’est-il pas plus juste d’engager le débat avec eux sur les conséquences d’un tel acte plutôt que de les soutenir démagogiquement ? Face à de telles situations, on note des évolutions ; le travail effectué par la LCR au moment de l’explosion d’AZF montre cette volonté de ne pas privilégier une dimension au détriment d’une autre.
Mais des ambiguïtés persistent quand on évoque la question de la croissance économique. Lorsqu’on débat avec certains économistes de la gauche radicale, on peut dénoncer ensemble le culte de la croissance éternelle de la part des libéraux, le caractère quasi religieux de l’utilisation de cette notion. On peut aussi tomber d’accord sur le fait que parler de croissance comme d’une catégorie homogène, sans préciser son contenu, n’a pas vraiment de sens. Et pourtant on peut lire régulièrement des appels à la croissance économique afin de créer des emplois.
Cela est problématique, car on ne sait pas bien à quoi correspond cette croissance. Ne vaudrait-il pas mieux fixer des objectifs sociaux, lister les besoins à satisfaire et énoncer à partir de là quel type de croissance on veut, pour quelles populations et quelles régions du globe ? De plus en plus on risque d’être confrontés à l’avenir à de tels problèmes dans l’élaboration de nos revendications. Le caractère d’urgence va devoir de plus en plus s’articuler à une pensée sur le temps long de l’écologie, temps qui devient en fait de moins en moins long tant les risques environnementaux vont croissants. Pour revenir à ta question, je voudrais ajouter que le succès de la décroissance, malgré tous ses défauts, nous oblige à revenir sur les débats sur le développement, débats qui semblent s’être ralentis suite aux désillusions de la décolonisation.
Par ailleurs, la mondialisation libérale a des effets homogénéisants sur tous les peuples ; faut-il pour autant envisager un développement homogène ? Quelles sont les marges pour un développement autocentré ? Quelles collaborations Nord-Sud ? Doit-on en appeler à une décélération de la croissance dans las pays du centre ? [1] De même, ce succès de la décroissance est une voie d’entrée pour réviser certains concepts, certaines pratiques héritées du mouvement ouvrier, révision qui devrait se faire sous l’égide d’une écologie sociale, d’un écosocialisme si ceux-ci représentaient aujourd’hui des forces importantes.
- À quel point une analyse de l’Union Soviétique et des pays dits communistes est-elle essentielle pour clarifier cette question ?
Je ne suis pas un grand connaisseur de l’URSS, aussi je m’en tiendrai à quelques remarques concises. Un des arguments pour dénigrer l’anticapitalisme et lui substituer l’antiproductivisme, que ce soit de la part des zélateurs de la décroissance ou d’autres écologistes, c’est de dire que les catastrophes environnementales n’ont pas été l’apanage du seul capitalisme et que l’URSS a largement fourni son lot de catastrophes. Le constat est vrai. Le problème c’est de ne pas chercher à en comprendre les causes.
Le caractère bureaucratique, non démocratique, de la planification et de l’industrialisation, qui commencent véritablement à la fin des années 20, soulèvent des problèmes sociaux en reproduisant une forme d’exploitation dans le travail, en n’évacuant pas le despotisme d’usine, et en reproduisant pour partie le modèle fordiste du travail à la chaîne.
Un problème se pose de façon similaire pour l’environnement qui n’est perçu que comme matière première nécessaire à la production. Staline, en instaurant « le socialisme dans un seul pays », intègre l’URSS dans la compétition économique mondiale. Mais l’économique prend un tournant politique et idéologique car il est utilisé pour démontrer que les pays socialistes peuvent faire mieux que les pays capitalistes, mais en se situant par rapport à des critères capitalistes. En ce sens, l’économie soviétique reproduit la loi de la valeur capitaliste et ne peut la subvertir. Cette analyse de l’URSS est donc nécessaire à plus d’un titre. D’une part pour éclairer les controverses passée sur l’analyse de ces pays : ni états ouvriers dégénérés, ni capitalisme d’Etat, qui sont des catégories trop pures pour décrire des situations qui, empruntant à différents modèles, ont créé des choses inédites et inattendues dont beaucoup d’analystes ont eu du mal à se saisir. D’autre part pour préciser ce qu’on entend par productivisme, ses rapports avec le capitalisme et la loi de la valeur. Enfin, pour mettre en garde contre toute idée de changement social réduite à un changement de propriété des moyens de production.