- Critique communiste : Comment vois-tu la représentation du monde du travail dans les institutions ?
Claire Villiers : D’abord, c’est une évidence mais on ne dit plus jamais, les assemblées sont très majoritairement constituées de professions libérales, de commerçants, de dirigeants d’entreprise ou au mieux de fonctionnaires. C’est le cas de l’assemblée régionale, pourtant élue à la proportionnelle. On a souligné pendant la campagne électorale l’importance que les « minorités visibles » soient présentes dans les assemblées, cela signifiait qu’il fallait diversifier les couleurs. Ce qui est une vraie exigence. Mais il y a une autre diversité qui est absente de la composition des assemblées, c’est la diversité sociale. Si on pense que l’existence détermine la conscience, il y a une moindre prise en compte de ce qui se passe dans les catégories populaires du point de vue de ses pratiques culturelles, de ce qui constitue ses intérêts, de son niveau de vie, de ses urgences, de ses exigences, parce que la majorité des élus ne sont pas de ce monde-là. Il y a quelques militants syndicalistes de la FSU il y a encore pas mal d’enseignants élus), mais quasiment pas de syndicalistes d’autres secteurs dans ces assemblées. Comment régler cette question ? Il faudrait avoir un volontarisme politique. Par exemple, nous avons créé un conseil régional des jeunes ; nous avons fait un appel à des candidatures (il y en eu 1800) parmi lesquelles nous avons effectué un tirage au sort (un peu à l’image des jurés d’assises) en fonction du sexe pour avoie une parité, du lieu de résidence pour avoir tous les départements et de la « catégorie professionnelle » : on a créé 6 catégories, lycéens classiques, les lycéens professionnels, les apprentis, les chômeurs, les jeunes en formation et les étudiants. Et quand tu rentres dans l’hémicycle du conseil des jeunes, les couleurs sont là, et elles sont bien entendu extrêmement liées à l’appartenance sociale. Au CRJ il y a même des jeunes « sans papiers » ! Mais pour que ces jeunes puissent réellement exercer leur mandat, il aurait fallu que nous leur donnions beaucoup plus de formation... ce que sait tout militant ! Il a fallu en convaincre les autres élus : certains ne pensaient sans doute pas aller au delà d’une sorte « d’affichage » pseudo démocratique ! Mais cette composition du CRJ est incomplète s’il n’y a pas un travail constant aec les organisations associatives, syndicales, politiques de la jeunesse. C’est ce mixage qui pourrait à mon avis être producteur de propositions, mais aussi de luttes ! Nous allons faire mieux dans le prochain mandat. Qu’est-ce que c’est que l’universalisme républicain ? D’une certaine manière, tout le mode de représentation est construit sur la conception de 1789, c’est-à-dire la République est une et indivisible, et les citoyens naissent libres et égaux en droit. D’abord les gens ne naissent pas libres et égaux en droit, c’est connu. Deuxièmement, les identités existent, et il n’y a pas un citoyen hors sol. Les citoyens et les citoyennes ne sont pas indépendants de leur appartenance sociale, de leur histoire culturelle, familiale, professionnelle, etc., ils ne sont pas indépendants de leurs métiers, de ce qu’ils font, de leur histoire politique, de leurs opinions. Pour moi « les citoyens », c’est une catégorie qui n’existe pas, un truc interclassiste qui est suspendu en l’air. L’universalisme républicain, qui prétend qu’au nom de cette catégorie supérieure que serait la république universelle, il peut représenter tout le monde, me paraît une idée illusoire voire dangereuse. Il faut avoir le souci de représenter tout le monde.
- Critique communiste : Pour me faire un peu l’avocat du diable, le mouvement ouvrier considère que c’est de sa propre responsabilité de représenter les groupes sociaux qu’il défend. Le mouvement ouvrier dit « je veux être reconnu, les ouvriers sont des citoyens comme les autres et doivent être reconnus comme les autres et pouvoir participer au débat politique ».
Claire Villiers : Évidemment, tout le monde doit pouvoir parler pour tout le monde. On ne peut pas imaginer une assemblée où des ouvriers ne parleraient que pour les ouvriers. Mais s’il n’y a pas des mécanismes structurels de vérification que tu parles bien au nom des intérêts généraux, cela n’existe pas. Je prends l’exemple de l’UNEDIC : les organisations syndicales qui négocient prétendent parler au nom des salariés, des chômeurs alors qu’elles n’en organisent absolument pas ou très peu pour la CGT. On a vu ce qu’il en était. On ne peut pas dénier à des organisations considérées comme représentatives le fait de parler pas seulement pour leurs adhérents, mais au nom d’intérêts plus larges. Cela n’empêche pas qu’il y ait des moments où il y ait vérification. Et cette vérification, ce sont les élections. Il devrait y avoir des élections à la sécu, à l’UNEDIC, des référendums de représentativité pour que de temps en temps, les salariés, la population disent ce qu’ils pensent. Il y a des moments où la population est amenée à dire : voilà quels sont les rapports de force. Il n’y a pas ces moments dans le mouvement ouvrier, et ça ce n’est pas normal. Parce qu’il est censé représenter les intérêts de classe des salariés, il est censé ne pas avoir de différence. Et bien ce n’est pas vrai. Entre ce que défendent la CGT et la CFDT à l’UNEDIC, il y a des divergences.
- Critique communiste : La représentation, au sein du mouvement ouvrier, dans le syndicalisme mais aussi au sein des partis politiques, des différents groupes sociaux, a toujours été une représentation différenciée et inégalitaire. Des groupes sociaux parlent au nom des autres, les ouvriers professionnels parlent pour les OS, les grandes entreprises pour l’ensemble des entreprises, les salariés pour les chômeurs etc., au nom d’une unification du sujet ouvrier autour des groupes dominants dans le rapport de force. La citoyenneté questionne le mouvement ouvrier sur sa représentation des groupes sociaux. Elle donne une voix égale aux femmes comme aux hommes, aux OS comme aux OP. La double représentation, par la citoyenneté d’un côté, par le syndicalisme de l’autre, permet de compenser ces aspects inégalitaires.
Claire Villiers : Ce qui fait l’originalité du mouvement ouvrier, c’est sa place dans le processus de travail. Cette représentation du travail n’existe pas dans les institutions, la propriété est privée, et donc extérieure au processus démocratique tel que nous le connaissons. On s’en occupe par le biais d’une loi qui va concerner le Code du travail, mais les modes de gestion de la main d’oeuvre, ce qui se passe dans le travail, le débat sur « qu’est-ce qu’on produit », échappe totalement au débat politique. Cela aurait pu être le cas dans les Comités d’entreprise, mais personne ne discute jamais de ça. La représentation politique, citoyenne, universelle, devrait à mon avis, avoir une double légitimité : la légitimité de la résidence, tu habites à un endroit, et celle du travail, tu travailles à un autre endroit. On pourrait réfléchir à un conseil municipal où tu aurais deux collèges, un collège représentant ceux qui habitent, et un collège qui représente ceux qui travaillent dans la commune. Le territoire prendrait une tout autre dimension. On discuterait ensemble aménagement du territoire, transport, implantation d’entreprise, finalité de ce qu’on produit sur la commune... Faire rentrer le politique par le biais de personnes dont la légitimité politique vient par leur insertion dans le travail, et pas seulement par la résidence, changerait notablement les choses. Cela n’aborde pas la propriété privée, cette question reste absolument centrale, mais une deuxième chambre ne l’abolit pas plus. Il faut imposer qu’il y ait une prise de pouvoir collective et politique sur la totalité de ce qui fait la vie des individus. Je ne suis pas sûre que les organisations syndicales aient cette fonction, cette aptitude d’être ces représentants dans le champ politique. Il faudrait mélanger ce débat avec l’actualité de l’autogestion : comment on reconstruit une prise de pouvoir des citoyens, au travail, sur les transports. Comment on se donne du pouvoir, plus que la prise de pouvoir, sur tout ce qu’on fait, sur sa vie, sur la manière dont on rend le service public. Mais pas avec la version autogestionnaire trop rigide, qui par exemple confierait aux seuls salariés d’Edf le choix de la bonne stratégie pour la production d’énergie, mais un triptyque associant les salariés, la population et les élus. Il faut réfléchir sur deux piliers, les assemblées et l’autogestion.
Il faut reposer cette question du pouvoir. On est dans cette démarche de construire un projet pour aller en convaincre nos semblables, on est candidats pour mettre en oeuvre ce projet, et on dit : « donnez nous la capacité de le faire ». Si on en reste là, à mon avis on est plantés. Pour prendre un exemple, on a bâti le Schéma Directeur d’Ile de France (SDRIF). Il fixe à trente ans les grands choix, en matière d’infrastructures, de services publics, les universités, les grosses implantations de bureaux, d’entreprise, les grosses implantations d’habitat. Il recouvre donc des questions de transport, d’écologie, de répartition d’emplois, de répartition de la ville, de lutte contre les inégalités, etc. Au début de la mandature, on s’est rendu compte que le schéma directeur précédent, qui datait de 1994, était un schéma qui portait très profondément le rééquilibrage des inégalités entre l’est et l’ouest, c’est à dire entre la Défense et le 93. Mais ces bonnes préconisations n’ont pas été appliquées, puisqu’il n’y a eu aucune mobilisation. C’est l’Etat qui en avait pris la décision, et toutes les collectivités avaient voté contre puisqu’elles n’avaient pas été consultées... Au début de ce mandat, nous avons soutenu l’idée qu’il faut un schéma réducteur des inégalités, et il faut donc que toute la population, dans sa diversité, avec les catégories populaires qui sont majoritaires, s’en empare et que les priorités soient celles construites par les gens, qu’ils auront envie de défendre. J’avais donc proposé qu’on fasse 2000 débats en Idf, dans les boîtes, dans les quartiers, et qu’à partir de là les urbanistes fassent le schéma directeur. Ce qui a été arrêté, c’est une très grosse concertation, mais assez institutionnelle. Les syndicalistes sont peu venu, parce que structurer l’espace, aujourd’hui, n’intéresse que peu les syndicats, mais il y a eu beaucoup de militants associatifs, écologistes, quantité d’élus en tous genres, ainsi que le MEDEF, les chambres de commerce. Extrêmement peu de femmes ont pris part aux débats, même si elles étaient présentes dans les réunions. On avait nous même fait une réunion le 8 mars, sur « Femmes et aménagement du territoire », mais les femmes ne pouvaient s’emparer de cette question qu’en partant des besoins, et comme ce n’était pas la démarche générale choisie, elles étaient en dehors de la discussion. Il a manqué une volonté politique par rapport à la construction de ce schéma. Ce schéma est en ce moment soumis à enquête publique . Les choix assez drastiques de rééquilibrage entre l’est et l’ouest ne conviennent absolument pas en particulier au Président de la République, récemment encore président du conseil général des Hauts de Seine. Sarkozy vient de faire un discours très important, où il explique, concernant l’Ile de France, qu’il n’y a pas d’ambition, qu’on n’a pas pris la mesure de la compétitivité internationale, que l’Idf devait être la première place financière d’Europe. Donc l’Etat veut s’emparer de cette affaire. Il n’y a pas de mobilisation de la population, elle ne sait pas ce qu’est le schéma directeur alors que c’est le quotidien. Donc, ce qui risque de se passer, comme pour n’importe quelle négociation, c’est que le Président du CR, qui veut avec raison un schéma directeur, va négocier avec Sarkozy, le MEDEF, les chambres de commerce, mais sans rapport de force.
Aujourd’hui, après trois ans à la région Idf, et en particulier à l’Exécutif, je pense que le rôle des élus est de tout mettre en oeuvre pour que les priorités du programme, sur lequel ils ont été élus, puissent être appropriées par la population, les salariés. Ils doivent aider à ce que les rapports de force puissent se construire de manière à ce qu’on puisse changer les priorités.
- Critique communiste : Comment mobiliser, alors que les enjeux paraissent éloignés pour la population. Cet échelon régional est très lointain, et pour le coup très institutionnel.
Claire Villiers : Oui. Mais le Conseil régional pouvait organiser des débats, faire des films, utiliser tout ce qui est possible pour faire du débat populaire. Par exemple, décider qu’il y a des consultations. Quand tu veux que la population se mobilise, qu’elle participe, que tu veux lui demander son avis, tu peux prendre des moyens. Même si il n’y avait que 30 % de la population qui participe, tu aurais eu un plus en conscience, un plus en débat. Pour le TCE, qui aurait dit qu’il y aurait une participation aussi importante, si on n’avait pas fait ce travail de fourmis hallucinant de milliers de débats dans les quartiers... La région a un journal, publié à 4 millions d’exemplaires, ce qui en fait le plus gros tirage de France. Ce conflit avec la Président de la République, relève d’un choix entre inégalité ou égalité, un choix de classe. Tu peux décider de faire un numéro spécial de ton journal, qu tu fais distribuer partout, que tous les militants pussent lire, avec des forums partout, une mobilisation générale sur le thème « Ils ont décidé d’amplifier encore les inégalités »... cela suppose que tu es élu dans une institution, et tu utilises les moyens que te donne l’institution pour la mobilisation de la population. Ce n’est pas parce qu’on est élu au CR, et qu’on est majoritaire dans le cadre du compromis avec le PS, qu’on aurait le pouvoir. Le pouvoir n’est pas là. On a le pouvoir, que nous donne l’institution, de mobiliser la population. Nous ne voulons pas exercer le pouvoir au nom de la population, il faut donc travailler à ce qu’il y ait peu à peu de la capacité collective à exercer des morceaux de pouvoir. Etre responsable de la démocratie régionale, c’est utiliser les outils, soit ceux qui existent, soit ceux que je crée, pour que les citoyens s’organisent collectivement. La démocratie, cela ne peut pas être seulement les citoyens face aux élus. Autrement, ce sont ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. Les gens organisés, soit syndicalement, soit associativement, construisent de l’opinion, de la pensée collective. Il faut penser des outils pour que peu à peu, tous ceux qui dans la région sont des activateurs de pensée, de lien social, de prise de pouvoir, d’invention, de créativité, puissent le faire. Et mon boulot, c’est de leur donner les moyens de le faire. Repérer qui ils sont, repérer les problèmes qu’ils posent et offrir les moyens qu’ils se mettent en synergie, qu’il y ait de la mutualisation de ce qui se fait, pour que cela construise du rapport de force.
J’ai beaucoup évolué. Quand j’étais candidate sur cette liste, c’était pour imposer d’autres priorités. On a réussi à imposer de petites choses, même dans une alliance avec le PS dans l’état où il est, on a fait les transports gratuits pour les RMIstes, et 75 % pour les autres minima sociaux, et on est loin du compte puisque l’engagement, c’était transport gratuit pour les chômeurs et les précaires. Mais il n’y a pas eu de mobilisation sur cette question. La question qu’on ne sait pas traiter dans ce domaine, c’est la question des recettes. Tu es dans une logique de contraintes. Il faut bouger les contraintes. Tu as un budget, tu discutes sur la répartition du budget, les arbitrages entre les transports, les lycées... Mais la deuxième question, c’est comment tu vas piquer le fric là où il est. Dans notre programme, on avait mis des trucs impossibles. Par exemple, on avait défendu l’idée d’une zone unique de tarification, quel que soit le lieu d’habitation, conçue comme une étape vers la gratuité totale. Et dans l’immédiat, gratuité totale pour les chômeurs et précaires. Mais pour cela, il faut récupérer le FARIF, une taxe payée par les entreprises sur les grandes surfaces, les surfaces de bureau de parking, et augmenter le versement transport des entreprises. La Région a récupéré la responsabilité des transports, mais n’a pas récupéré le FARIF. Sur les recettes, la Région ne peut pas jouer, puisque c’est à l’Etat de décider de remettre le FARIF à la Région, et d’augmenter la taxe transport. Il y a une dimension contradictoire : on a une région où les écologistes sont assez forts, mais les recettes de l’Idf sont fondées sur la PIPP (taxes sur l’essence), les cartes grises, une partie de la taxe professionnelle et des taxes foncières.
Tu es candidat sur un programme, avec le transport gratuit, des lycées partout, etc. mais sur une collectivité, tu n’as pas les moyens de te donner les moyens. Et c’est une vraie interrogation. C’est pareil sur les communes, tu te dotes d’un programme, et après tu as de vraies contraintes budgétaires.
- Critique communiste : Jusqu’à quel point le CR peut-il imposer des décisions aux entreprises, sur l’implantation, l’emploi ?
Claire Villiers : Tu décides des zones habitables, des zones d’emploi, des grandes infrastructures, de la logistique. Tu as un pouvoir de décision, et c’est pour ça que les chambres de Commerce ont voté contre ce schéma directeur, parce que c’était un schéma dont le parti pris est d’arrêter d’étendre cetterégion, qui devient une région « mitée ». Ce schéma propose de concentrer l’habitat et de préserver les couloirs naturels. Il faut construire la ville sur la ville. La densité d’une ville comme Gennevilliers, malgré ses grandes barres, est nulle par rapport à une ville comme Paris. Tu peux faire des bâtiments moins hauts, beaucoup plus denses au sol, beaucoup plus vivables. La question de la densité n’est pas liée à la hauteur. Des styles d’urbanismes le permettent. Construire la ville sur la ville, c’est arrêter d’envoyer les gens vivre à l’autre bout, parce qu’après, les gens ont des heures de transports... Et la Seine et Marne, après, veut des routes, des écoles, mais il y a peu de gens, donc peu de service public, tu ne peux pas faire des transports partout... C’est une réflexion très intéressante. C’est un débat avec celui qui dit : je veux ma maison avec mon jardin. Dans une région comme l’Idf, c’est impossible, tu ne peux pas donner des jardins individuels à tout le monde, par contre tu peux faire des immeubles avec une terrasse pour tout le monde, en empilant intelligemment, comme à Ivry...
- Critique communiste : Pour revenir sur les entreprises, comment imposer aux entreprises le maintien de l’emploi par exemple...
Claire Villiers : Il n’y a aucune compétence réelle en matière de développement économique. On peut seulement imposer les zones où il y aura des entreprises et les zones où il n’y en aura pas, avec les infrastructures, on ne peut faire qu’un travail de conviction auprès des entreprises. Les aides aux entreprises, comme à EADS, contre lesquelles se mobilisent les camarades de la LCR, représentent un volume très restreint. On les a votées dans le cadre de la solidarité « gouvernementale », mais par an le budget de la délégation développement économique cela représente 70 millions sur un budget de 4 milliards. Je pense qu’il y aurait un champ de travail pour les militants de la gauche « radicale » que nous n’occupons quasiment pas, et c’est bien dommage.
- Critique communiste : Tu interviens sur les associations ?
Claire Villiers : Ma délégation s’intitule « démocratie régionale et vie associative ». Il y a dans la région une vie associative absolument considérable. Il y a de tout évidemment, des boulistes, ligues de Handball, etc. Ma première remarque, c’est que, bien que venant personnellement du mouvement social, on ignore les 4/5 de ce qui se fait. Un nombre important d’associations, dans les quartiers, sont animées majoritairement par les femmes. Si les quartiers n’explosent pas plus, c’est parce que les femmes tissent au jour le jour le lien social : soutien scolaire, alphabétisation, etc. Il faut regarder aussi qualitativement : 60% du secteur est structuré dans les grand réseaux, qu’on connaît assez mal, comme la Ligue de l’Enseignement, Léo Lagrange. Ces gros réseaux drainent un argent considérable à partir des subventions d’Etat et des services qu’ils vendent, et sont de vraies puissances économiques. Si on prend tout ce qui n’est pas purement capitalistique, ce qui ne veut pas dire qu’il n’est pas en concurrence et ne fonctionne pas de façon quasiment identique au secteur privé, le secteur associatif, le secteur mutualiste, le secteur coopératif, plus le service public, ces endroits tiennent les trois quarts du secteur des services. Mais on n’y intervient pas comme militant politique. On devrait s’interroger : s’il n’est pas soumis à des actionnaires, pourquoi est-ce qu’on n’organise pas ce secteur différemment, pourquoi est-ce qu’il n’y a pas plus de démocratie, pourquoi les choix ne sont pas différents. Et à côté, il y a 40% qui sont de petites associations, qui font plein de choses. Elles font beaucoup d’éducation populaire, un travail de réseau, de proximité. Elles sont animées par des militants qui peuvent être par ailleurs des militants syndicaux, mais c’est très rare que des militants syndicaux alimentent leur pratique syndicale de ce qu’ils font dans les associations. Leur côté transformation sociale radicale a complètement disparu. Même le côté transformation sociale de la société, quelques fois tu le cherches. Elles sont beaucoup cantonnées dans les interstices de ce que le service public ne fait plus, dans la sous-traitance, de la recherche de créneaux pour perpétuer une activité. Et du coup, tu as une espèce d’épuisement, d’éparpillement qui m’a frappée. J’ai essayé de voir comment construire des mises en réseau, des centres de ressources, des mises en synergie. Beaucoup d’associations font des choses remarquables dans les quartiers, mais arrêtent parce que l’Etat a supprimé les subventions, en disant que c’est à la Région de faire, mais la Région n’a pas les fonds, ou fait d’autres choix. Il faut s’interroger politiquement : comment on peut remettre dans le pot commun de la lutte de classe tous ces gens qui font de la transformation sociale au quotidien, mais qui ne l’y inscrivent pas, à part de très rares moments quand dans les grandes batailles sur la sécu par exemple, où se mobilisent des tas d’associations. C’est une interrogation essentielle.
Deuxième question, il y a un enjeu considérable à revitaliser tout le secteur de l’éducation populaire vers la construction d’une conscience critique, une conscience de classe, l’intégrer dans la construction du rapport de force. J’aimerais construire des projets qui associeraient associations de quartier, syndicalistes. Attac a réussi en partie ce projet-là sur son objet particulier. Mais il faudrait le faire sur la totalité des choses. Sur la TVA sociale, par exemple, si on arrivait à recréer des réseaux qui produiraient du matériel, des pièces de théâtres, des films...
Etre élue conseil régional est un outil pour que le rapport de force se construise avec plus de gens. Ceux qui aujourd’hui portent la construction du rapport de force de classe, les syndicalistes, les militants politiques, et quelques réseaux associatifs, représentent trop peu de gens. J’ai constaté qu’il y a une très grande disponibilité. Par exemple, énormément de jeunes, ou de chômeurs longue durée aussi, ont l’intention de vouloir créer leur boite. Au lieu de les regarder sur le mode « petits bourgeois », il faudrait, comme en Argentine, dire que c’est de l’auto-organisation. Et intégrer ça dans un processus de construction de rapport de force.
- Critique communiste : Ce lien avec les associations, on l’avait réussi au moment des forums sociaux, où, au niveau de villes, des découvertes mutuelles dans un projet collectif.
Claire Villiers : Il y a une coupure très grande entre ces militants associatifs et les syndicalistes. Peut-être la formule des forums sociaux est-elle à relancer. On a un problème stratégique qui est dramatique. Les questions de société, l’écologie sont trop peu posées par les syndicalistes dans le cadre de leur pratique revendicative quotidienne. Lorsque je dis cela ce n’est pas un jugement : on connaît les difficultés de l’action syndicale dans les entreprises. Je suis totalement convaincue que si le syndicalisme ne retrouve pas plus de vigueur et d’implantation, s’il ne se réimplante pas au niveau interprofessionnel, il ne reprendra pas l’offensive. Parce qu’autrement, on va avoir une rétractation supplémentaire sur les entreprises encore structurées, et encore sur les entreprises à statut... et cela ne répond en aucun cas à la mobilité imposée. Cela ne peut changer que s’il y a une réimplantation interprofessionnelle qui était une spécialité du syndicalisme français, qui va avec un projet de transformation sociale. C’est un des enjeux des années à venir.
Par exemple, on avait dit quand on avait fait AC !, qu’il faudrait qu’il y ait des endroits, comme une maison des syndicats et des associations, qui traiterait tout à la fois permanences juridiques, surendettement, résistance aux expulsions de loyers, droit par rapport au chômage. Les gens qui sont dans des situations précaires, ont tous les problèmes à la fois. Ce que la CGT chômeurs avait très bien vu à Marseille. Et ça, il n’y a qu’avec une implantation territoriale que tu peux y répondre. Les gens ne peuvent s’organiser que dans la durée. Or aujourd’hui, il faut absolument substituer à la durée du contrat de travail que tu n’as plus ou moins, la durée d’une implantation qui peut être une implantation locale. Où tu mélangeras la diversité de ce que tu fais sur un territoire. Des gens qui vivent, des gens qui travaillent. Il faut réinjecter dans les logiques politiques, dans les logiques de territorialisation, des logiques liées au travail, et au travail dans la diversité de ses statuts. Intégrer des logiques artisanales, des logiques de petits commerçants, des coopératives, des associations, qui ont quelque chose à voir avec le travail, et des logiques salariées classiques. Tout ça est le grand point aveugle aujourd’hui. Le syndicalisme a de moins en moins de projet de transformation sociale, il n’est plus structuré au niveau interprofessionnel. Quand je compare avec les années 1960, c’était le contraire. Il y avait une prédominance absolue du syndicalisme sur l’ensemble du champ social, tout le reste n’était que de l’associatif inféodé aux partis politiques. Aujourd’hui, c’est une inversion. Le syndicalisme est cantonné entre les murs de l’entreprise au mieux, est considéré comme archaïque, n’ayant plus de capacité de transformation sociale, ce qui est le résultat aussi d’une bataille idéologique et de la crise. Ce qui est considéré comme étant porteur de la transformation sociale, c’est justement le mouvement associatif ou les ONG. Par mon expérience syndicale CFDT des années 1975 – 1980, j’avais ce sentiment que l’interprofessionnel était capable de traiter du féminisme, des immigrés, de ce qui se passait dans les boites (les dégâts du progrès). Pour moi, un des enjeux à venir, c’est comment on pourrait réunifier la conscience, la réflexion, l’action de la totalité de la vie des gens. Qu’il n’y ait pas de case. Dans les conseils de quartier du XIIIe arrondissement animés par un camarade des Alternatifs, participent les syndicalistes de la Pitié-Salpétrière, qui représente une grosse part du territoire du XIIIe. Et cela change tout sur le quartier. Pendant les révoltes de 2005, je n’ai pas vu beaucoup quelles discussions il y a eu dans des quartiers entre des jeunes, des associations très présentes, et des syndicalistes. Mais il y en a ! Dans ces quartiers il existe des services publics, des entreprises. Et quand on disait que l’école, le gymnase, ou la bibliothèque ont été incendiés... C’est une interpellation du syndicalisme : l’expérience professionnelle a quelque chose à dire sur toute la société. Elle n’est pas cantonnée aux murs de l’entreprise et à l’exercice professionnel. Dans les fameux projets citoyens que je soutiens [1], je rêve d’avoir sur des territoires des projets qui soient co-construits par des syndicalistes d’une entreprise ou de plusieurs, des associations, des services publics.
- Critique communiste : Une question importante dans le conseil régional, c’est ta participation à l’exécutif avec le PS.
Claire Villiers : C’est un choix que le groupe CACR [2] a fait après les élections. Et les élus Alternative Citoyenne l’ont partagé. Si on s’en tient au strict contour de ce que comporte la solidarité de l’Exécutif, il ne faut pas être dans l’Exécutif. Il y a plein de choses que fait cet Exécutif que je ne partage pas. Je reste néanmoins très partagée.
- Critique communiste : Sur quoi porte le désaccord ? Sur les subventions aux entreprises ?
Claire Villiers : Tu peux avoir ça, mais plein d’autres choses. Plus que les concrétisations, c’est sur la conception de l’ambition. Comme je disais, on pourrait avoir une ambition bien plus importante en termes de transformation sociale et de construction des rapports de force. Cette ambition, je ne la sens pas portée ni par le Président, ni par la totalité de l’exécutif. On fait beaucoup trop de la gestion. Il existe une priorité de lutte contre les inégalités, les choix sur le logement sont intéressants, de même en terme d’action sociale et de lutte contre les discriminations, de coopérations internationales. La politique de la Région Idf n’est absolument pas la politique que mènerait l’UMP. On vérifie quand on est à cet endroit que la droite et la gauche, ce n’est pas pareil. C’est une évidence. Mais si notre projet est un projet de subversion des institutions de ce système et des pouvoirs tels qu’ils sont exercés aujourd’hui dans le capitalisme, évidemment, on pourrait faire bien autre chose. Comment des militants critiques, révolutionnaires, radicaux pourraient être dans ce genre d’endroit ? On ne sait pas travailler les contradictions, de ceux qu’on ne peut pas appeler nos adversaires, mais... Je suis toujours aussi perplexe. D’une certaine manière, la place dans cet exécutif est le résultat d’un rapport de force, et ce que j’y fais, les associations qui sont subventionnées, les initiatives qu’on prend en termes de démocratie régionale, ce qu’on va construire d’éducation populaire, je pense que personne d’autre que moi ne l’aurait fait. Je n’ai pas une délégation révolutionnaire, j’ai une délégation qui permet que vivent les associations, y compris celles du mouvement critique et radical. Est-ce que cela suffit à justifier ma place dans l’Exécutif, je ne sais pas.
- Critique communiste : Derrière, il y a une caution qui est apportée à l’absence de transformation sociale, et à l’illusion qu’on arrive, par cette place dans l’institution, à créer des « morceaux de pouvoir ».
Claire Villiers : Il ne faut avoir aucune illusion. Ma présence ne donne pas caution à quoi que ce soit. Pour pouvoir faire ce que je fais, je ferme ma gueule sur un certain nombre de choses. Le danger, c’est que dans une institution comme celle-là, chacun travaille sur son secteur. On a extrêmement peu de temps pour travailler sur tout. Le copain sur la culture fait la culture, moi je fais les associations, mais je mène sur les associations une stratégie qui est totalement différente de celle d’un autre qui est aussi sur ce secteur. Ce sont des stratégies qui cohabitent. C’est l’effet du rapport de force. Personne n’essaie de savoir qui a raison. Le jour où ils décident que ce que je fais les gêne vraiment, ils me virent. Quand tu débarques dans un endroit comme ça, tu n’y comprends rien, d’abord parce que tu n’as jamais été élu. Dans un premier temps, tu essaies de faire ton trou, et tu fermes ta gueule. La distance entre ce que nous pensons, stratégiquement, et la réalité de ces institutions est considérable.
- Critique communiste : Peut-être que cela prend plus de sens avec un parti autour, un projet collectif. Cela renvoie au projet de CCAG.
Claire Villiers : Absolument. Le contexte très particulier dans lequel on a été élus aurait eu beaucoup plus de sens si on avait réussi la candidature unitaire, et si on avait progressé dans la mise en synergie d’une gauche de gauche. Les pièces du puzzle se seraient empilées. On est resté là à mi-chemin, et les socialistes savent très bien qu’on n’a pas le rapport de force.
- Critique communiste : N’est-ce pas aussi la capacité d’avoir un discours autonome qui est en cause ?
Claire Villiers : Jusqu’à présent, on avait fait le choix d’être dans le groupe Communiste et Républicains. Ce qui nous manque c’est de raconter ce qu’on fait, les problèmes que ça pose, et d’en faire un objet de travail collectif . On va mettre en service un blog des élus Alternative Citoyenne à la région pour poser toutes ces questions, les mettre en débat . Dans les associations, les gens me disent : « heureusement que tu es là », ou bien « c’est possible qu’il y ait des élus comme ça ». Les gens se le racontent, mais tant que cela ne sort pas sur l’extérieur, cela ne change pas le rapport de force. Où est-ce qu’il faut mettre son énergie ? Dans les trois ans qu’il nous reste de ce mandat, qu’est-ce qu’on doit faire pour rendre mieux compte et que cela produise ce qu’on voulait faire ?
- Critique communiste : Est-ce que cela peut être un point d’appui pour un pôle antilibéral ? Un point d’élaboration, pour porter des propositions à tous les niveaux ?
Claire Villiers : Le pôle antilibéral ne se préoccupe pas vraiment de la région Idf. Il n’est pas sur ces questions là. Il y a là une césure absolue. Les élus interviennent sur un champ qui n’est pas le champ de la mobilisation. Est-ce que les camarades se sont intéressés au schéma directeur, aux transports, au futur de l’Idf ? Non, ils s‘intéressent aux grandes questions générales, à la Sécu, toutes choses qui ne sont pas de la compétence de cette collectivité. Ce ne serait pas pareil sur les députés, où tu fais directement de la politique. Un autre exemple, les démolitions / reconstructions. Les démolitions avec le manque de logements qu’on a, je suis absolument contre. Il y a là un enjeu de classe. Est-ce que tu as vu beaucoup de nos réseaux branchés sur cette affaire ? Le DAL oui. On est branchés, sur RESF... Mais peu de gens se mobilisent sur ces démolitions, à part des copains de la Ligue, peut-être parce qu’ils sont élus municipaux... Et pourtant, la politique ne s’occupe que de ça. Quelle pratique comme élus pour subvertir. On a explosé notre processus unitaire sur des questions d’élection, alors que toute notre pratique sociale, politique n’est pas là-dessus. Avoir des élus locaux pour quoi faire ? C’est un boulot chronophage à un point dramatique. Comme élu, dans une municipalité, tu reçois des dossiers sur le souterrain machin, sur le passage de marché pour telles tâches. Et en plus, les débats que tu as avec la population pour ce combat, sont minimes. Il y a des grands enjeux d’égalités, évidemment, mais est-ce que cela se traite dans une commune ? Réfléchissons, on a X militants dans le mouvement ouvrier, quelle est la priorité face à Sarkozy ? Aujourd’hui, je mettrais mon énergie à deux endroits, au-delà de toutes les campagnes nécessaires à mener : d’une part, la construction d’un syndicalisme interprofessionnel, et d’autre part l’éducation populaire, la conscientisation partout. Les gens ne comprennent rien comment fonctionne le monde. Il faut inventer des outils. Il faut voir comment par exemple la théologie de la Libération, le mouvement populaire, se sont construits en Amérique Latine. Pendant 10 ans, faire ça partout.