
Nous sommes scénaristes professionnel·le·s. Nous écrivons, ou co-écrivons, les histoires que vous voyez portées à l’écran. Nous sommes à la fois des artistes et des artisans. Sans nous, pas de films, de téléfilms, de séries, de dessins animés. Nous sommes à la base de toute une chaîne artistique et économique qui fait vivre des milliers de personnes.
Or, la solidité d’une chaîne dépend de celle de son maillon le plus faible. Aujourd’hui, ce maillon, qui risque de se briser, est celui de l’écriture. Nous, scénaristes, sommes arrivé·e·s au point de rupture dans ce système qui nous écrase tous les jours plus durement et plus injustement.
Nous avons décidé de dénoncer publiquement les abus systémiques dont nous sommes victimes au quotidien en créant « Paroles de scénaristes » sur Facebook. Ce sont aujourd’hui plus de cent cinquante témoignages qui racontent des conditions de travail indignes et dégradantes. Des histoires d’invisibilisation, de travail gratuit, de précarité financière, d’abus de pouvoirs, de réappropriation de notre travail. Des histoires inimaginables pour le grand public et pour l’instant malheureusement accueillies par un silence assourdissant de la part de l’ensemble du secteur.
Il est urgent que cela change.
Nous ne voulons plus subir et être réduit·e·s au statut d’épouses soumises des années 1950 : sans nom, ni protection sociale, juste bonnes à mettre les autres maillons de la chaîne en lumière. Nous n’acceptons plus que notre rôle soit minimisé comme il l’est depuis la Nouvelle Vague. On dit que les scénaristes aident les réalisateur·trices à accoucher de leurs œuvres : nous ne sommes pas des sages-femmes ! L’œuvre ne préexiste pas à notre travail. Nous sommes co-créateur·trices. La vague est passée : elle était belle mais elle n’est plus nouvelle. Elle est poussiéreuse.
Nous appelons les pouvoirs publics à cesser d’ignorer les appels au secours que nous leur adressons depuis des années, à cesser aussi d’enterrer les nombreux rapports ministériels qui alertent les uns après les autres sur l’état épouvantable de l’écriture en France. L’État doit nous donner les moyens de correctement nous défendre pour sortir de ce statut d’esclaves modernes, sans chômage ni congés payés, payant des charges mais sans droit à une protection sociale digne de ce nom.
La France ne peut plus rester un des pays où les crédits alloués à l’écriture sont les plus faibles, entre 1 % et 3 % du budget d’une œuvre, contre 10 % à 15 % aux États-Unis pour le cinéma. Il est urgent d’encadrer l’écriture avec des rémunérations minimales.
Dans les pays anglo-saxons, les accords collectifs qui encadrent l’écriture font six cents pages et sont renégociés tous les trois ans. En France, cet accord fait seulement quatre pages pour la télévision et ne s’applique pas à l’animation ou au cinéma. Cela a des conséquences. Dans nos productions, les réalisateur·trices, acteur·trices, producteur·trices et autres, ne cessent de se servir arbitrairement et impunément sur le budget alloué au scénario, dépossédant ainsi les scénaristes d’une partie de leur maigre rémunération. Faire des commentaires sur un texte, changer trois dialogues ou déplacer quelques scènes ne doit plus donner le droit de se déclarer co-scénariste. Un scénario, ce sont des mois, souvent des années de travail pour conceptualiser, mettre en place les thèmes et les univers, imaginer puis structurer le récit, les personnages, les dialogues. Il faut arrêter avec le mythe de l’auteur qui écrit un texte en regardant par la fenêtre, touché par la grâce.
Nous appelons la presse à reconnaître enfin notre statut de co-créateur·trices en cessant de nous invisibiliser. Nous voulons être associé·e·s aux œuvres, cité·e·s, interviewé·e·s et cesser d’être effacé·e·s derrière « un film de… » ou « une série de… ».
Nous appelons Roselyne Bachelot, notre ministre de la Culture, à mettre en place les États généraux du scénario. Et nous appelons les actrices et acteurs, réalisateurs et réalisatrices, productrices et producteurs, et l’ensemble du secteur culturel à élever publiquement leurs voix pour les joindre à la nôtre, car c’est la qualité des scénarios et donc des films et des séries qui est mise à mal quand les scénaristes sont maltraité·e·s.
On nous reproche une fiction moins qualitative que celle des pays voisins : donnez-nous enfin les moyens de bien faire notre travail et d’être à la hauteur de nos ambitions !